Outre des efforts de sensibilisation, un affinement des piliers A en usine ou une réduction du nombre de camions légers en circulation, d’autres solutions peuvent limiter les dangers liés aux angles morts de part et d’autre du pare-brise des voitures.

Des aménagements mieux réfléchis

L’aménagement des intersections peut aider à ce que les piétons se trouvent le moins possible dans les angles morts créés par les piliers A. Sandrine Cabana Degani, directrice générale de Piétons Québec, cite par exemple les saillies de trottoir et l’élargissement des passages piétons. Les feux verts exclusifs aux piétons permettent aussi d’éviter que ceux-ci côtoient les véhicules de trop près. « Si elle avait pu bénéficier d’une phase exclusive, les risques d’impact auraient sans aucun doute diminué », note la coroner au sujet de la mort de Rosa Presta, probablement liée aux piliers de pare-brise, survenue en 2020. « Le moins de conflits tu crées entre les usagers de la route, le mieux c’est », observe Julien Dufort, ingénieur et membre de l’équipe de sécurité routière à Polytechnique Montréal. « Mais encore faut-il que les piétons et les cyclistes soient disciplinés. »

Des piliers inventifs

IMAGE FOURNIE PAR CONTINENTAL

Technologie de piliers numériques créée par Continental

Les constructeurs ont tenté de contourner les angles morts causés par les piliers A par toutes sortes de façons. L’an dernier, par exemple, GM a fait breveter une technologie afin que des portions des piliers soient « imprégnées d’une résine ou d’un composite transparent », améliorant ainsi la visibilité. La Société de transport de Montréal souhaite quant à elle étendre un projet pilote de miroirs-rétroviseurs sur ses autobus afin de réduire les angles morts lors des virages à gauche. En 2014, Jaguar Land Rover a développé des piliers « écrans » qui transmettaient les images dissimulées grâce à un système de caméras. En 2017, Toyota a déposé une demande de brevet après avoir créé un système de miroirs rendant pratiquement invisibles les piliers de pare-brise. L’année suivante, c’était au tour de Continental de développer sa technologie de piliers numériques. Ces inventions n’ont toutefois pas percé le marché de masse, principalement pour des motifs financiers.

Inclure les piétons dans les essais

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE L’EURO NEW CAR ASSESSMENT PROGRAM

En Amérique du Nord, le New Car Assessment Program ne tient pas compte, pour l’instant, des usagers de la route à l’extérieur de l’habitacle.

Les organismes qui décernent des cotes de sécurité aux véhicules neufs vendus au Canada et aux États-Unis comme l’Insurance Institute for Highway Safety (IIHS) et le New Car Assessment Program (NCAP) ne tiennent pas compte, pour l’instant, des usagers de la route à l’extérieur de l’habitacle, comme c’est le cas en Europe et au Japon. « Ça influence vraiment les constructeurs, note Sandrine Cabana Degani, directrice générale de Piétons Québec. Des constructeurs américains ajoutent des dispositifs de sécurité lorsqu’ils envoient leur véhicule en Europe pour avoir une meilleure cote. » La National Highway Traffic Safety Administration (NHTSA) a déposé en mai dernier un projet pour inclure la sécurité des piétons dans les tests – facultatifs – du NCAP. « Nous avons identifié plusieurs lacunes dans l’approche proposée par la NHTSA », souligne dans un courriel à La Presse Joseph Young, porte-parole de l’IIHS, qui plaide en faveur d’une réglementation stricte. « En l’absence de réglementation, nous avons encouragé la NHTSA à rendre les évaluations très visibles et à les intégrer à la note globale 5 étoiles d’un véhicule, plutôt que d’en faire une mesure distincte. » L’IIHS déplore en outre que les autorités planchent sur un résultat « réussite/échec » plutôt que sur un barème plus nuancé qui permettrait aux consommateurs d’être mieux informés.

Des aides à la conduite

IMAGE TIRÉE DU SITE DE TRANSPORTS CANADA

Illustration d’un avertisseur d’angles morts sur le côté et à l’arrière du véhicule

« Certains manufacturiers de voitures travaillent présentement sur des aides à la conduite », note le coroner Richard Primeau dans un rapport publié en 2018. « Ces aides seront sans doute très utiles dans le futur, poursuit-il. Par contre, avec ou sans ces aides à la conduite, un conducteur doit faire ce qu’il faut pour savoir ce qui se cache derrière un pilier de pare-brise avant de tourner un coin de rue. Il faut absolument qu’il s’avance ou se recule pour voir ce qui se cache derrière un tel pilier. » Sébastien Bédard, ingénieur au ministère des Transports du Québec, croit aussi que la solution passe par les technologies – par exemple les systèmes de surveillance des angles morts –, à condition que les chauffeurs s’y adaptent. « Quel va être l’impact sur le comportement ? se demande-t-il. Souvent, les équipements technologiques amènent un effet pervers de distraction et de perte de confiance envers le système en raison des fausses alertes. C’est quelque chose, à mon avis, qui n’a pas été assez étudié. »

Lisez le dossier « Sécurité des piétons : à un miroir d’être en vie »