L’échange de prisonniers intervenu entre la Chine et le Canada samedi a fait tomber certains tabous sur les relations commerciales à venir entre les deux pays. Devrait-on voir un réchauffement ou un refroidissement dans celles-ci ?

Ce qu’il est convenu d’appeler l’affaire Huawei n’aura probablement pas d’impact majeur sur les relations commerciales entre le Québec et la Chine, mais le nuage qu’elle fait planer pourrait mettre un certain temps à se dissiper.

La tension des derniers mois est certainement réduite maintenant, estime Ari Van Assche, spécialiste des chaînes d’approvisionnement et professeur à HEC Montréal. « Mais on ne peut s’empêcher de se demander si, à la prochaine crise, la Chine réagira de la même façon », dit-il.

Pour les entreprises qui ne sont pas encore présentes sur le marché chinois et qui pensent à développer ce marché, il y a sûrement des préoccupations additionnelles à cause des évènements récents, croit Véronique Proulx, présidente-directrice générale de Manufacturiers et Exportateurs du Québec.

« Pour les entreprises déjà installées en Chine, qui ont des relations commerciales bien établies, ça ne devrait rien changer », avance-t-elle. Il y a trop d’intérêts en jeu, selon elle.

C’est clair que le risque géopolitique est de plus en plus grand aujourd’hui pour les entreprises qui font des affaires à l’étranger. C’est vrai pour la Chine, mais c’est vrai ailleurs aussi.

Véronique Proulx, présidente-directrice générale de Manufacturiers et Exportateurs du Québec

Pour les entreprises actives sur les marchés internationaux, au Canada comme ailleurs, la Chine est tout simplement un trop grand marché pour être ignoré. Le pays de Xi Jingping est le deuxième partenaire commercial du Québec, après les États-Unis, et il est le principal marché d’exportation dans certains secteurs d’activité, en agriculture notamment.

C’est le cas d’Olymel, premier producteur de porc au Canada, qui alimente surtout le marché chinois. L’entreprise a été une victime collatérale de l’affaire Huawei, ses produits ayant été bloqués par la Chine ou soumis à des inspections supplémentaires.

Le PDG d’Olymel, Réjean Nadeau, a déjà indiqué qu’au pire du conflit politique entre le Canada et la Chine, son entreprise perdait plusieurs millions de dollars par semaine. La direction d’Olymel n’a pas voulu faire de commentaires lundi sur l’avenir de ses relations avec la Chine.

Le directeur général des Éleveurs de porcs du Québec, Alexandre Cusson, souligne de son côté que la relation entre le Canada et la Chine a été « mise à rude épreuve » et que le gouvernement du Canada devra se prononcer sur d’autres enjeux qui touchent la Chine. « Il est encore trop tôt pour parler d’impacts sur les Éleveurs de porcs du Québec, a-t-il commenté. Cependant, tous les différends et les litiges qui touchent les relations entre le Canada et des pays où le porc québécois est exporté sont préoccupants pour notre organisation. »

Optimiste pour la suite

Carl Breau, un homme d’affaires québécois qui vit à Shanghai depuis 10 ans et qui a fondé une firme qui aide les entreprises canadiennes à pénétrer dans ce gigantesque marché, croit que ce qui s’est passé avec la dirigeante de Huawei et les deux Michael ne nuira pas aux relations commerciales entre les deux pays.

La conclusion de cet épisode litigieux est une bonne nouvelle, selon lui. « Ça va nous aider, pas nous nuire », assure le PDG de Saimen, qui est résolument optimiste pour la suite des choses.

Ce qui s’est passé ne fait pas de la Chine un pays dangereux pour les gens d’affaires, croit Carl Breau. « Je n’ai pas peur que ça m’arrive », dit-il. Il donne aussi l’exemple de Tim Hortons, une entreprise bien canadienne, qui s’est installée en Chine il y a seulement deux ans, qui a maintenant 200 restaurants et qui prévoit en avoir 1750 à moyen terme.

La détérioration des relations entre le Canada et la Chine n’a pas nui à Tim Hortons, mais d’autres entreprises en ont souffert, précise-t-il. Maintenant que la crise est derrière nous, les échanges ne peuvent que s’améliorer, selon lui.

Le litige entourant la participation de Huawei au déploiement de la technologie 5G au Canada pourrait-il continuer d’empoisonner les relations commerciales avec la Chine ? Carl Breau ne le croit pas. « Huawei est la plus grande compagnie au monde dans ce secteur, dit-il. Elle n’a pas besoin du support du gouvernement chinois. »

Le professeur Ari Van Assche, de son côté, n’écarte pas du tout la possibilité que le gouvernement chinois joue encore du muscle, dans le dossier de la 5G ou un autre. « Compte tenu du pouvoir géopolitique qu’ils ont, je ne serais pas surpris. »

Reste à voir de quelle façon la Chine choisirait d’exercer ce pouvoir. L’agriculture reste un secteur vulnérable aux tensions géopolitiques, précise-t-il.

4,8 milliards

Le Québec a exporté en 2020 pour 4,8 milliards de dollars de biens en Chine, surtout du minerai de fer et du porc frais et congelé.

12,7 milliards

Le Québec a importé pour 12,7 milliards de dollars de biens produits en Chine, surtout des ordinateurs, des fournitures médicales et de l’équipement de protection personnelle, en 2020.

Source : Institut de la statistique du Québec

5G : faut-il bannir Huawei du Canada ?

PHOTO NG HAN GUAN, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

En 2020, Huawei détenait 30 % du marché des équipements 5G, suivie par Nokia et Ericsson, avec 15 % et 14 % des parts. Selon un porte-parole de Huawei, le Canada représente 1 % du chiffre d’affaires du géant chinois, soit 1,37 milliard US en 2020, selon le plus récent rapport annuel.

Le Canada devrait-il, comme l’ont fait de nombreux pays, bannir Huawei de son réseau 5G ? Momentanément éclipsée par l’emprisonnement des deux Michael pendant près de trois ans, la question revient régulièrement hanter le gouvernement fédéral depuis 2013. Mais le Canada peut-il se passer de Huawei ? A-t-il les moyens d’une guerre commerciale avec la Chine ? Quatre questions pour comprendre.

Est-ce que Huawei est bien implantée au Canada ?

Oui. L’entreprise chinoise a officiellement ouvert ses premiers bureaux au Canada en 2008. Dès l’année suivante, ses installations ontariennes, notamment à Markham et à Waterloo, comptaient plus de 400 ingénieurs. Elle emploie aujourd’hui 1500 personnes au Canada – sur 197 000 dans le monde. Dès 2016, elle s’est associée au gouvernement de l’Ontario pour créer un laboratoire doté d’un budget de 300 millions sur cinq ans, et a notamment mis sur pied une chaire de recherche industrielle sur le sans-fil à Polytechnique Montréal en 2017.

Parallèlement, deux des plus importants fournisseurs en télécommunications au Canada, Bell et Telus, ont recouru à de l’équipement de Huawei pour leurs infrastructures de réseau, de fibre optique et 4G. Jusqu’en 2020, les observateurs s’attendaient à ce que Huawei soit également l’architecte principal de leur réseau 5 G. Le Canada suit en cela la tendance mondiale : on estime qu’en 2020, Huawei détenait 30 % du marché des équipements 5G, suivie par Nokia et Ericsson, avec 15 % et 14 % des parts. Selon un porte-parole de Huawei cité cette semaine par le Globe & Mail, le Canada représente 1 % du chiffre d’affaires du géant chinois, soit 1,37 milliard US en 2020, selon le plus récent rapport annuel.

Pourquoi Huawei suscite-t-elle la méfiance ?

Les liens entre l’entreprise, fondée en 1987 par un ex-colonel de l’armée, et le gouvernement chinois, qui a grandement contribué à sa croissance, sont depuis longtemps scrutés. On a également à maintes reprises accusé Huawei d’espionnage industriel. Certains ont même attribué la chute de Nortel et sa faillite en 2009 à un vol de sa technologie orchestré par la Chine.

L’entreprise chinoise a toujours nié en bloc ces allégations. « Il y a beaucoup d’informations qui circulent, mais à ma connaissance, il n’y a aucune information digne de confiance pour démontrer que ces accusations sont fondées », estime Jean-François Ouellet, professeur agrégé au département d’entrepreneuriat et d’innovation de HEC Montréal.

Chose certaine, le gouvernement canadien a confirmé mener depuis 2013 des « tests de sécurité » sur les équipements de Huawei. Le principal développement est survenu en mai 2019 quand l’administration Trump, aux États-Unis, a annoncé le bannissement de Huawei des infrastructures de communication et l’interdiction pour les entreprises américaines de faire des affaires avec le géant chinois.

D’autres pays, notamment la Grande-Bretagne, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et la Suède, ont adopté des mesures pour restreindre ou carrément interdire l’utilisation d’équipements de Huawei. L’élection de Joe Biden à la présidence des États-Unis n’a pour l’instant rien changé au bannissement de l’entreprise.

Où en est le Canada dans ce dossier ?

Le gouvernement Trudeau n’a toujours pas annoncé sa décision à cet égard. « Un examen de la technologie 5G émergente et des considérations sécuritaires et économiques associées est en cours », a précisé John Power, porte-parole du ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, dans une déclaration envoyée au Globe & Mail. Les conservateurs demandent depuis plus d’un an le bannissement de Huawei des infrastructures 5 G.

Fait intéressant, et sans qu’aucune mesure politique n’ait été annoncée, les principales entreprises de télécommunications au Canada ont peu à peu délaissé Huawei. Bell avait annoncé en février 2020 qu’elle retenait son partenaire de la première heure en 5G, Nokia, comme « premier fournisseur », tandis que Telus avait annoncé quelques mois plus tard un partenariat avec Ericsson, Nokia et Samsung. Rogers a retenu dès le début Ericsson, tandis que Vidéotron a choisi Samsung.

Les raisons derrière ces choix n’ont pas été dévoilées. « Ces entreprises mettent toutes sortes de choses dans la balance, des informations auxquelles on n’a pas accès », note Jean-François Ouellet.

Le gouvernement Trudeau pourrait-il bannir Huawei ?

Techniquement, comme d’autres pays l’ont fait, il serait possible pour le Canada d’imposer certaines conditions qui empêcheraient Huawei de participer au développement du réseau 5 G. Le risque est toutefois bien présent de déclencher une guerre commerciale avec la Chine, prévient le professeur Ouellet.

« Ça prend des fondements assez robustes pour aller devant les tribunaux du commerce et, concrètement, ce serait difficile de les accuser de dumping ou d’espionnage industriel systématique et mené de manière éhontée. »

Le Canada, estime-t-il, a plus à perdre que la Chine dans un tel affrontement. « La Chine, c’est un peu le Klondike, le prochain gros marché avec beaucoup de débouchés potentiels. Être le gouvernement fédéral, j’y réfléchirais à deux fois avant de me lancer dans une cause comme celle-là. C’est comme aller boxer contre un champion du monde : tu es mieux de bien connaître ses points faibles. »