« La folie est de toujours se comporter de la même manière et de s’attendre à un résultat différent. »

On attribue cette citation à Albert Einstein, et je l’adore.

Je l’adore parce qu’elle dit de la façon la plus efficace qui soit que si on veut que les choses changent, il faut agir différemment. Il faut sortir des sentiers battus, de la boîte, de nos ornières. Il faut prendre le risque de plonger dans des décisions qui peuvent sembler hors normes, risquées, aux conséquences imprévisibles.

Cet état d’esprit, on en a immensément besoin, maintenant plus que jamais.

Pour faire face aux défis que pose le virus.

Pour mettre fin au racisme systémique.

Pour que cessent les cultures machistes toxiques qui survivent dans trop d’établissements et trop de milieux de travail, malgré les années, les révolutions et tous les #metoo du monde.

Dommage que la nécessité de se comporter différemment pour changer le cours des choses ne percole pas partout.

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Prenons un de ces problèmes auxquels nous faisons face actuellement : les cultures sexistes insupportables en milieu de travail.

Et prenons, par exemple, Ubisoft, géant du jeu vidéo plongé dans une crise sans précédent, ici autant qu’en France, accusé d’entretenir une culture d’entreprise toxique où les femmes, qui composent environ 20 % des équipes, sont victimes de harcèlement sexuel et psychologique.

Tout ça a été largement relaté sur les réseaux sociaux, mais ce sont surtout les enquêtes de médias professionnels établis, comme La Presse ici et le quotidien Libération en France, qui ont fait éclater cette nouvelle vague de #metoo techno et obligé l’entreprise à mettre son nez dans son gâchis nauséabond.

Et que fait-elle, considérant que l’action est à la baisse, et donc que les actionnaires sont en rupture de confiance ?

Est-ce qu’elle fait un geste inattendu, pour bien marquer un virage vers la suite du millénaire ?

On est ici chez des créatifs techno, pas une banque traditionnelle…

Et bien, contre toute attente, elle prend le chemin de la continuité.

Certes, trois importants membres de la direction du groupe ont été amenés à démissionner, dont celui qui pilotait les studios canadiens.

Mais à sa place, pour reprendre le flambeau à Montréal, on a choisi un dirigeant issu des rangs des bureaux montréalais, cousin d’un des frères fondateurs. Un homme.

Je ne suis pas actionnaire d’Ubisoft, mais la décision m’inquiéterait.

Si l’action a été ébranlée par la vague de dénonciations, ce n’est pas parce que les actionnaires s’inquiètent uniquement de la livraison des prochains jeux. C’est aussi beaucoup parce que la réputation de l’entreprise et sa capacité de recrutement sont au cœur du développement dans ce secteur.

Espresso à volonté, tables de billard et balançoires à l’étage, salles de gym et menu végane à la cafétéria ont longtemps été les clichés — datant d’ailleurs de l’époque où Ubisoft est arrivé à Montréal — illustrant comment les entreprises techno espéraient garder leurs employés heureux et au bureau.

Mais il y a longtemps que le vernis de ces gadgets a terni.

Si tant de dénonciations ont lieu sur les réseaux sociaux au sujet de harcèlement et d’inconduites sexuelles, cris du cœur d’employées ignorées par ceux et celles qui auraient dû les protéger, les aider et leur permettre de travailler en paix, c’est parce que l’essence même de la qualité de vie au travail va bien au-delà de ces détails.

Équité salariale. Possibilités de promotions égales. Environnements sécuritaires pour tous. Absence de discrimination basée sur le genre, l’orientation sexuelle, la couleur de la peau, l’apparence physique… Justice. Écoute…

Voilà uniquement le début de la liste de ce que les entreprises doivent réellement valoriser si elles veulent être capables de recruter les talents de demain.

A-t-on, en regardant comment le géant du jeu vidéo fait face à la crise, la moindre raison de croire que c’est comme ça que la société pense soudainement maintenant ?

Est-ce que Ubisoft Canada ou Montréal aurait pu entamer un processus de recrutement transparent, ouvert aux candidatures externes, ouvert aux candidatures de femmes ou de toute autre personne sachant, pour en avoir été témoin ou même la cible, ce que sont les préjugés inconscients dans un système de gestion, et où se cachent les vieux réflexes d’entreprise inacceptables ?

Oui.

C’est clair.

Et ceci aurait probablement permis de trouver quelqu’un avec un parcours, des expériences et des idées différents de ceux qui dirigent actuellement la boîte.

La diversité, le sang neuf, répétons-le, est à la source de l’amélioration de la performance des entreprises.

Comme me le disait au téléphone Caroline Codsi, fondatrice de l’organisme La Gouvernance au féminin, on ne peut pas cuisiner de grands plats en puisant toujours dans le même frigo. Parfois, il faut aller au marché chercher des produits frais.

Ce qui est réellement dommage dans le cas d’Ubisoft, m’a-t-elle confié, c’est que l’entreprise avait entamé le processus de certification proposé par son organisme. Spécialiste des ressources humaines, Codsi et son équipe analysent les politiques de recrutement, de promotion, les conditions de travail, la présence des femmes dans les différents postes des entreprises, leurs salaires, etc. Et à partir de là, elles classent les entreprises.

Ubisoft a participé à l’exercice en 2017 et reconnaissait alors l’importance du recrutement féminin. « Nous abordons le processus de certification parité avec humilité », expliquait à l’époque au journal Les Affaires le vice-président aux affaires corporatives, Francis Baillet. « Notre industrie est sur la sellette pour la faible participation féminine. Cette démarche de certification est un message fort quant à notre désir d’avoir le plus de femmes possible dans nos rangs. C’est plus qu’un désir, c’est un besoin. Nous appartenons à une industrie créative. Nous avons constamment des problèmes à résoudre. Si tout le monde provient du même moule, de nombreux angles de solution nous échappent. »

Que de belles paroles.

Sauf que, comment peut-on parler ainsi de la nécessité de recruter dans la diversité sans changer les façons de faire et dire exit les blagues de mononcle et toute la culture du boys club ?

Et le nouveau patron, ne vient-il pas précisément « du même moule » ?

J’avoue qu’ici, l’approche d’Ubisoft vers de nombreux angles de solution m’échappe.