Gildan a longtemps été le mal-aimé des industriels québécois. Encore aujourd'hui, la moindre incartade du fabricant de t-shirts fait l'objet de vives critiques. Son péché originel: sa production dans les pays pauvres.

Le dernier reproche en date est sa réaction au tremblement de terre en Haïti, où ses sous-traitants cousent du textile. Le lendemain du séisme du 12 janvier, Vêtements de sport Gildan à publié un communiqué maladroit pour faire le point sur la situation.

Il y est question de «minimiser les ruptures de production», de subvenir à la «demande de t-shirts» et de déplacer la production en République dominicaine, au Honduras et au Nicaragua. L'aide humanitaire pour cette catastrophe de plus de 200 000 morts vient seulement au quatrième paragraphe.

À partir du communiqué, les agences de presse titrent «Gildan transfère sa production d'Haïti», laissant un goût amer aux lecteurs, atterrés par l'insensibilité présumée de l'entreprise de Montréal.

Ces dernières années, Gildan a été montrée du doigt parce qu'elle fabriquait des t-shirts dans des pays pauvres, parce qu'elle semblait y empêcher la syndicalisation, parce que ses dirigeants empochaient de gros salaires, etc.

Consciente de l'importance de ces enjeux publics sur ses affaires, la direction de Gildan a progressivement corrigé chacune de ces lacunes. Ses usines respectent maintenant les plus hauts standards de l'industrie, ralliant même des groupes comme la Fair Labor Association et le réseau alter-mondialiste Maquila Solidarity Network.

L'éthique de ses politiques de rémunération est maintenant citée en exemple et l'entreprise fait des «efforts incroyables sur le plan environnemental, avec des traitements biologiques naturels pour ses résidus d'encre», explique Christian Godin, gestionnaire de portefeuille pour le compte de Montrusco Bolton.

Dans le cas d'Haïti, il appert que la bévue de l'entreprise ne reflète pas la réalité, dit M. Godin. Gildan a offert des fonds, de la nourriture et des vêtements aux victimes. Elle est parmi les entreprises les plus généreuses au Québec, bien que sa taille soit moins importante que Desjardins ou la Banque Nationale, par exemple. Et Gildan compte poursuivre ses activités en Haïti, une fois les usines reconstruites.

Il y a 10 ans, faire produire ses biens dans les pays en développement suscitait la grogne. Mais en 2010, qui peut jeter la pierre à Gildan, maintenant que la majorité des industriels survivent grâce à leur production en Chine?

Bref, l'entreprise montre patte blanche. Et côté chiffres, elle se débrouille plutôt bien. Les années 2008 et 2009 n'ont pas été faciles, notamment en raison de la récession. Mais l'entreprise remonte la pente, si bien qu'à la mi-février, 10 des analystes financiers qui suivaient Gildan recommandaient d'acheter le titre et sept de maintenir leur position. Aucun ne suggérait de vendre.

Pour certains, le titre est cher, mais d'aucuns reconnaissent à Gildan d'avoir atteint son but: fabriquer au plus bas coût possible. «Ils ont révolutionné l'univers du t-shirt et ils veulent maintenant faire la même chose dans les sous-vêtements et les bas», dit M. Godin.

Au dernier trimestre, terminé le 31 décembre 2009, les ventes et les profits de Gildan ont été supérieurs à ce que prévoyaient les analystes. Les ventes ont atteint 220,4 millions US, en hausse de 19,8% sur le même trimestre de l'année précédente, et le bénéfice par action a été de 24 cents US.

Avant de soustraire les impôts, les intérêts et l'amortissement, le bénéfice d'exploitation s'est élevé à 44,4 millions durant le trimestre (BAIIA). Pour l'année complète, l'analyste Hugues Bourgeois, de la Financière Banque Nationale, s'attend à des ventes de 1,2 milliard US et un BAIIA de 234,4 millions US. L'analyste estime à 61,3% la part de marché de Gildan aux États-Unis dans le commerce de gros de ses produits (t-shirts, vêtements en coton molletonné, etc.).

«Nous croyons que l'histoire fondamentale de Gildan demeure intacte, drainée principalement par des gains de parts de marché dans le commerce de gros», écrit l'analyste Vishal Shreedhar, de UBS.

Avec une telle part de marché, la croissance de l'entreprise passe inévitablement par d'autres segments d'affaires. Pour Hugues Bourgeois, elle viendra surtout du commerce de détail.

Pour le moment, Gildan vend essentiellement ses t-shirts aux distributeurs. Ces derniers ajoutent souvent des logos ou autres motifs imprimés aux t-shirts avant de les revendre aux détaillants. Gildan veut maintenant augmenter ses ventes directes à des détaillants comme Wal-Mart.

Une usine au Vietnam?

Pour Vishal Shreedhar et Christian Godin, l'international est aussi une avenue importante de croissance. Gildan a d'ailleurs manifesté son intention de pénétrer l'Europe et l'Asie, où ils sont peu présents.

La direction a récemment révélé vouloir construire une méga-usine en Asie, où elle pourrait employer 20 000 personnes, autant que dans ses installations des Caraïbes. L'investissement pourrait avoisiner les 300 millions de dollars.

Gildan a les moyens de ses ambitions. L'entreprise n'a qu'une dette de 3,4 millions US, un niveau lilliputien considérant ses ventes prévues de 1,2 milliard US en 2010. Selon l'analyste Hugues Bourgeois, Gildan pourra donc faire de tels investissements sans émettre de nouvelles actions.

En somme, l'avenir est rempli de défis pour Gildan et son équipe de direction, dirigée par le PDG Glenn Chamandy et le chef des services financiers Laurence G. Sellyn.

«Le titre de Gildan est un investissement à très long terme, basé sur la vision de l'équipe de direction», dit Christian Godin, dont la firme Montrusco Bolton détient des actions depuis plusieurs années.