Le bureau de courtage Manuvie Dorval, au coeur de l'affaire Amaya, fait l'objet d'un litige qui soulève des questions sur ses pratiques d'affaires.

Dans une requête, quatre ex-conseillers en placement de l'organisation soutiennent que la succursale ne respecte pas certaines des règles fondamentales de la Loi sur les valeurs mobilières. En particulier, le bureau est géré par une firme qui n'est pas inscrite auprès de l'Autorité des marchés financiers (AMF).

Le litige oppose plus précisément la société à numéro 9114-6480 Québec inc. à quatre conseillers qui ont quitté l'organisation dans la foulée de l'affaire Amaya. Il s'agit de Gene Kim, Jonathan Showers, Tao Jiang et Ronald Fung, qui sont passés chez le concurrent Mandeville Private Client au printemps 2015.

La société à numéro soutient avoir des droits sur les clients des quatre représentants et réclame le paiement de 1,5 % de la valeur de leur portefeuille, soit environ 2 millions de dollars. Or, en réplique, les quatre soutiennent qu'ils ont aussi une entente directement avec Manuvie, qui ne leur réclame rien, et que la société à numéro n'a aucune prise sur leurs affaires, puisqu'elle n'est pas enregistrée auprès de l'AMF. Le dossier doit être entendu devant un arbitre à partir d'aujourd'hui.

L'EXODE

Manuvie Dorval est ce bureau de courtage qui a fait l'objet de perquisitions de l'AMF en décembre 2014. L'organisme avait alors des motifs raisonnables de croire que des courtiers de cette succursale ont pu aider des clients à commettre des délits d'initié sur le titre boursier de l'entreprise de poker en ligne Amaya.

Dans les mois qui ont suivi la perquisition, une douzaine de conseillers financiers ont quitté Manuvie Dorval, dont les quatre représentants du litige. La superviseure du bureau, Heather Borelli, a été relevée de ses fonctions le 11 décembre 2014, soit le lendemain des perquisitions, et n'est plus inscrite comme courtier dans l'industrie depuis le 10 mars 2015.

Le 24 avril 2015, c'était au tour de Charbel Youwakim de quitter Manuvie Dorval. Il était vice-président et coactionnaire de 9114-6480 Québec inc., la société qui gère le bureau de Manuvie Dorval et qui fait aujourd'hui l'objet du litige.

Il y a cinq semaines, l'AMF a déposé des accusations de délits d'initié contre le PDG d'Amaya, David Baazov, deux de ses proches (Benjamin Ahdoot et Yoel Altman) et leurs entreprises. L'enquête porte sur des transactions boursières de quelque 20 millions de dollars. Aucun courtier de Manuvie Dorval n'a été visé par ces accusations.

Dans leur requête, les quatre ex-représentants de Manuvie Dorval affirment que la société à numéro « n'a jamais été autorisée à exercer, superviser ou être engagée dans les activités de courtier enregistré puisqu'elle n'a jamais été inscrite auprès de l'AMF ou d'un autre organisme de réglementation [...] tel que l'exige l'article 148 de la Loi sur les valeurs mobilières ».

Manuvie Dorval a longtemps été considérée comme le plus important pourvoyeur de revenus de courtage de Manuvie au Canada. Son modèle d'affaires indépendant, avec une société de gestion comme intermédiaire, est plutôt unique dans le réseau canadien de Manuvie.

UN COURTIER OU NON ?

Actuellement, le seul actionnaire enregistré de la société à numéro, Camille Estephan, a un permis pour vendre seulement des fonds communs. C'est Manuvie qui est enregistrée auprès des autorités et qui assure les services de conformité aux règles de l'industrie.

Nous avons demandé à l'AMF de se prononcer sur le genre de structure d'affaires de l'organisation. « Nous voyons mal comment une firme qui a des droits sur des clients pourrait ne pas être inscrite auprès de l'Autorité, indique le porte-parole Sylvain Théberge, sans commenter ce dossier en particulier. Cela dit, une meilleure connaissance des enjeux rattachés au cas permettrait d'offrir une réponse plus précise ».

Joint au téléphone, l'avocat de la société à numéro, Laurent Debrun, souligne que ce litige n'a rien à voir avec l'affaire Amaya. « C'est une réclamation contractuelle de mes clients contre les ex-conseillers. Ils devaient payer un montant en quittant et ils ont refusé de le faire », dit l'avocat.

L'entreprise est-elle un courtier ? « 9114 n'est pas un courtier, mais une compagnie de gestion de la succursale », a dit MDebrun, qui ne veut pas débattre les droits que peut avoir ou non 9114-6480 Québec inc. sur des clients en valeurs mobilières, puisque le dossier est en arbitrage.

L'avocate des quatre représentants, Karen Rogers, n'a pas voulu faire de commentaires sur l'affaire, pas plus que le porte-parole de Manuvie, Graeme Harris.