Dans la fébrilité du moment, entre deux changements de lunettes et trois regards furtifs, la lumière du Soleil a certainement, pendant un instant, ébloui l’œil nu de certains spectateurs de l’éclipse. Était-ce trop court, ou trop long, pour endommager la rétine ? À quel moment faut-il s’inquiéter de problèmes de vision causés par l’éclipse de lundi ?

« Moi-même, j’ai senti un inconfort visuel après l’éclipse », dit l’ophtalmologiste Cynthia Qian, spécialiste de la rétine au CHU Sainte-Justine et à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont. « Mais c’est parti ce matin, alors j’imagine que c’est ce que beaucoup de personnes ont ressenti elles aussi. » Passer un après-midi au soleil, à jeter plusieurs coups d’œil au ciel pendant des heures, est déjà exigeant pour les yeux. Ajoutez à cela la fraîcheur de l’air et le vent, et il y a de quoi irriter la surface de l’œil. « Habituellement, je mets des verres de contact, mais aujourd’hui, j’ai mis mes lunettes pour reposer mes yeux », dit la Dre Qian.

« Quand on regarde l’éclipse partielle, juste avant et juste après la phase totale, c’est à ce moment qu’il y a les risques de brûlures à la rétine », rappelle le DJean-Marie Hanssens, professeur à l’École d’optométrie de l’Université de Montréal.

La bonne nouvelle, c’est que la plupart du temps, les gens regardent le Soleil pendant seulement quelques millisecondes, voire une ou deux secondes, et les dommages ne sont souvent pas permanent. Ils vont récupérer dans les heures qui suivent.

Le DJean-Marie Hanssens, professeur à l’École d’optométrie de l’Université de Montréal

Deux types de brûlures peuvent toucher l’œil. La kératite solaire (ou photokératite) est une surexposition aux rayons UV qui peut survenir à n’importe quel moment de l’année lorsqu’on est exposé au soleil, sur une piste de ski ou à la plage, par exemple. « C’est une sorte de coup de soleil sur l’avant de l’œil », dit le DHanssens. En général, ces dommages seront temporaires, même s’ils peuvent être très douloureux. « Un grain de sable dans l’œil, ça fait extrêmement mal. Alors, imaginez que toute la surface de l’œil est rugueuse… C’est une douleur qui peut être très aiguë, mais la surface va finir par se rétablir », dit la Dre Qian.

Le second type de brûlure, plus grave, touche la rétine, à l’arrière de l’œil. « Elle survient quand les gens regardent le Soleil droit dans les yeux », dit le DHanssens. Elle peut être aggravée lorsqu’on regarde le Soleil avec un instrument grossissant, comme des jumelles ou un télescope, qui n’est pas muni d’un filtre. Cette brûlure ne cause pas de douleur et son effet n’est pas immédiat. Les symptômes d’une rétinopathie solaire peuvent prendre une bonne journée à apparaître, et peuvent être permanents.

Quels sont les symptômes à surveiller ?

Essentiellement, un changement de la vision depuis l’éclipse. Le plus important symptôme est une tache noire dans le champ central de la vision, et qui suit le regard. « Normalement, dit le DHanssens, les gens auraient remarqué des symptômes lundi, mais ça peut aussi apparaître le lendemain. » La vision peut aussi être floue, embrouillée ou déformée, elle peut aussi présenter des changements de couleur.

La façon de décrire le changement de vision est différente selon les cas. « Je recommande aux gens de couvrir un œil à la fois pour mieux les tester », dit la Dre Qian. Si un œil a un défaut de vision, le cerveau cherchera à compenser avec l’autre œil. « En cachant un œil à la fois, ça permet de vraiment isoler les changements dans chaque œil. »

Et les yeux fatigués, après un bel après-midi passé au soleil ? « Non, ça ne devrait pas être un symptôme inquiétant », dit le DHanssens. « Pas plus que d’avoir les yeux rouges. On peut avoir eu une kératite solaire, mais il n’y avait pas plus de risque lundi que le reste de l’année. C’est comme un coup de soleil régulier, il faut attendre que le temps passe. On peut mettre des compresses froides pour se soulager. »

Ce qu’on doit surtout surveiller, ce sont des changements de nature visuelle, une perception différente, plutôt que de la douleur ou de l’inconfort.

Le DJean-Marie Hanssens, professeur à l’École d’optométrie de l’Université de Montréal

En cas de doute, les optométristes peuvent examiner l’œil à l’aide d’un scanneur pour déterminer les dommages à la rétine. Les optométristes et ophtalmologistes québécois ont d’ailleurs reçu comme consigne de signaler les cas de dommages aux yeux associés à l’éclipse au ministère de la Santé, qui en fera une compilation. « C’est difficile de savoir combien on pourrait avoir de cas au Québec, dit le DHanssens. Les données recueillies lors des autres éclipses montrent que l’incidence est quand même assez faible. » En 2017, aux États-Unis, seule une centaine de cas de rétinopathie solaire avaient été répertoriés parmi les millions de personnes qui avaient contemplé l’éclipse.