(Québec) Pendant que des politiciens et des dirigeants d’entreprises à travers le pays se mobilisent pour éviter la fermeture de la canalisation 5 d’Enbridge, le Québec pourrait s’en tirer sans graves conséquences si le pétrole devait cesser de couler.

La gouverneure du Michigan, Gretchen Whitmer, appuyée par des groupes écologistes et des groupes autochtones, affirme que l’oléoduc qui passe sous les lacs Huron et Michigan est vulnérable. Elle craint qu’une brèche n’entraîne un déversement de pétrole catastrophique. La gouverneure a donc ordonné la fermeture de cette canalisation majeure d’ici le 12 mai.

Le ministre fédéral des Ressources naturelles Seamus O’Regan a récemment déclaré que « la canalisation 5 ne touche pas seulement une province ou une région ; elle est importante pour (le) pays tout entier ».

Le gouvernement du Canada a déposé un mémoire devant une cour américaine en lien avec le litige entre l’État du Michigan et l’entreprise Enbridge. Les chambres de commerce du Canada et des États-Unis ont aussi uni leurs forces avec des organismes similaires en Ohio, au Michigan et au Wisconsin pour déposer aussi un mémoire au tribunal dans le but d’exprimer leur opposition à la volonté de Mme Whitmer de fermer l’oléoduc transfrontalier.

« Elle demeure le moyen le plus sûr et le plus efficace de transporter du carburant vers les raffineries et les marchés, et constitue une source d’énergie fiable pour le Michigan, l’Ohio, la Pennsylvanie, l’Ontario et le Québec », a soutenu le ministre O’Regan ajoutant que près de la moitié de l’approvisionnement du Québec en pétrole passait par la canalisation 5.

Néanmoins, les raffineries Suncor, à Montréal, et Valero, à Lévis, affirment avoir des plans de contingence prêts à être déployés. De plus, le professeur Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal, assure que les Québécois ne seraient pas sérieusement affectés si la canalisation 5 devait fermer.

Selon lui, si l’on assiste à une aussi forte réaction politique ailleurs au Canada, c’est parce que contrairement au Québec, les autres provinces n’ont pas d’autres options.

Pierre-Olivier Pineau explique que la fermeture aurait l’effet d’un retour en arrière. En 2015, avant qu’Enbridge n’obtienne l’autorisation d’exploiter son oléoduc au Québec, les raffineries Suncor et Valero étaient alimentées en brut par bateau, par train ou par l’oléoduc qui relie Portland, dans le Maine, et Montréal.

Il suffirait donc de se tourner vers ces trois options d’approvisionnement en cas de fermeture de la canalisation 5.

Suncor et Valero n’ont pas voulu donner de détails sur leur plan de contingence, mais la porte-parole de Valero, Marina Binotto, a reconnu que la localisation de la raffinerie, en bordure du fleuve à Lévis, était stratégique pour diversifier les modes d’approvisionnement.

Chez Suncor, la porte-parole Sneh Seetal a réservé ses commentaires puisque le dossier touche un enjeu commercial sensible. Elle a cependant mentionné que l’est du Canada, tout comme le Michigan et les États voisins devraient probablement importer du pétrole raffiné, ce qui entraînerait des coûts.

Le ministre québécois de l’Énergie, Jonatan Julien, considère l’oléoduc d’Enbridge comme étant « crucial » pour la province et le gouvernement souhaite qu’il demeure en opération. Le ministre dit tout de même continuer de travailler à la diversification des sources d’énergie.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LAPRESSE

Le ministre québécois de l’Énergie, Jonatan Julien

La gouverneure du Michigan et Enbridge ont accepté de participer à un processus de médiation, mais la compagnie n’a pas l’intention de reculer. Elle promet de maintenir ses opérations jusqu’à ce qu’un tribunal la somme de cesser. Enbridge martèle que son pipeline est sécuritaire et fiable.

Mais un expert qui étudie la région des Grands Lacs croit le contraire.

David Schwab, un océanographe et chercheur à la Michigan Technological University, étudie les Grands Lacs depuis 45 ans. Il cite une enquête menée en 2013 par la National Wildlife Federation, une ONG américaine, selon laquelle l’oléoduc de 68 ans qui passe sous le détroit de Mackinac, et qui transporte 540 000 barils de pétrole par jour, n’est aucunement soutenu et est exposé aux puissants courants.

« Ce qui s’est produit avec le temps, c’est que le sable, la boue et certaines sections de l’oléoduc ont été déplacés par le courant », a décrit le professeur Schwab lors d’un récent entretien. « Si l’on devait construire cet oléoduc aujourd’hui, est-ce qu’on le permettrait ? », s’interroge-t-il.

David Schwab plaide que cette canalisation vieillissante est une catastrophe annoncée. Le chercheur a mené plus de 800 simulations de déversements en 2016. D’après ses résultats, le pétrole pourrait se rendre jusqu’aux rives canadiennes selon les conditions météorologiques et les courants.

« Le détroit de Mackinac est le pire endroit des Grands Lacs pour un déversement de pétrole, estime l’expert. Il y a tellement d’endroits où le pétrole pourrait se diriger. Il pourrait aller n’importe où ! »

– Avec l’Associated Press