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Quel est l’impact des incendies de forêt sur la faune ? – Micheline Rivet

À court terme, la plupart des animaux peuvent échapper aux flammes des incendies de forêt. Mais certaines espèces peuvent être touchées à moyen terme, particulièrement les oiseaux qui avaient déjà niché.

« Les gens s’imaginent que tout va mourir, mais beaucoup d’espèces sont capables de se déplacer », explique Steeve Côté, spécialiste du caribou à l’Université Laval.

La grande majorité des oiseaux sont très mobiles et échappent aux flammes. Les mammifères les plus grands, jusqu’au renard, aussi. Les plus petits, comme les souris, peuvent s’enfouir sous le sol. Je parierais que la grande majorité survit.

André Desrochers, ornithologue

Les espèces moins mobiles, par exemple le porc-épic, peuvent sentir les flammes de très loin. « Il faut des incendies qui progressent très vite pour causer de la mortalité chez ces espèces », dit M. Côté.

Les cas semblables aux koalas australiens brûlés vifs lors d’incendies sont donc rares ici.

Comme les incendies sont surtout survenus au début de la saison au Québec, les oiseaux n’avaient probablement pas encore niché, selon M. Desrochers. Ils n’ont donc pas perdu leurs oisillons, qui naissent au plus tôt un peu avant la mi-juin. « En Colombie-Britannique, où il y a eu des feux tout l’été, c’est probablement pire », dit M. Côté.

Concurrence

Les animaux affectés par le feu doivent, par contre, réhabiter de nouveaux habitats. « Dans certains cas, il s’agit d’espèces plus territoriales, alors il va y avoir de la mortalité liée à la concurrence, dit M. Desrochers. C’est une conséquence à moyen terme. »

D’autres espèces, par exemple les grands ongulés comme le caribou ou l’ours, mettent un certain temps à s’habituer à leur nouvel environnement.

Ils savent normalement où aller chercher la nourriture. Mais pendant qu’ils retrouvent leurs repères, ils sont plus vulnérables à la malnutrition, aux maladies.

Steeve Côté, spécialiste du caribou, Université Laval

Dans les terres brûlées, il y a par ailleurs des gagnants. « L’année suivant un incendie, des espèces d’oiseaux profitent des brûlis, dit M. Desrochers. L’espèce la plus célèbre est le pic à dos noir. C’est un pic-bois qui mange les larves des longicornes. Les longicornes adorent les brûlis, ils se nourrissent de la sève restante. Ils sentent l’odeur du feu. Les engoulevents aussi adorent les brûlis pour des raisons similaires. Les brouteurs comme les lièvres profitent de l’abondance de végétation basse qui est la première à repousser. Ils aiment les bosquets résiduels que souvent les feux vont laisser. »

Les incendies d’antan

Et à long terme ? « Les espèces qui habitent la forêt boréale sont ici depuis longtemps, dit M. Desrochers. Elles ont connu des saisons d’incendies bien pires que maintenant. Oui, cette année est la pire qu’on connaît, mais c’est parce que les données ne datent que d’une cinquantaine d’années. »

Quelques chercheurs travaillent sur les incendies de forêt des siècles et des millénaires passés. Dominique Arseneault, de l’Université du Québec à Rimouski, par exemple, a étudié les anneaux des arbres blessés par le feu le long de deux routes de la taïga, dans le Grand Nord. « On peut remonter 200 ans », dit M. Arseneault, qui se trouve justement à Radisson pour une campagne d’échantillonnage.

Les incendies de cette année sont-ils les pires depuis 200 ans ? « Oui, mais pas de beaucoup, dit M. Arseneault. Il y a des pics d’incendies tous les 15-20 ans. En 1922, il y a eu un pic un peu plus petit que cette année. Il faut maintenant voir si on va avoir des pics plus fréquents. Je dirais qu’on va avoir assez de données pour le dire d’ici une dizaine d’années. »

Pour remonter plus loin, il faut étudier les charbons présents dans les sédiments lacustres. Adam Ali, de l’Université de Montpellier, travaille depuis 20 ans avec des collègues de l’Université du Québec au Témiscamingue sur cette question. « On est moins précis qu’avec les anneaux des arbres, mais on peut assurément dire que les incendies de l’optimum climatique médiéval, quand les Vikings ont colonisé le Groenland, étaient beaucoup plus intenses au Québec » que ceux qu’on connaît maintenant, dit M. Ali.

Le biologiste forestier de Montpellier est justement sur le point de partir pour Caniapiscau. « Nous allons essayer de trouver un site où on peut étudier les arbres blessés par le feu et le charbon dans les sédiments des lacs, dit M. Ali. Avec ça, on va pouvoir faire une histoire un peu plus précise des incendies de forêt au Québec. »

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