Le groupe Couche-Tard s'est imposé au fil des ans - et de nombreuses et complexes transactions - comme un géant de l'exploitation de dépanneurs en Amérique du Nord et en Europe. Jean-Philippe Décarie a rencontré sur les verts l'un des quatre cofondateurs de cet empire du détail, Richard Fortin, qui a été, pendant près de 25 ans, chef de la direction financière du groupe québécois. Aujourd'hui semi-retraité, Richard Fortin en profite pour pratiquer à fond sa grande passion, le golf.

C'est au cours d'une fête, organisée par un ami commun à la fin des années 70, que Richard Fortin fait la rencontre d'Alain Bouchard. «On a passé la soirée à discuter d'affaires et de toutes sortes de choses. On est devenus amis sur le coup», se rappelle-t-il. Alain Bouchard était superviseur pour la chaîne de dépanneurs Perrette et Richard Fortin amorçait sa carrière de banquier. Ce fut le début d'une longue et fructueuse amitié.

Quelques années après cette première rencontre, Richard Fortin abandonne sa carrière de banquier pour se joindre à Alain Bouchard et son associé Jacques D'Amour qui venaient de semer les premières graines de ce qui allait devenir Couche-Tard, la multinationale de l'accommodation que nous connaissons aujourd'hui.

«J'avais commencé ma carrière à la Banque de Montréal puis je suis passé à la Banque Mercantile et ensuite à la banque française Société Générale qui avait décidé de s'implanter au Canada.

«En 1982, Alain m'a appelé parce qu'il avait de la difficulté à trouver le financement nécessaire pour acheter trois dépanneurs. Il en opérait déjà trois, mais les banquiers étaient frileux à ce qu'il double de taille», se rappelle-t-il.

On était à peine sorti de la terrible récession de 1981, avec des taux d'intérêt à deux chiffres et l'industrie des dépanneurs n'était pas ce qu'elle est devenue. Mais Richard Fortin réussit à trouver le financement pour réaliser la transaction.

«Alain voulait que je devienne son conseiller financier personnel. Je lui ai plutôt dit que je voulais embarquer et investir dans son projet de développer une chaîne de dépanneurs», relate celui qui allait devenir l'architecte financier de la fulgurante expansion de Couche-Tard.

Bâtir une organisation

Deux ans plus tard, en 1984, Richard Fortin quitte son poste de vice-président pour le Québec de la Société Générale pour s'occuper à temps plein des finances du groupe de 12 dépanneurs qu'Alain Bouchard et Jacques D'Amour avaient constitué.

«Mon président à la Société Générale ne comprenait pas quand je lui ai dit que je m'en allais opérer des dépanneurs. «Qu'est-ce, que vous dites? Qu'est-ce que vous dîtes?», me répétait-il dans cesse. Lui, comme plusieurs autres, pensaient que j'avais perdu la tête d'abandonner ma carrière de banquier», explique-t-il en riant.

Quelques mois après son arrivée chez Couche-Tard, un quatrième associé se joint au groupe. Réal Plourde, un ingénieur qui venait de passer plusieurs années en Afrique, s'occupera des opérations.

Les tâches se sont partagées naturellement. Alain Bouchard, le président, s'occupe du développement. Jacques D'Amour, de tout le volet immobilier, Réal Plourde, prend en charge les opérations et Richard Fortin dirige les finances.

«Mais comme on avait seulement 12 magasins, chacun avait la responsabilité de gérer 3 dépanneurs. C'est là que j'ai appris le métier», concède-t-il.

L'histoire accélère

À partir de là, l'histoire s'est mise à accélérer. Le groupe de 12 dépanneurs fait l'acquisition d'une chaîne de 11 dépanneurs Couche-Tard à Québec et réalise une première émission d'actions (2 millions!!!) en 1986.

En 1987, Couche-Tard absorbe les 75 magasins 7 Jours du Groupe Metro contre un échange d'actions. En 1993, ce sont les 60 dépanneurs La Maisonnée qui sont acquis puis les 86 magasins Perrette l'année suivante. En 1996, Couche-Tard lance une offre sur la société ontarienne Silcorp qui avorte.

«On s'est repris en 1997 en achetant C-Corp à Provigo, ce qui comprenait 245 magasins Provi-Soir au Québec et 50 dépanneurs Wink's en Ontario et en Alberta», précise Richard Fortin.

Deux ans plus tard, nouvelle offre sur Silcorp, réussie celle-là. Couche-Tard met la main sur 980 magasins en Ontario et dans l'Ouest canadien contre 220 millions dont la moitié est composée d'actions de Couche-Tard.

Construire la crédibilité et rester proche des opérations

«À chaque transaction, on devenait meilleurs, plus aguerris et plus crédibles. C'était important d'asseoir notre crédibilité dans le marché et la communauté financière», souligne Richard Fortin.

«Souvent, Alain raconte que j'étais celui qui disait non. Je ne disais jamais non, mais je disais pas tout de suite, quand on sera prêt», convient-il.

«On a toujours raffiné nos méthodes, mais à la base, on est toujours restés proches des opérations. C'est ce qui nous distingue encore. Quand on réalisait une acquisition, ce n'était pas pour obtenir un retour sur le capital de 3%, mais de 10% ou même 15% au minimum.»

Après une première incursion aux États-Unis en 2001, avec l'acquisition de Johnson Oil et ses 225 dépanneurs dans le Midwest, Couche-Tard sonne le grand coup, en 2003, en achetant la chaîne de 1663 magasins Circle K à ConocoPhilips pour 1,2 milliard.

«Ç'a été une première à plusieurs égards. On a été cherché du financement bancaire au Canada et aux États-Unis, on a réalisé une émission d'obligations de 350 millions aux États-Unis et on a réalisé une émission d'actions de 200 millions.

«Ce qui laissait un bon endettement, mais je savais qu'on allait rapidement réduire cette dette en vendant à des fonds immobiliers pour 200 millions de nos immeubles. On ne gère pas de l'immobilier, on gère des dépanneurs», rappelle Richard Fortin.

En 2008, à 60 ans, Richard Fortin a quitté la direction financière de Couche-Tard pour prendre la présidence du conseil d'administration, poste qu'il a cédé depuis à Réal Plourde, autre associé de la première heure.

«Je suis toujours membre du conseil de Couche-Tard. Je participe chaque mois à la revue des activités, lorsque les responsables de nos 21 divisions opérationnelles font le bilan de leurs résultats, des derniers développements et de leurs nouveaux concepts», explique Richard Fortin.

Il est également membre des conseils de Transcontinental, de la Banque Nationale et de Banque Nationale Assurance-vie, mais Couche-Tard reste le bébé qu'il suit avec assiduité et qu'il conseille toujours.

«Nous, les quatre fondateurs du départ, on a toujours 23% des actions en circulation de Couche-Tard et on contrôle 54% des votes. On va toujours avoir à coeur les intérêts de l'entreprise qui reste d'ailleurs le meilleur investissement que chacun des quatre pourrait faire», conclut le financier qui sait compter.

Depuis qu'il a quitté la direction financière de Couche-Tard, en 2008, Richard Fortin en profite pour faire du rattrapage et jouer les rondes de golf qu'il n'a pas eu le temps de terminer durant les 25 ans où la forte croissance de l'entreprise accaparait l'essentiel de son temps. Calme de nature, Richard Fortin est un joueur appliqué qui évalue bien les difficultés avant d'exécuter chacun de ses coups. La présence d'une «camérawoman» et d'un photographe durant les quatre premiers trous du parcours que nous avons joué ensemble l'a toutefois un peu perturbé. Il est le premier à l'admettre lorsqu'il commet un double boguey en leur présence. Après le départ des capteurs d'images, Richard Fortin est rapidement revenu à la partie qu'il joue habituellement, alignant de façon régulière les normales sur le deuxième neuf. Un golfeur régulier, qui évite de se mettre inutilement les pieds dans les plats. À l'image de sa carrière de financier, au cours de laquelle il ne s'est pas souvent trompé de bâton...