Plusieurs années après leur apparition aux États-Unis, les forfaits de données mobiles « illimitées » apparaissent au Canada. C’est Rogers qui a brisé la glace le premier mercredi, suivi de Bell qui a discrètement lancé un forfait semblable hier matin.

« Nous avons écouté nos clients, a expliqué par courriel Édith Cloutier, présidente Québec chez Rogers Communications. Ils veulent pouvoir utiliser leurs données sans avoir à se soucier des frais excédentaires en cas de dépassement, et c’est ce que nous leur offrons. » Aucun responsable n’était disponible pour commenter chez Bell, qui s’est contenté d’afficher ses nouveaux forfaits sur son site web sans autre communication, au moment d’écrire ces lignes.

Dans les deux cas, les clients doivent s’attendre à des vitesses de téléchargement très réduites après avoir atteint une certaine limite, rendant impossible par exemple le visionnement de vidéos.

Les deux offres de base sont par ailleurs similaires : pour 75 $ par mois, le client a droit à un forfait cellulaire de 10 Go de données. Il s’agit des prix annoncés pour les usagers utilisant leur propre téléphone, et non des forfaits comprenant l’achat d’un nouvel appareil. Aucuns frais supplémentaires ne seront imposés en cas de dépassement, mais la vitesse de transfert sera diminuée à 256 kilobits par seconde. Cette vitesse permet notamment la navigation sur l’internet, l’accès aux courriels et l’écoute de musique de qualité standard, mais guère plus.

À titre de comparaison, selon Speedtest, la vitesse mobile moyenne au Canada est de 46,96 mégabits par seconde, soit 183 fois plus rapide que 256 kb/s. 

Ça me semble passablement trompeur pour Rogers et Bell de présenter ces offres comme des forfaits de données “illimitées”. Le terme “illimité” est encore une fois dénaturé par les fournisseurs.

Anaïs Beaulieu-Laporte, analyste télécommunications à l’Union des consommateurs

Elle souligne qu’à 256 kb/s, « plusieurs activités quotidiennes sur internet deviennent tout simplement impossibles et certaines applications, inutilisables ».

Compétiteurs et régions

Différence notable, l’offre de Rogers n’a pas d’échéance, tandis que celle de Bell prend fin le 30 juin prochain. Bell offre en outre une dizaine de forfaits plus coûteux, pouvant aller jusqu’à 165 $ par mois, qui permettent de faire monter la limite de données à pleine vitesse à 50 Go.

Telus, de son côté, a choisi une autre approche, annoncée hier matin avec un bonus de 5 Go à son offre de 10 Go de données par mois, pour la même somme de 75 $. L’offre prend fin le 2 juillet prochain et le bonus de 5 Go sera accordé pendant deux ans. L’autre grand acteur présent au Québec, Vidéotron, n’a pas répondu aux questions de La Presse.

Pour Jean-François Ouellet, professeur agrégé au département d’entrepreneuriat d’innovation de HEC Montréal, ces guerres de prix ne sont pas une bonne nouvelle pour l’industrie.

C’est de la compétition basée sur les prix, et ça, ce n’est pas une barrière défendable très longtemps. Ça fait en sorte que le niveau de profitabilité diminue pour tout le monde.

Jean-François Ouellet, professeur agrégé au département d’entrepreneuriat d’innovation de HEC Montréal

S’il estime que ces offres plairont aux plus gros consommateurs de données, il ne croit pas qu’elles vont attirer suffisamment de nouveaux clients pour être rentables. « Dans ce cas-ci, je vois mal comment ça va se produire. On n’est pas dans un marché de nouveaux adoptants, on n’est pas dans un marché où tu es capable de capturer plus de nouveaux usagers véritablement. »

Rares, puis généralisés

Du côté de l’Union des consommateurs, on estime qu’il s’agit essentiellement d’un écran de fumée des fournisseurs. « On espère que le CRTC et le gouvernement ne se laisseront pas berner », dit Anaïs Beaulieu-Laporte. Elle croit que ces offres, qui sont très loin de ce qu’on retrouve à l’étranger, visent à donner faussement l’image d’un marché concurrentiel, « afin d’éviter une nouvelle réglementation qui favoriserait l’entrée d’autres joueurs sur le marché et le développement d’une réelle concurrence au pays ».

Apparus aux États-Unis il y a une décennie, relativement rares au début, les forfaits de données illimitées sont aujourd’hui offerts par pratiquement tous les fournisseurs américains, notamment AT&T, Verizon, T-Mobile et Sprint. Chez AT&T, par exemple, le coût mensuel est de 48 $US, soit 64 $CAN, avec vitesse élevée pour les 22 premiers Go.

Au Canada, aucune grande entreprise de télécommunications ne s’était encore lancée dans ce marché. Jusqu’à mercredi dernier, seuls de petits fournisseurs régionaux comme SaskTel et Freedom Mobile l’offraient.