La station du Réseau express métropolitain (REM) à l’aéroport international Montréal-Trudeau sera un « désastre financier » pour Aéroports de Montréal (ADM), estime son président-directeur général Philippe Rainville, qui va de l’avant avec ce projet dans un contexte de « développement durable » plutôt que pour « faire de l’argent ».

Et s’il est incapable d’obtenir de nouvelles sommes d’argent pour relancer des projets d’envergure actuellement mis de côté, le dirigeant de l’organisme à but non lucratif (OBNL) s’attend à « voir la structure craquer » si l’achalandage rebondit plus rapidement, a-t-il prévenu, lundi, devant le Cercle canadien de Montréal.

« Financièrement, ne me demandez pas si c’est bon pour l’aéroport, a dit M. Rainville, en marge de son discours à propos de la station du REM. Non, ce n’est pas bon. On le fait pour les passagers, dans un contexte de développement durable. On pense que les voyageurs pensent comme nous. »

D’un côté, ADM devra injecter quelque 600 millions dans ce projet. De l’autre, lorsqu’elle sera inaugurée, en 2024, cette station devrait annuellement priver le gestionnaire et l’exploitant des aéroports Montréal-Trudeau et Mirabel d’une somme oscillant entre 5 et 10 millions générée grâce aux frais de stationnement.

Les finances d’ADM ont été fragilisées depuis le début de la pandémie de COVID-19, qui a grandement secoué l’aviation commerciale. L’OBNL a obtenu un financement provisoire de Québec, Ottawa et la Banque de l’infrastructure du Canada pour sauver la gare du REM – dont l’entrepreneur responsable de la construction devrait avoir été choisi en janvier.

« C’est un service, affirme M. Rainville. Vous nous payez pour gérer l’aéroport. On a décidé de prendre votre argent pour faire le REM parce que nous avons jugé que c’est important pour vous autres. »

En réaction aux commentaires du président-directeur d’ADM, CDPQ Infra, qui pilote le projet du train électrique, a souligné, dans un courriel, que l’organisme réclamait « une liaison en transport collectif entre le centre-ville de Montréal et l’aéroport » depuis « de nombreuses années ».

« Ça va grincer »

En 2022, ADM s’attend à voir le trafic passager atteindre au moins 50 % des niveaux observés en 2019. L’organisme s’attend à se relever complètement de la crise sanitaire à ce chapitre en 2024.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

La pandémie a fragilisé les finances d’ADM en raison de la chute du trafic passager.

Contraint au régime minceur depuis le début de la pandémie, ADM a repoussé une série de projets d’envergure, dont la réfection du débarcadère « côté ville » ainsi que la construction d’une nouvelle aérogare.

Un retour hâtif des voyageurs s’accompagnerait de mauvaises surprises, a souligné M. Rainville, en rappelant que les infrastructures peinaient à répondre à la demande avant l’arrivée du nouveau coronavirus.

« Vous le savez, le débarcadère, ça refoulait sur l’autoroute 20, a-t-il dit. Avant que j’aie l’argent pour être capable de refaire le débarcadère, juste cette partie-là, ça va grincer. »

ADM a besoin de « quelques milliards » pour se refaire une santé financière, selon son président. Celui-ci dit ne pas venir « pleurer sur la place publique pour encore demander de l’argent », ajoutant qu’une réflexion sur le modèle de financement des aéroports s’imposait.

Un modèle à changer

Sans aller jusqu’à parler de privatisation – un modèle qui a déjà été évalué par Ottawa et qui est populaire en Europe – M. Rainville estime que les aéroports devraient avoir le droit d’accueillir des investisseurs privés, comme des gestionnaires de régimes de retraite, prêts à déployer du « capital patient ».

Afin de financer ses activités malgré la crise, ADM a récolté, en avril dernier, 400 millions par l’entremise d’une émission d’obligations.

Dans les années 80, le gouvernement fédéral a décidé de transformer les aéroports en OBNL, qui doivent payer pour l’occupation et l’utilisation des terrains fédéraux. Dans la grande majorité des cas, les baux sont échelonnés sur des décennies (jusqu’en 2072 pour Montréal). La loi leur interdit de lever du capital-actions tandis que les profits réalisés doivent être investis dans les installations.

« Les aéroports ont une capacité relativement limitée d’emprunt, affirme l’expert en planification des transports à l’Université de Montréal Pierre Barrieau, qui plaide pour des changements. La crise démontre la vulnérabilité du modèle actuel. Un changement, c’est la seule façon de continuer à soutenir le modèle aéroportuaire. »

Il a souligné que des institutions comme la Caisse de dépôt et placement du Québec (CPDQ) et le Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l’Ontario (Teachers) avaient investi dans ce type d’infrastructure ailleurs dans le monde.

Dans certains cas, la pandémie a eu un impact négatif sur la valeur des investissements. Rien n’indique que ces investisseurs institutionnels seraient ouverts à l’acquisition de participations dans des aéroports au pays si l’occasion se présente.

Omicron

Même si le variant Omicron est arrivé au Québec, M. Rainville assure que l’exploitant de Montréal-Trudeau est « prêt », et ce, « peu importe ce qui va arriver ». « Nous sommes habitués, a-t-il dit, en mêlée de presse. On est dans les hauts et les bas tout le temps. Cela fait un an et demi qu’on est là-dedans. On va suivre ce que la Santé publique va nous dire. » Québec a confirmé un cas de contamination dans la province et la Santé publique a identifié au moins 115 voyageurs provenant des pays africains considérés comme à risque. Dans le contexte, il faut parier que les tests PCR continueront d’être exigés pour entrer au pays, croit le président d’ADM.