Le voisinage de Patrick Archambault, ce violent récidiviste qui aurait tué sa conjointe début avril, s’était organisé pour tenter de le neutraliser bien avant le drame. Remuée par le reportage de La Presse paru mardi dernier, l’une de ces voisines a fait parvenir une lettre adressée au coroner peu après le drame, réclamant une enquête approfondie. Parce que, selon elle, la tragédie était prévisible, et évitable.

Voiture incendiée, violentes menaces, importante mobilisation policière : Patrick Archambault, un homme de Sainte-Julienne qui aurait mis fin à ses jours après avoir présumément tué sa conjointe Josée Barriault, était une véritable bombe à retardement, selon le voisinage. L’homme de 46 ans effrayait le quartier au point où plusieurs citoyens avaient demandé qu’il soit surveillé.

La famille de Sarah Deschênes garde en tout temps un bâton de baseball près de la porte d’entrée depuis quelques années. Les occupants de la maison avoisinante à celle de Patrick Archambault craignaient cet homme aux comportements impulsifs et violents, relate la femme dans une lettre poignante qu’elle a adressée au Bureau du coroner dans les jours qui ont suivi le drame, réclamant une enquête approfondie sur les évènements « prévisibles ».

Une grande frousse

En août 2017, Sarah Deschênes et ses enfants sont évacués par la police de leur domicile de Sainte-Julienne, dans Lanaudière.

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Les agents ont alors des raisons de croire que M. Archambault, un homme aux multiples antécédents judiciaires, est armé. « Ils souhaitaient éviter une prise d’otages en cas de résistance au moment de l’arrestation », explique Mme Deschênes dans un message adressé au Bureau du coroner et qu’elle a transmis à La Presse.

La petite famille se réfugie alors chez un voisin. La conjointe de l’époque de Patrick Archambault aurait été « sauvagement battue », leur explique le voisin.

Patrick rentre chez lui quelques jours plus tard.

Cette arrestation a marqué l’imaginaire de mes enfants. À partir de ce moment, nous avons pris soin de garder nos distances par rapport à Patrick.

Sarah Deschênes, dans sa lettre adressée au coroner

Deux ans plus tard, M. Archambault fait irruption devant chez elle en état d’ébriété. Il s’excuse de leur avoir fait peur et assure qu’il ne leur veut aucun mal.

C’est d’ailleurs à quelques pas de son terrain que le corps inerte de Josée Barriault a été trouvé en avril dernier. Selon l’hypothèse de la police, le couple se serait violemment attaqué cette journée-là. Josée Barriault, gravement blessée, serait sortie du domicile. Patrick Archambault se serait suicidé.

Le même voisin qui avait recueilli la famille lui a confié à l’hiver 2019 avoir trouvé une ancienne conjointe de Patrick dans l’entrée, ensanglantée. C’était environ un an avant qu’il rencontre Josée Barriault. « Le fait que [ce voisin] ait recueilli la conjointe a provoqué une grande animosité entre les deux hommes. À la suite de cet évènement, il est arrivé à Patrick de se présenter avec son grand danois chez [le voisin], en pleine nuit, habillé en commando de l’armée », explique la femme dans sa lettre au coroner.

Les choses se détériorent en juin 2020 : la famille se lève un matin et constate que la voiture de M. Archambault est en feu. « Nous avons été réveillés par un bruit d’explosion. […] Comme il s’agissait d’une période de grande sécheresse, nous nous sommes assurés d’être prêts à évacuer à tout moment en cas de propagation de l’incendie », raconte Mme Deschênes dans sa lettre. Son conjoint passe de l’autre côté de la maison de Patrick Archambault et l’avise que sa voiture brûle, qu’il doit sortir. « Allez-vous-en ! J’ai des fusils, j’ai des grenades ! », lui répond ce dernier en hurlant. Il a dû être sorti de force de la maison par la police pour permettre aux pompiers de maîtriser le brasier.

Voisins terrifiés, autorités impuissantes

Plusieurs voisins se sont mobilisés pour que Patrick soit placé dans un appartement supervisé, rapporte Sarah Deschênes. Ses dérapages, vraisemblablement provoqués par des problèmes de consommation, terrifient les résidants du paisible quartier. « [Une voisine] explique aux policiers et aux services sociaux que Patrick menaçait non seulement la sécurité de ses conjointes, mais également celle de ses concitoyens et qu’il fallait qu’il soit soumis à une surveillance plus serrée parce qu’un évènement grave risquait de se produire un jour », se remémore Mme Deschênes en entrevue. Les autorités répondent qu’elles ne peuvent rien faire « tant que rien de grave ne se produirait », écrit-elle dans sa lettre.

Plusieurs voisins ont quitté le quartier.

Nous avons également songé à le faire [déménager], mais comme il ne s’agissait que d’une résidence secondaire, nous avions l’avantage de ne pas être aux premières loges de la violence récurrente de Patrick. Mais nous avions peur.

Sarah Deschênes, dans sa lettre adressée au coroner

L’homme était tout à fait capable de tuer l’une de ses conjointes lorsqu’il dérapait, il ne voyait plus clair et perdait le contrôle, pense alors Sarah Deschênes. « Nous dormions désormais avec un bâton de baseball à notre portée et nous avions acheté un chien pour nous défendre. Nous étions des victimes collatérales de la violence de Patrick. »

Des morts « évitables »

« Ces morts, selon moi et plusieurs des personnes ayant connu Patrick, étaient évitables parce que prévisibles », poursuit Mme Deschênes dans sa lettre adressée au coroner.

L’homme n’était probablement pas mauvais, estime-t-elle.

[Patrick Archambault] avait besoin d’aide spécialisée, une aide qu’il n’a pas obtenue, qu’il ne voulait probablement pas recevoir d’ailleurs.

Sarah Deschênes, dans sa lettre adressée au coroner

Le Québec a été frappé par une troublante vague de féminicides en 2021. « Nous avons tout de suite pensé à Patrick. Nous savions qu’un jour, nous pourrions lire qu’il avait tué l’une de ses conjointes », se désole Mme Deschênes. Son conjoint et elle apprennent en avril dernier dans les nouvelles qu’un drame s’est produit à Sainte-Julienne dans la rue où habitait le suspect. « Il l’a fait », se dit automatiquement le couple.

Manque de prévention

« À nos yeux, la mort de Josée Barriault était une mort annoncée », explique Mme Deschênes en entrevue avec La Presse.

Dans sa lettre envoyée au Bureau du coroner, elle s’interroge notamment sur l’aspect prévisible des deux morts. « Comment se fait-il que nous, qui n’en sommes que des témoins éloignés, savions déjà qu’un jour, le pire pourrait se produire ? »

Il y a un cruel manque dans le système pour les hommes violents récidivistes, juge-t-elle. Tout est mis sur les épaules de la famille ou des proches. Et des femmes en paient le prix.

« Ils sont parfois incarcérés un certain temps, puis sont mis en liberté. Et ainsi de suite. Une valse qui mène parfois à la mort de quelqu’un », estime la voisine.

L’histoire jusqu’ici

1er avril 

La Sûreté du Québec localise Patrick Archambault, gravement blessé, à son domicile de Sainte-Julienne, dans Lanaudière. Il succombe à ses blessures à l’hôpital le lendemain.

2 avril 

Sa conjointe Josée Barriault est trouvée morte à l’extérieur, à quelques pas de la maison.

Fin juin 

Selon l’hypothèse des autorités révélée à la famille des mois plus tard, Patrick Archambault aurait tué sa conjointe, puis aurait mis fin à ses jours. L’homme avait de nombreux antécédents judiciaires, dont trois dossiers de violence conjugale. La police était déjà intervenue auprès du suspect dans le passé.

Un cas préoccupant

Le cas de Patrick Archambault et de Josée Barriault comportait de « nombreux signes avant-coureurs », estime Louise Riendeau, du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale. Le drame est survenu alors que les ressources d’hébergement manquent de place, soutient-elle.

« Beaucoup d’intervenants ont été mis au courant [de la situation]. Il sera intéressant de voir si le rapport du coroner donnera lieu à de nombreuses recommandations », laisse-t-elle tomber. Sans commenter le cas de Mme Barriault, elle admet que la confiance des victimes de violence envers le système judiciaire s’effrite. « Quand on est face à un individu qui ne tient pas compte des ordonnances qu’on lui impose, c’est quelqu’un qui peut être dangereux. » Les refuges pour femmes violentées débordent, particulièrement à Montréal et en Outaouais, ajoute par ailleurs Mme Riendeau.

« Que cette femme n’ait pas trouvé de ressources, ça ne me surprend pas. » Le financement demeure insuffisant alors que, selon elle, les besoins sont criants. « On manque de places. Cette année, on demande du financement pour quatre autres maisons. »

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