(Québec) Le gouvernement Legault plonge le réseau de la santé de la Côte-Nord « dans une crise précipitée » et « sans précédent » avec sa loi pour mettre fin au recours aux agences de placement, dénoncent des médecins de la région. Le tiers des lits devront être fermés d’ici dimanche et des patients déplacés vers Québec. Les activités aux urgences et dans les blocs opératoires seront réduites.

« C’est plus qu’une réorganisation des soins, là, on va transférer des gens qui sont malades, vulnérables un peu partout au Québec, en fonction de la disponibilité des hôpitaux […] On nous parle d’un plan de contingence qui est une catastrophe », déplore en entrevue le DYoussef Ezahr, président du conseil des médecins, dentistes et pharmaciens du CISSS de la Côte-Nord.

« C’est une faillite des soins et ce n’est pas la faute de la direction du CISSS de la Côte-Nord […] Le Ministère nous a poussés jusqu’à ce niveau-là », ajoute-t-il.

Dans une lettre transmise à La Presse, 20 médecins de la région lancent un signal d’alarme : « Nous sommes aujourd’hui témoins d’une crise sans précédent dans notre système de santé régional. Cette fois-ci, il s’agit bel et bien d’une crise précipitée par notre gouvernement », écrivent-ils.

Le CISSS de la Côte-Nord a annoncé lundi une vaste réorganisation pour pallier le départ d’employés d’agences privées de placement. À compter du 19 mai, on prévoit une « forte réduction » des services, par exemple une diminution des soins à domicile et un ralentissement des services pour les soins courants.

À Baie-Comeau et à Sept-Îles, la capacité aux urgences sera limitée aux civières disponibles, c’est-à-dire qu’il n’y aura pas d’espace pour le débordement. La moitié des salles d’opération ne serviront plus, tandis qu’une quarantaine de lits d’hospitalisation seront fermés sur la Côte-Nord. À Baie-Comeau, on procédera aussi à la fermeture de la pouponnière et de la pédiatrie.

Cette situation exceptionnelle découlerait de l’entrée en vigueur des dispositions de la nouvelle loi pour mettre fin au recours à la main-d’œuvre indépendante dans le réseau de la santé et de l’application d’un contrat mammouth uniformisant les pratiques à l’échelle de la province.

Depuis le 14 avril, Québec plafonne les tarifs payés aux agences par titre d’emploi. Le gouvernement a aussi resserré des règles entourant l’attribution des contrats de gré à gré. Cela laisse peu de marge de manœuvre aux établissements de régions éloignées, comme le CISSS de la Côte-Nord, où la dépendance aux agences est énorme. La Presse s’y était rendue en avril 2022 alors qu’on anticipait déjà les effets de la loi à venir.

Lisez l’article « La Presse à Sept-Îles : “On ne peut pas vivre sans agence” »

En conférence de presse lundi, la PDG du CISSS, Manon Asselin, a expliqué que les nouvelles obligations relatives aux salaires rendent la Côte-Nord moins attractive pour le personnel d’agence. « Nous vivons une transition entre les différents contrats. On espère que la situation va se stabiliser dans les prochaines semaines », a-t-elle dit, selon des propos rapportés par Radio-Canada Côte-Nord.

Ces règles « effacent l’essentiel des avantages de notre main-d’œuvre indépendante, qui cessera alors en bloc de venir travailler dans notre région », soulignent les médecins.

Le CISSS de l’Abitibi-Témiscamingue a aussi annoncé lundi une importante réorganisation de ses services pour les mêmes raisons.

Sur la Côte-Nord, la main-d’œuvre indépendante occupe plus de 60 % des postes, écrivent les médecins. Cela équivaut à environ 600 employés. Par ailleurs, l’établissement cherche à embaucher une centaine de préposés aux bénéficiaires et une quarantaine d’infirmières.

Des mesures « inapplicables et dangereuses »

« Le 19 mai, la Côte-Nord devient essentiellement un immense territoire québécois sans réseau de santé fonctionnel capable de prendre en charge les besoins de sa population. Et cette population devra s’exiler à des centaines de kilomètres pour recevoir des soins appropriés, ajoutant un stress supplémentaire sur d’autres établissements », déplorent les médecins signataires.

« Un enfant qui fait une gastro-entérite […], on ne pourra même pas le garder à Baie-Comeau, on va devoir le transférer pour sa réhydratation. C’est une catastrophe ! », lance le DEzahr.

Cela veut dire que des patients seront déplacés vers la Capitale-Nationale et les grands centres. Sept-Îles, par exemple, se trouve à plus de 600 kilomètres de Québec.

Les signataires appuient la volonté du ministre Christian Dubé de sevrer le réseau de la santé et des services sociaux de la main-d’œuvre indépendante pour la réintégrer dans le système public. Mais ils déplorent que les mesures ne tiennent pas compte des réalités régionales. Sur la Côte-Nord, par exemple, le personnel d’agence vient majoritairement de l’extérieur de la région.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le ministre de la Santé, Christian Dubé

« Ces mesures visent la réintégration des professionnels dans le réseau, mais elles sont inapplicables et dangereuses sur la Côte-Nord. Les infirmières et autres travailleurs réintégreront le réseau proche de leur domicile, laissant ainsi un trou béant dans les services essentiels des Nord-Côtiers », écrivent-ils. Québec doit mettre en place des incitatifs pour que cette main-d’œuvre s’établisse en région.

En attendant, nous avons besoin de la main-d’œuvre indépendante pour faire fonctionner nos hôpitaux. C’est une réalité incontournable. Cette crise est accélérée inutilement par des décisions politiques et un manque d’écoute face à notre réalité régionale.

Extrait de la lettre signée par une vingtaine de médecins de la Côte-Nord

Le réseau doit « se serrer les coudes »

Dans une déclaration transmise à La Presse lundi en soirée, Christian Dubé rappelle que « tout le réseau doit se serrer les coudes afin de mettre fin à notre dépendance aux ressources provenant de la main-d’œuvre indépendante ».

« Nous avons franchi une première étape importante pour mettre fin à la main-d’œuvre indépendante avec l’imposition des tarifs maximums. Plusieurs agences ont répondu à l’appel d’offres aux nouveaux tarifs maximums, mais ne fournissent pas le personnel demandé. Il y a donc des réorganisations de services temporaires sur la Côte-Nord et en Abitibi-Témiscamingue, mais nous prendrons les mesures appropriées et nous mettons tout en œuvre pour rétablir la situation le plus rapidement possible », indique le cabinet de M. Dubé.

Québec espère abolir le recours à la main-d’œuvre indépendante dans l’ensemble du réseau d’ici 2026. Trois cibles ont été fixées selon les régions. La Côte-Nord fait partie de la dernière vague.

  • 20 octobre 2024 :
    Montréal, Laval, Montérégie, Capitale-Nationale et Chaudière-Appalaches
  • 19 octobre 2025 :
    Saguenay–Lac-Saint-Jean, Mauricie et Centre-du-Québec, Estrie, Lanaudière et Laurentides
  • 18 octobre 2026 :
    Bas-Saint-Laurent, Outaouais, Abitibi-Témiscamingue, Côte-Nord, Nord-du-Québec, Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine et Nunavik

En août dernier, les gestionnaires du réseau affirmaient que cette transition était « trop abrupte » et qu’elle risquait de provoquer des ruptures de services et de « déstabiliser » les conditions de travail des employés.

Lisez l’article « Fin des agences de placement en santé : une transition “trop abrupte”, selon les gestionnaires du réseau » Consultez la lettre des médecins de la région