La chaleur donne soif aux plantes, c’est bien connu. Mais elle peut aussi endommager une fonction essentielle des végétaux, celle-là même qui leur confère le rôle de poumon de la planète : la photosynthèse.

De plus en plus, les feuilles des forêts tropicales dépassent une température où la photosynthèse n’est plus possible, selon une nouvelle étude parue dans la revue Nature. « On peut parler de feuilles mortes, carrément », a expliqué en téléconférence de presse l’auteur principal de l’étude, Chris Doughty, de la Northern Arizona University. « Elles ne retrouvent plus la capacité de photosynthèse. Actuellement, 1 feuille sur 10 000 a dépassé cette température de 46,7 °C dans les forêts amazoniennes, australiennes et de Porto Rico. Mais si on atteint un seuil de 3,9 °C de plus qu’à l’ère préindustrielle, il va y avoir une mort massive des feuilles tropicales. »

À l’UQAM, Christian Messier, spécialiste de la photosynthèse et de la croissance des arbres, estime qu’il s’agit d’une étude « importante ». « On parle beaucoup d’arbres morts à cause du feu ou de la sécheresse, mais les arbres peuvent aussi mourir de chaleur même s’ils ne manquent pas d’eau, dit M. Messier. Dans les villes, on a déjà des températures de 4 °C supérieures à la moyenne. Personnellement, je vois de plus en plus de cimes d’arbres mortes à Montréal. C’est peut-être à cause de cela. »

Variable d’un arbre à l’autre

L’étude de Nature modélise l’effet de la température sur la photosynthèse chez des milliers d’espèces d’arbres. Mais elle doit pour ce faire utiliser des constantes qui ne reflètent pas exactement la réalité. « Nous n’incorporons pas, par exemple, l’effet de la mortalité des feuilles sur la température des autres feuilles », dit Greg Goldsmith, de l’Université Chapman en Californie, autre auteur de l’étude de Nature.

Autre simplification, la température critique (Tcrit), soit la température où les protéines responsables de la photosynthèse sont irrémédiablement endommagées, est considérée comme uniforme. Or, en pratique, la Tcrit varie beaucoup, selon Sean Michaletz, biologiste de l’Université de la Colombie-Britannique dont les travaux sont cités dans l’étude de Nature. « La Tcrit varie d’une espèce à l’autre, d’un arbre à l’autre chez une même espèce, et même d’une feuille à l’autre chez un même arbre », dit M. Michaletz.

Adaptation possible

Autre simplification, la Tcrit a tendance à augmenter au fur et à mesure que la température normale augmente. « On va avoir des feuilles dans un même arbre qui, d’une année à l’autre, ont une Tcrit plus élevée. Il reste à savoir si cette adaptation sera possible si la température augmente trop rapidement. Ou si les coups de chaleur, les fameux dômes de chaleur, feront mourir tellement d’arbres que l’adaptation des feuilles à des températures plus élevées sera enrayée. On prévoit notamment que d’ici la fin de l’année, les dômes de chaleur seront trois fois plus fréquents et longs dans l’ouest du Canada. »

L’ABC de la photosynthèse

La photosynthèse est la production de matière végétale à partir de la lumière du soleil (comme source d’énergie) et du dioxyde de carbone (CO2) présent dans l’air. La réaction permet à la plante de grandir et relâche de l’oxygène. Les plantes capables de photosynthèse retirent de l’air le CO2, un important gaz à effet de serre (GES), et forment ainsi un « puits de carbone » qui atténue les changements climatiques causés par les émissions de GES d’origine humaine.

Paléoclimat

Quand la Terre avait un taux de CO2 atmosphérique plus élevé, lors des périodes plus chaudes, la croissance des forêts était plus importante. Par exemple, à l’époque des dinosaures, il y a 100 millions d’années, il y avait 5 à 10 fois plus de CO2 dans l’atmosphère et la température sur Terre était supérieure de 5 à 10 °C par rapport à maintenant.

N’est-ce pas en contradiction avec les résultats de l’étude de Nature ? a demandé une journaliste lors de la téléconférence de presse. « Il est possible qu’à terme, la croissance des forêts soit plus importante que maintenant, mais que les changements de température actuels soient plus rapides que la capacité d’adaptation de la température Tcrit, a dit M. Doughty. Une chose est sûre, les modèles climatiques actuels n’incorporent pas vraiment la mortalité liée à la Tcrit. »

En revanche, les modèles climatiques tiennent compte d’une autre réaction de la photosynthèse à la chaleur, selon M. Michaletz.

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE L’UNIVERSITÉ DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE

Sean Michaletz, biologiste de l’Université de la Colombie-Britannique

L’efficacité de la photosynthèse augmente avec la chaleur, puis atteint un pic, un peu en dessous de 30 °C. Après, elle devient moins efficace, sans qu’il y ait des dommages irréversibles à la feuille.

Sean Michaletz, biologiste de l’Université de la Colombie-Britannique

« Il semble que les feuilles s’adaptent aussi au niveau de ce pic d’efficacité de la photosynthèse, qui survient à des températures plus élevées qu’avant », ajoute M. Michaletz.

Les stomates

IMAGE FOURNIE PAR LE DARTMOUTH COLLEGE

Les stomates, comme celui de cette feuille d’un plant de tomates vu ci-dessus au microscope électronique, sont des orifices qui permettent les échanges gazeux entre la feuille et l’atmosphère.

L’une des raisons pour lesquelles la photosynthèse commence à devenir moins efficace quand il fait plus chaud est le rôle des stomates. Il s’agit de portions des plantes où se produisent les échanges gazeux entre la feuille et l’atmosphère. Quand il fait plus chaud, les stomates aident à diminuer la température de la feuille en relâchant de la vapeur d’eau. Mais quand il manque d’eau, les stomates se ferment pour la conserver. Alors, la température de la feuille augmente. « Pour cette raison, il est difficile de modéliser la performance de la photosynthèse quand il fait chaud et humide, parce que les stomates restent ouverts en théorie, a dit M. Goldsmith en conférence de presse. Ça aide à garder la température de la feuille plus basse, donc à ne pas atteindre la Tcrit. »

Au Canada aussi

PHOTO AMBER BRACKEN, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

En 2021, des arbres de Colombie-Britannique ont été exposés à une température de 49,6 °C.

M. Michaletz publiera sous peu une analyse des réactions des arbres de Colombie-Britannique à un dôme de chaleur qui a frappé la province en 2021. « On a eu les températures les plus élevées jamais enregistrées au Canada, soit 49,6 °C. Nous voyons que la Tcrit varie de 35 à 50 °C chez les arbres de Colombie-Britannique. » Une autre étude, que publiera sous peu le biologiste de l’Université de la Colombie-Britannique, montrera que lors de plusieurs dômes de chaleur en Amérique du Nord, il y a eu une transition des écosystèmes vers des espèces ayant des Tcrit plus élevées. « Ce sont souvent des espèces à croissance rapide, qui ont tendance à stocker moins de carbone, donc à constituer un puits de carbone moins grand. »

En savoir plus
  • 280 ppm
    Concentration de CO2 dans l’atmosphère en 1750
    Source : NOAA
    417 ppm
    Concentration de CO2 dans l’atmosphère en 2022
    Source : NOAA
  • 300 ppm
    Concentration de CO2 dans l’atmosphère il y a 300 000 ans, le record des derniers 800 000 ans jusqu’à l’augmentation récente
    Source : NOAA