Si l’on sait depuis longtemps qu’un sommeil réparateur est bénéfique pour la mémoire, le rôle du rêve est encore assez mystérieux pour les scientifiques. Une équipe de chercheurs québécois et américains a essayé d’apporter un début de réponse à cette question en décodant le contenu de nos rêves pour les relier à des souvenirs plus ou moins lointains.

Lorsqu’on s’en souvient au réveil, certains rêves peuvent nous paraître très étranges, voire complètement inventés. Mais beaucoup pourraient s’appuyer sur des souvenirs bien réels. C’est en tout cas l’une des conclusions d’une étude publiée dans la revue Sleep en avril dernier.

« Plus de 85 % des rêves qu’on a collectés durant cette étude étaient associés à un souvenir ou à un élément de la vie éveillée du rêveur, comme une préoccupation, par exemple », explique Claudia Picard-Deland, auteure principale de l’article.

« Il pouvait même y avoir plusieurs sources de mémoire au sein d’un même rêve. La majorité en avait au moins deux, et ça pouvait aller jusqu’à dix », précise la chercheuse postdoctorante au Centre d’études avancées en médecine du sommeil de l’Université de Montréal.

Une nuit mémorable

Cette collecte de rêves a été réalisée par la chercheuse et son équipe lors d’une expérience regroupant une vingtaine de participants, venus passer la nuit au Centre médical de l’Université de Rochester, aux États-Unis. « On les a réveillés à peu près 12 fois durant la nuit pour collecter leurs rêves », explique-t-elle.

Les participants racontaient chaque fois leurs rêves – s’ils s’en souvenaient – avant de se rendormir jusqu’au prochain réveil. « Ce n’était donc pas une nuit très plaisante pour eux, mais ils étaient volontaires et motivés », dit-elle en souriant.

Claudia Picard-Deland souhaitait ainsi récolter des rêves en début, milieu et fin de nuit, de même que dans tous les stades du sommeil.

Quand nous dormons, nous passons par plusieurs cycles de sommeil qui durent environ 1 h 30 min. Chaque cycle est composé de plusieurs stades qui se succèdent : l’endormissement, le sommeil lent léger, le sommeil lent profond et le sommeil paradoxal. Et si ce dernier est traditionnellement désigné comme le royaume des rêves, on peut aussi rêver pendant les autres stades de sommeil.

Au début d’un cycle, pendant la phase d’endormissement, on peut avoir des rêves très fugaces. « Ça peut être des images rapides ou abstraites, des hallucinations sonores ou visuelles, des couleurs, des mouvements, des sensations corporelles étranges », illustre la chercheuse. À l’inverse, « les rêves en sommeil paradoxal sont beaucoup plus longs, riches et complexes, mais aussi plus émotionnels ».

« En sommeil lent léger, les rêves sont un peu moins immersifs, avec moins de sensations, et moins émotionnels également, ajoute-t-elle. Et en sommeil lent profond, les rêves sont courts, un peu flous. Parfois, on rêve de choses plus abstraites, ou plus conceptuelles. »

Des souvenirs plus ou moins lointains

Au petit matin, les participants ont été invités à relier les huit rêves qu’ils ont eus en moyenne durant la nuit à des situations, des émotions ou des évènements qu’ils ont pu vivre auparavant.

On ne rêve pas directement à des souvenirs. On ne rejoue pas les évènements comme dans un film, mais on peut rêver à des fragments de souvenirs ou à des éléments associés.

Claudia Picard-Deland, auteure principale d’une étude publiée dans la revue Sleep

Plus de la moitié des rêves des participants puisaient dans leurs souvenirs de la semaine précédente. Et plus on progressait dans la nuit, plus d’anciens souvenirs refaisaient surface.

« On pourrait penser qu’en début de nuit, on traite un évènement récent de manière plus directe. Puis, plus on progresse vers la fin de la nuit, plus on l’associe avec des souvenirs lointains, pour tranquillement l’intégrer à notre mémoire », explique-t-elle.

Il s’agirait d’une manière pour le cerveau de stocker un évènement récent au bon endroit dans sa vaste bibliothèque de souvenirs antérieurs.

Mais lorsque plusieurs souvenirs sont entremêlés, l’analyse peut s’avérer plus complexe pour les scientifiques. « Plus on s’éloigne d’un souvenir précis, plus ça peut devenir difficile de faire la distinction avec une création nouvelle », souligne Perrine Ruby, chercheuse au Centre de recherche en neuroscience de Lyon, en France.

Émotions et cauchemars

Et qu’en est-il des rêves un peu étranges, que l’on peut difficilement relier à un souvenir ?

« Certains disent qu’ils nous préparent à affronter des situations inconnues », répond Karim Benchenane, chercheur à l’ESPCI Paris, en France. « Se faire attaquer par des zèbres, ça ne m’est jamais arrivé. Mais j’en ai rêvé la nuit dernière, donc si j’en affronte un jour, je serai moins surpris », dit-il en plaisantant.

D’autres groupes de recherche, comme celui de Perrine Ruby, pensent que ces rêves nous aident à réguler nos émotions.

Si vous vous sentez dépassé par des difficultés professionnelles ou personnelles, ça peut se manifester par un rêve où vous êtes submergé par une vague. Donc ça peut être une métaphore de vos émotions, ou une façon de les évacuer.

Perrine Ruby, chercheuse au Centre de recherche en neuroscience de Lyon

« Mais ça peut aussi vous montrer une nouvelle perspective : vous pouvez vous rendre compte que, face à ce tsunami qui vous est arrivé dessus, vous n’avez pas eu si peur. Ça peut vous questionner sur le fond des choses », nuance Mme Ruby.

Cette régulation émotionnelle a aussi ses limites. « S’il y a une trop grande intensité émotionnelle, la régulation peut échouer et ça peut mener à un cauchemar », ajoute la chercheuse, qui est aussi auteure d’une revue de la littérature à ce sujet.

Claudia Picard-Deland est convaincue que ces recherches sur le lien entre les rêves et les souvenirs pourraient nous aider à mieux comprendre le fonctionnement de notre cerveau.

« Le sommeil ne renforce pas simplement la mémoire, affirme la chercheuse. Dans la vie de tous les jours, on ne veut pas se souvenir de tout, comme de ce qu’on a eu pour déjeuner il y a un mois. On veut extraire de la mémoire ce qui est le plus important, faire de nouvelles associations entre les choses. On veut être capables d’utiliser nos expériences passées pour mieux anticiper l’avenir et mieux agir dans le monde au réveil. Le sommeil pourrait jouer un rôle dans cela, et les rêves pourraient nous aider à mieux comprendre ces mécanismes. »

Consultez l’étude de Claudia Picard-Deland, publiée dans la revue Sleep (en anglais) Consultez la revue de la littérature rédigée par Perrine Ruby dans Frontiers in Psychology (en anglais)

Les rêves et les souvenirs, en chiffres

  • 87,2 % des rêves étaient liés à un souvenir
  • 55,5 % des rêves étaient liés à un évènement récent
  • 29,9 % des rêves étaient liés à un évènement lointain
  • 6,7 % des rêves étaient liés à un évènement à venir

Source : Sleep, 2023