Le nom de Valleyfield évoque souvent une longue tradition de relations de travail difficiles.

Les conflits à l'usine de produits chimiques Expro et à l'usine de pneus Goodyear ont eu un retentissement qui dépasse de loin les limites de la municipalité.

La célèbre et pénible grève de la Montreal Cotton, en 1946, demeure un des faits marquants de l'histoire québécoise du syndicalisme.

Pendant près de 100 ans, à partir de 1877, la Montreal Cotton a fait de Valleyfield un des grands centres canadiens de filature du coton. L'usine a été achetée en 1948 par la Dominion Textile, et a fermé ses portes en 1985. Ses anciennes installations abritent aujourd'hui un hôtel.

De son côté, le fabricant de tee-shirts Gildan a fermé ses portes en 2006. Et Goodyear, un autre employeur important, a cessé sa production l'année suivante.

Assez déprimant, non?

Eh bien, non. Il faut se méfier des apparences.

Des statistiques encourageantes

Derrière ces tragédies se profile une ville beaucoup plus prospère qu'il n'y paraît à première vue.

Quelques chiffres: le taux de chômage se situe à 8% à Valleyfield, contre une moyenne provinciale de 9%. Indice encore plus intéressant, le taux d'activité y est légèrement plus élevé que dans le reste du Québec: 66,3% contre 65,2%. Le taux d'activité tient compte de tous ceux qui ont un emploi ou en recherchent activement un. Plus il est élevé, mieux c'est.

Et il ne faut pas croire que les emplois à Valleyfield sont de moindre qualité. Le revenu disponible par habitant y atteint 26 408$, en légère avance sur la moyenne québécoise de 25 494$.

Autrement dit, les Campivallensiens n'ont rien à envier aux autres Québécois. Les quoi?

Voilà sûrement l'un des gentilés les plus bizarres au Québec. Il provient en quelque sorte d'une transposition latine des mots anglais Valley (vallensis, petite vallée) et Field (campus, au pluriel campi).

Le nom complet de la municipalité, Salaberry-de-Valleyfield, fait aussi l'objet d'une anecdote historique.

En 1874, la paroisse de Saint-Cécile, comptant quelque 3000 personnes, reçoit le statut de ville.

Les habitants francophones veulent donner à la nouvelle municipalité le nom du colonel de Salaberry, qui s'est brillamment illustré à la bataille de la Châteauguay, en 1813.

Les habitants anglophones, minoritaires mais influents, veulent imposer Valleyfield.

Le nom de Salaberry-de-Valleyfield est une sorte de compromis entre les deux. Avec l'usage, seul le nom anglais a survécu dans la vie de tous les jours, même si le français est la langue maternelle de 97% des habitants de la ville.

Dynamisme entrepreneurial

Ainsi donc, malgré toutes les tuiles, l'économie campivallensienne se tire plutôt bien d'affaire.

C'est à cause des PME et du dynamisme entrepreneurial local.

Quand Goodyear annonce 1200 mises à pied, ça fait les manchettes partout au Québec. Mais pendant ce temps, personne ne parle des centaines d'emplois qui se créent dans les petites et moyennes entreprises.

C'est ce qui se passe à Valleyfield, et ce Portfolio fournit quelques exemples particulièrement éloquents à cet égard.

Mais tout ne va pas comme sur des roulettes. Les employeurs locaux font même face à un problème grave: la difficulté de retenir, à plus forte raison d'attirer de la main-d'oeuvre qualifiée.

La population vieillit. Dans l'ensemble du Québec, les citoyens âgés de 65 ans et plus représentent 14% de la population.

À Valleyfield, cette proportion grimpe à 18%. Les jeunes ont tendance à partir pour aller tenter leur chance à Montréal.

La croissance démographique est proche de la stagnation. Entre 2001 et aujourd'hui, la population a augmenté de 39 569 à 40 477 habitants, à peine 900 personnes de plus.

Cela donne un rythme de croissance insignifiant de 2,2% en six ans, comparativement à une moyenne québécoise de 4,8% durant la même période.

Mutuelle d'attraction

Dans ces conditions, il n'est pas surprenant que Valleyfield ait vu naître, en 2007, une initiative extrêmement originale et prometteuse en matière de rétention et d'attraction de la main-d'oeuvre: la Mutuelle d'attraction de Valleyfield-Huntingdon.

Le nom peut sembler curieux mais il dit bien ce qu'il veut dire: c'est une association d'entrepreneurs locaux (il y en avait 12 au départ, ils sont maintenant 28, représentant 3700 employés) qui collaborent avec les autorités (scolaires, municipales, centres de développement) pour concevoir et financer des programmes destinés à attirer des travailleurs à Valleyfield.

Deux exemples concrets:

> Cette année, quelque 70 élèves de troisième et quatrième secondaire ont passé des stages dans des entreprises locales. Parmi eux, plusieurs présentaient des risques de décrochage. Ces stages ont permis à des dizaines de jeunes de découvrir des possibilités d'emplois attrayantes dans leur propre région.

Naturellement, la Mutuelle offre une formation au personnel de l'entreprise pour bien encadrer le stagiaire, et assure le suivi après le stage.

> Un autre programme original vise à faciliter les choses au travailleur qui s'installe dans la région. On l'aide à trouver une maison, à dénicher des places en garderie pour ses enfants, à trouver un emploi pour sa conjointe. Le programme comprend même, délicate attention, une visite guidée et personnalisée de la région. La grande séduction, sauce campivallensienne...

Il faut dire que Valleyfield possède aussi un atout de taille: son site naturel. Si vous arrivez en ville par le boulevard du Havre, vous aurez une vue sur un magnifique plan d'eau, avec en toile de fond la silhouette du centre-ville dominée par la cathédrale Sainte-Cécile.

Certains surnomment Valleyfield la «Venise du Québec». C'est un brin ostentatoire, disons, mais le fait est que l'eau est partout, jusqu'au centre-ville, et qu'on y a aménagé des installations (marina, parc Sauvé) de grande qualité.

Ce n'est d'ailleurs pas pour rien que la ville accueille à chaque année ses célèbres régates, qui comptent parmi les événements du genre les plus courus en Amérique du Nord.