Le premier ministre François Legault a évoqué l’idée d’être plus autonome dans la fabrication de médicaments lors de l’un de ses points de presse quotidiens. Peut-on rêver d’être complètement autosuffisant ? À tout le moins, pour les médicaments populaires ?

Le Laboratoire Riva, à Blainville, n’a pas attendu de subvention ni de liste de médicaments jugés prioritaires par le gouvernement.

Son président, Olivier St-Denis, un passionné qui a littéralement grandi dans le laboratoire de son père, a décidé de tripler sa production d’acétaminophène. Depuis le 17 mars, ses 150 employés travaillent sans relâche et prennent leur rôle au sérieux, car les patients atteints de la COVID-19 contrôlent leur fièvre avec ce produit, raconte-t-il.

« J’ai très envie d’aider le Québec, affirme-t-il avec enthousiasme au téléphone. J’ai même assez de terrain pour agrandir. Mais ça va prendre de l’aide. Aucun entrepreneur ne peut prendre le risque seul. »

Hormis les aérosols, comme le Ventolin, et les produits biologiques, comme le Remicade, 90 % des médicaments consommés par les Québécois pourraient être produits, ici croit Olivier St-Denis.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Olivier St-Denis, président du Laboratoire Riva

Le Québec a le savoir-faire. La faculté de pharmacie de l’Université de Montréal a même un programme en développement du médicament. Les laboratoires pourraient, par exemple, stocker de la matière première, suggère-t-il.

Prix trop élevé

Depuis plusieurs années, Olivier St-Denis vante sa fabrication locale, mais elle n’est pas reconnue par ses clients.

Lorsqu’il y a des appels d’offres dans les hôpitaux, le fait que ce soit local ou pas, ça ne pèse pas dans la balance. C’est toujours la question monétaire.

Olivier St-Denis, président de Laboratoire Riva

Bien avant la crise de la COVID-19, Pharmascience prônait l’achat local sur les réseaux sociaux. Malgré les coûts plus élevés, la famille Goodman, à qui appartient la société, a choisi de garder son service de recherche et développement au Québec, ainsi que la production et la distribution de ses médicaments. Elle fabrique plus de 300 familles de produits avec une capacité de 3 à 4 milliards de comprimés par an.

« On croit que c’est un avantage stratégique de protéger les usines d’ici, soutient Jean-Guy Goulet, chef de l’exploitation. Cependant, si le point de comparaison est toujours le prix le plus bas dans le monde, on centralise tous notre approvisionnement dans le pays qui est le moins cher au monde, ce qui fait que toute la planète est centralisée au même endroit. »

Cette centralisation en fonction du prix inquiète Stéphane Ciblat, directeur, sciences chimiques, chez Paraza Pharma.

« Si, un jour ou l’autre, la Chine ou l’Inde, qui sont les plus grands fournisseurs de principes actifs, décident pour une raison ou une autre de les utiliser uniquement pour leur marché intérieur, ça va prendre énormément de temps à remplacer », soulève-t-il.

Le Canada ne représente que 2 % du marché mondial des médicaments.

La matière première

Malgré toutes les bonnes intentions, le principal obstacle reste la matière première pour fabriquer les médicaments. « Nous, on est les GM de ce monde. Mais il faut acheter toutes les pièces : les ingrédients actifs, les excipients, mais aussi certaines composantes d’emballage », illustre Stéphane Lévesque, directeur général du Groupement provincial de l’industrie du médicament (GPIM), qui représente une quinzaine d’entreprises de l’industrie pharmaceutique du Québec.

Stéphane Lévesque souligne qu’il y a moins d’industries pharmaceutiques dans la province qu’avant. Moins de médicaments y sont donc fabriqués.

Donc de plus en plus, on importe le produit fini ici, il n’est parfois même plus assemblé ici, il est fait en Inde et en Chine.

Stéphane Lévesque, directeur général du Groupement provincial de l’industrie du médicament

Avec ses procédés chimiques qui émettent de fortes émanations et les risques d’explosions, peu de Québécois accepteraient d’avoir comme voisin une usine de fabrication de matière première.

« Pour fabriquer ces matières-là, ça prend souvent des solvants, qui sont souvent très néfastes à l’environnement, explique Stéphane Lévesque. Alors au Québec sur ce point, on est plus frileux. »

« Pour pouvoir protéger et contrôler ces émanations-là avec nos normes environnementales, ça veut dire des coûts beaucoup plus élevés. Donc un coût au kilo plus élevé », ajoute Jean-Guy Goulet, chef de l’exploitation chez Pharmascience.

De son côté, Sandoz, qui fabrique des médicaments injectables à son usine de Boucherville, rappelle qu’il n’y a aucun pays qui est autosuffisant pour la fabrication de ses médicaments.

« Avec 13 000 sortes de médicaments au Québec, ce serait un défi technologique et logistique important », explique Christian Ouellet, directeur des affaires gouvernementales.

Dresser une liste

Les spécialistes que La Presse a consultés sont d’avis qu’une liste officielle des médicaments essentiels devrait être élaborée. Or, personne n’aurait pu prévoir que la chloroquine serait un jour si recherchée.

« Quand il y a eu le H1N1, les Belges couraient après le vaccin. Nous, on l’avait, parce qu’il était fabriqué ici. Par contre, on avait des contrats garantis du gouvernement tous les ans », relate Bertrand Bolduc, président de l’Ordre des pharmaciens du Québec.

« Chaque crise fait qu’on est dépendants d’un médicament. Maintenant, est-ce qu’on devrait être autosuffisants pour tout ? Ça n’a aucun sens. Est-ce qu’on a certains atouts ? Oui. Mais on ne peut pas prévoir quelle sera la prochaine crise », conclut-il.