« Trahi », « pas respecté », traité « comme un numéro ». C’est en ces mots qu’Elyes Chaouch, cuisinier au restaurant Renoir du Sofitel, décrit ce qu’il ressent envers l’hôtel où il a travaillé pendant 17 ans après avoir perdu son statut d’employé permanent, comme près de 80 % de ses collègues qui y travaillaient aussi à temps plein.

« J’étais à temps plein, permanent, j’avais des assurances, cinq semaines de vacances. La totale, quoi, raconte M. Chaouch au cours d’un entretien téléphonique avec La Presse. On est rendus occasionnels. Après 17 ans, ça fait mal, quand même. »

Ses avantages sociaux, il les a perdus au début de l’année. Pour ce père de famille qui aura bientôt 50 ans et qui doit s’occuper de son enfant atteint de paralysie cérébrale, cette incertitude est difficile à vivre. Et il n’est pas le seul. Sur 93 employés à temps plein travaillant au Sofitel Le Carré doré, situé rue Sherbrooke au centre-ville de Montréal, près de 71 ont été relégués au statut de travailleur à temps partiel ou occasionnel. Ils ont notamment perdu leurs congés de maladie et leur régime d’assurance. Le montant remboursé pour les chaussures de travail, par exemple, est également moins important dans le cas des travailleurs à temps partiel. Les occasionnels n’ont pas droit au remboursement.

Depuis le 13 mars 2020, M. Chaouch a été appelé pour rentrer au boulot, parfois de soir, à trois ou quatre reprises : pendant l’été et lors de certaines fêtes comme à Noël, à la Saint-Valentin et à Pâques. Avant la crise, il travaillait de jour en cuisine de 4 h du matin à 12 h 30. Ce quart de travail dont personne ne veut, selon lui, était bien pratique pour lui, puisqu’il pouvait être chez lui à temps pour le retour de l’école de son fils.

Selon la section locale 9400 du syndicat des Métallos, qui représente près de 4000 travailleurs dans le secteur du tourisme, de l’hôtellerie et de la restauration, le Sofitel est « la seule place », parmi tous les autres établissements avec qui il y a eu des négociations, qui aurait refusé de signer une lettre d’entente pour que ses employés préservent leur statut pour une période allant de un à trois ans, en raison de la pandémie.

Tous les employeurs ont accepté de prolonger, affirme Jean-René Dumas, vice-président de la section locale 9400 du syndicat des Métallos. Celui-ci représente une quarantaine d’hôtels dans les grandes régions de Québec et Montréal.

[Comme travailleur], si je suis occasionnel, je n’ai aucun avantage.

Jean-René Dumas, vice-président de la section locale 9400 du syndicat des Métallos

Pourquoi l’hôtel refuse-t-il de signer une lettre d’entente permettant aux employés de préserver leur statut ? « Selon eux, c’est trop cher, répond M. Dumas. On leur fait plein de propositions et ils ne nous répondent pas. »

Du côté du Sofitel, on plaide que la pandémie a obligé l’hôtel à prendre des « décisions difficiles ». « Ces mesures ne sont pas prises facilement et sont appliquées après une longue analyse minutieuse de nos multiples options, explique Marc Pichot, directeur général de l’établissement. Sofitel Montréal Le Carré Doré a respecté la convention collective en vigueur avec les Métallos. Des discussions ont eu lieu avec le syndicat afin de négocier de bonne foi une lettre d’entente concernant le maintien des statuts des ambassadeurs basée sur les circonstances de la pandémie. Notre objectif est en tout temps de négocier des accords qui représentent une position équitable pour nos employés et l’hôtel. »

Interrogée au sujet de la perte de statut, Ève Paré, présidente-directrice générale de l’Association des hôtels du Grand Montréal (AHGM), affirme qu’elle n’était « pas au courant » de la situation au Sofitel. « La situation, elle n’est pas surprenante dans la mesure où ce sont des dispositions qui sont prévues dans les conventions collectives. De façon générale, les hôteliers appliquent les dispositions qui sont prévues aux conventions collectives, que ce soit pour le lien d’emploi ou le statut », dit-elle en ajoutant dans la foulée qu’elle ne souhaitait pas commenter le cas particulier du Sofitel.

Concernant les assouplissements demandés par les syndicats en raison de la pandémie, Mme Paré souligne qu’il s’agit de « discussions bidirectionnelles, car il y a des assouplissements qui peuvent être donnés de part et d’autre. [Les hôteliers et les syndicats sont toujours libres] de convenir de lettres d’entente, mais c’est généralement du donnant-donnant ».

Que se passe-t-il ailleurs ?

Vérification faite auprès de la CSN, qui négocie actuellement avec 26 hôtels à travers le Québec, aucune situation de ce genre ne s’est produite. « Dans la majorité de nos conventions collectives, il n’y a pas de clauses qui permettent des pertes de statut, explique Michel Valiquette, trésorier de la Fédération du commerce (CSN) et responsable du secteur touristique. Donc, quand tu obtiens un statut, tu le gardes. Jusqu’à maintenant, à ma connaissance, il n’y a aucun employeur qui a mis fin au statut d’emploi dans les hôtels qu’on représente. »

Le problème auquel la CSN fait face en ce moment concerne davantage le lien d’emploi. « Au Reine Elizabeth, ce sont des centaines de travailleurs qui ont perdu leur lien d’emploi au cours des 13 derniers mois », dit-il. Ce sont près de 300 employés, qui avaient 13 mois d’ancienneté ou moins qui ont perdu leur travail. Normalement, le lien d’emploi pour les travailleurs de l’hôtellerie varie entre 24 et 36 mois.

Ce sont des jeunes embauchés. C’est quand même la relève, donc c’est un peu étonnant qu’un employeur se comporte de cette façon-là. Quand il y aura un début de relance, ils auront besoin de ces travailleurs-là.

Michel Valiquette, trésorier de la Fédération du commerce (CSN) et responsable du secteur touristique

Le syndicat demande un maintien du lien d’emploi rétroactif au 13 mars 2020. « Il n’y a donc personne qui pourrait perdre son lien d’emploi pour la durée de la prochaine convention collective qui viendra à échéance en 2024, à cause de la situation pandémique. » Michel Valiquette affirme que la plupart des hôteliers font preuve de souplesse et de compréhension.

« La direction du Fairmont Le Reine Elizabeth et ses employés ont fait preuve de compréhension et de collaboration depuis le début de la crise et continuent à travailler ensemble afin que toutes les décisions soient prises dans le respect des conventions collectives, a répondu par courriel Philippe Champagne, directeur régional ventes et marketing pour l’Est du Canada du Fairmont Reine Elizabeth. En ce sens, la direction du Fairmont a mis en place plusieurs mesures pour activement soutenir ses employés durant cette période difficile, [notamment] le paiement des primes d’assurances collectives pour tous les employés pour une période de 6 mois à partir du début de la pandémie. »

Par ailleurs, pour le moment, les hôteliers du centre-ville de Montréal continuent d’enregistrer des taux d’occupation faméliques. Selon l’AHGM, il était de 9,5 % en mars, comparativement à 58,4 % pour la même période en 2019, l’année avant le début de la pandémie. Le tarif moyen pour une chambre est passé de 159,70 $ en mars 2019 comparativement à 126,25 $ cette année.

« Je veux souligner à grands traits la situation dans laquelle on se retrouve d’un point de vue économique, explique Mme Paré. [C’est difficile] pour tout le monde, tant pour les employés que pour les employeurs. L’objectif de tout le monde est de ramener tout le monde au travail dès que la situation va le permettre. »