Bientôt quatre ans que Fasken Martineau a fusionné avec un cabinet d'avocats londonien. Comment se porte le mariage? La Presse est allée vérifier sur place, dans la capitale britannique.

En affaires comme dans la vie, les mariages d'amour ne sont pas toujours ceux qui finissent bien. Il arrive même parfois que la raison soit un bien meilleur ingrédient pour traverser l'épreuve du temps. Prenez Stringer Saul. En 2006, ce petit cabinet d'avocats londonien a uni sa destinée au géant canadien Fasken Martineau. Par amour? Peut-être. Mais a priori, ce sont plutôt les intérêts convergents qui ont convaincu ces deux cabinets de convoler en justes noces. Stringer Saul voulait grossir, Fasken souhaitait pénétrer le marché juridique de Londres, après 25 ans de louables mais vains efforts. Alors, ils se sont dit oui mutuellement.

Près de quatre ans plus tard, le mariage dure toujours. Mais est-il solide? En tout cas, «aucun avocat n'a quitté le cabinet à cause de la fusion», souligne dans un bel accent british l'associé directeur de Fasken à Londres, Gary Howes, 47 ans. Un bon signe, explique-t-il, car habituellement, plusieurs quittent le navire dans ce genre de situation, préférant aller voir ailleurs, car incapables de cadrer dans la nouvelle structure.

Gary Howes, lui, a l'air de se plaire comme patron de ce cabinet qui compte désormais près d'une centaine de professionnels. Et ne semble pas s'ennuyer du petit bureau où il a passé 18 ans. Il est vrai que, physiquement, rien n'a vraiment changé: Fasken occupe les mêmes bureaux que Stringer Saul. La grande différence, c'est le nom sur l'écriteau à l'entrée de l'immeuble et le fait que le boss doit maintenant passer plusieurs jours par mois au Canada pour travailler avec ses nouveaux associés.

Mais en ce lundi après-midi, c'est dans la capitale britannique, dans les bureaux de Fasken, que Gary Howes accueille le journaliste de La Presse. L'immeuble est situé dans le quartier Mayfair, non loin des théâtres et à un coin de rue d'Oxford Street, le paradis du shopping avec ses 2,5 kilomètres de boutiques. L'entrée de l'immeuble donne sur un square tout vert comme il y en a des dizaines à Londres. Le midi, lorsqu'il fait beau comme cette semaine, les gens viennent y manger, emportant avec eux leur contenant de plastique rempli de sushis.

On est loin de la City - le quartier financier de Londres - où logent la plupart des grands cabinets d'avocats britanniques et américains. Mais l'ambiance est plus décontractée et le décor cadre davantage avec la taille du Fasken londonien. De toute façon, faut-il nécessairement des planchers de marbre et des sofas en cuir italien pour faire de bonnes affaires? «Regardez, me dit Gary Howes, en montrant par la fenêtre l'immeuble d'en face. C'est le cabinet d'avocats de Richard Branson (le PDG de Virgin). Un jour, il sera peut-être notre client!»

Le calme après la tempête

On dit que c'est dans les épreuves que l'on reconnaît les grandes équipes. La nouvelle entité a connu un premier test, en septembre 2008, avec la crise financière. Londres, comme centre financier international, a été particulièrement touché. Des milliers d'avocats se sont soudainement retrouvés sans emploi. Fasken, comme les autres, a dû licencier. «C'est simple, explique Gary Howes, les affaires se sont arrêtées d'un seul coup.»

Mais le cabinet s'est bien repris. Les effectifs sont revenus au même niveau qu'avant la crise. Un peu plus même, et un peu mieux. Une quinzaine de nouveaux avocats se sont joints à Fasken, à Londres, dont plusieurs grosses pointures de la concurrence. Ces embauches «latérales», comme on les appelle dans le milieu, auraient été quasiment impossibles avant la fusion, estime Gary Howes. «C'est la clé pour réussir dans ce marché, dit-il. Des avocats de haut calibre attirent de plus gros clients, qui en retour attirent de meilleurs avocats.» C'est le principe de la saucisse, en quelque sorte, appliquée aux avocats!

Avant la fusion, Stringer Saul était reconnu comme un cabinet de créneau, spécialisé dans le domaine des sciences de la vie, des mines et du financement sur le marché AIM. C'est encore vrai aujourd'hui, comme en témoigne le dernier classement de Hemscott, qui plaçait Fasken, en avril dernier, au neuvième rang parmi les cabinets au chapitre du nombre total de clients inscrits à la cote de l'AIM. Mais le cabinet a depuis ajouté quelques cordes à son arc, notamment dans le domaine du financement de projets ainsi qu'en litige. Récemment, c'est Fasken, à Londres, qui représentait Kuwait Airways dans un procès fort médiatisé. La société aérienne réclame 1,2 milliard de dollars à l'Irak pour s'être emparé de 10 appareils commerciaux et avoir pillé l'aéroport.

Un cabinet canadien ou un cabinet international?

Gary Howes est ambitieux. Cette fusion - cette prise de contrôle, précise-t-il -, il la voulait en 2006, ayant lui-même participé avec le comité de gestion aux négociations avec Fasken. Il estime que ce regroupement est un tremplin qui pourrait permettre à Fasken de rivaliser sur le plan international, un peu comme l'a fait par une série de fusions l'anglais DLA Piper, aujourd'hui un des plus grands cabinets du monde avec plus de 3500 avocats.

«Il y a quatre ans, Fasken Martineau était inconnu à Londres, dit-il. Aujourd'hui, on commence à parler de nous.» Et ce n'est qu'un début, selon lui.

Pour y arriver, il faudra toutefois changer les mentalités et la perception que les avocats ont d'eux-mêmes.

«Fasken s'est longtemps perçu comme un cabinet canadien faisant des affaires à Londres, dit-il. Pour l'avenir, Fasken doit devenir un cabinet international, aux origines canadiennes.»

Un de ses objectifs est que le cabinet obtienne des mandats avec des sociétés cotées ou sur le point d'être cotées sur la London Stock Exchange, la grande Bourse. C'est jouable, mais pas facile, car l'expertise du cabinet est surtout reconnue sur le marché AIM. Dans ce créneau, la concurrence est aussi pas mal plus vive, avec tous les grands cabinets internationaux qui se battent pour les mêmes clients. Comment réussir? En accompagnant les clients dans leurs projets d'expansion et en en convainquant d'autres que Fasken est un meilleur choix. Il faudra aussi continuer à persuader des avocats-vedettes de se joindre au cabinet.

Ce qu'il faudra aussi, estime Gary Howes, c'est convaincre les associés canadiens qu'ils ont le talent et l'expertise pour jouer dans la cour des grands. «Les avocats américains ont le réflexe de suivre leurs gros clients dans leurs projets internationaux, alors que les juristes canadiens hésitent encore à le faire et préfèrent souvent envoyer leurs clients vers de plus gros cabinets, dit-il. Il faut changer cette façon de penser.»

Vous avez des commentaires? Des questions? Des nouvelles sur la communauté juridique? N'hésitez pas à me joindre.

Pour joindre notre collaborateur: renelewandowski@droit-inc.com