Cofondatrice de l’Association québécoise pour la douance, la Dre Marianne Bélanger vient d’être reconnue coupable de cinq chefs d’infraction disciplinaire pour avoir mal évalué cinq enfants, âgés de 7 à 16 ans, pour lesquels elle concluait à un profil de « double exceptionnalité », soit à la fois une douance et « un trouble associé », comme un trouble de déficit de l’attention ou une difficulté d’apprentissage.

Ce qu’il faut savoir

  • La neuropsychologue Marianne Bélanger est coupable de cinq chefs d’infraction disciplinaire.
  • Elle a fait défaut d’exercer sa profession dans les règles de l’art dans cinq dossiers.
  • Il s’agit de cinq cas d’enfants qui avaient reçu une évaluation pour « double exceptionnalité ».
  • Marianne Bélanger est la cofondatrice de l’Association québécoise pour la douance et a cofondé un centre spécialisé en développement de la douance.

Dans la décision de 81 pages rendue le 22 novembre, le Conseil de discipline de l’Ordre des psychologues du Québec indique que la Dre Bélanger a « fait défaut d’exercer sa profession de façon conforme aux règles de l’art en psychologie, notamment dans l’application d’un “testing des limites” » dans cinq dossiers entre 2017 et 2019. Le Conseil de discipline s’est rangé derrière le témoignage de l’experte, la Dre Éliane Chevrier, neuropsychologue pédiatrique, qui estime que la Dre Bélanger a notamment conclu à de « faux positifs » dans l’évaluation de la douance dans certains dossiers.

La Dre Bélanger est très connue dans le domaine de la douance. Elle a écrit un livre et donne des formations sur le sujet. Elle a également cofondé le Centre intégré de développement de la douance et du talent en 2019.

Le Conseil de discipline a reçu deux plaintes en 2019 de deux psychologues qui remettaient en question les conclusions auxquelles arrivait la Dre Bélanger dans l’évaluation de cinq enfants qui avaient obtenu un profil de double exceptionnalité. Cinq chefs d’infraction disciplinaires avaient été déposés l’an dernier⁠1.

La Dre Bélanger a plaidé non coupable aux cinq chefs. Les audiences se sont déroulées sur une période de 19 jours en 2022 et en 2023.

Dans son témoignage devant le Conseil de discipline, la Dre Bélanger a dit ne pas avoir évalué la douance dans ces cinq dossiers, mais plutôt la double exceptionnalité. « Elle explique que si la douance est représentée par le jaune et le trouble associé par le bleu, c’est du vert qu’elle évalue [la double exceptionnalité] et non pas du jaune ni du bleu », peut-on lire dans la décision disciplinaire.

Des expertises rejetées

On peut faire passer différents tests aux enfants dans le cadre d’une évaluation neuropsychologique, dont des tests psychométriques. La manière de faire passer ces tests est très encadrée. Mais les professionnels peuvent utiliser le testing des limites. Cette démarche « permet à un individu évalué de poursuivre au-delà des limites imposées pour voir s’il peut compléter un item qu’il échoue ou offrir un meilleur rendement dans des conditions différentes à celles imposées par les consignes du test », peut-on lire dans la décision. Le testing des limites « doit être utilisé avec prudence », est-il écrit.

Une neuropsychologue, la Dre Claudine Arcand, et une psychologue, la Dre Nathalie Desormeaux, qui agissaient comme expertes pour la Dre Bélanger dans ce dossier, ont affirmé qu’il « n’existait pas de normes applicables en matière de testing des limites » en 2017-2019 et donc que la Dre Bélanger « a respecté les règles de l’art dans l’évaluation neuropsychologique des cinq enfants ».

Le Conseil de discipline n’a toutefois pas retenu les témoignages des deux expertes, notamment à cause de la « faible valeur probante de leur rapport d’expertise ». Les deux expertes n’ont fourni « aucune preuve » démontrant que lorsque la Dre Bélanger évalue un enfant en utilisant le testing des limites, « elle s’est préalablement assurée que le score ainsi obtenu n’est pas le fruit du hasard », peut-on lire.

Et une autre jugée crédible

Le témoignage de la Dre Éliane Chevrier, qui agissait comme experte pour le syndic de l’Ordre des psychologues, a pour sa part été jugé crédible par le Conseil de discipline.

L’experte a analysé en détail le dossier des cinq enfants. Elle a notamment regardé le dossier d’une fillette de 7 ans soupçonnée d’avoir un TDAH. L’enfant avait des problèmes d’attention, d’impulsivité et d’agitation. Le rapport d’évaluation supervisé par la Dre Bélanger concluait à une double exceptionnalité. Mais selon l’experte Éliane Chevrier, le testing des limites a été utilisé pour « tirer systématiquement chaque indice vers le haut », ce qui « augmente la probabilité de créer […] une fausse douance ».

Dans le dossier d’une fillette de 8 ans qui avait des problèmes en français et en mathématiques et des difficultés à gérer sa colère, le rapport de la Dre Bélanger concluait aussi à une double exceptionnalité.

Le testing des limites a aussi été utilisé pour faire passer du 58rang centile (moyenne) au 97rang centile (zone très supérieure) les résultats de la petite fille au test de quotient global, est-il écrit dans la décision. Or, la Dre Chevrier « ne retrouve pas d’indices dans le dossier de la fillette pour conclure à une douance ».

Dans le cas d’un garçon de 9 ans atteint du syndrome de Gilles de la Tourette et de TDAH, l’experte Chevrier affirme que « jouer au hockey, obtenir de très bonnes notes en mathématiques et être sociable ne sont pas suffisants pour considérer un jeune comme étant à haut potentiel, comme cela a été fait dans cette évaluation neuropsychologique ».

Le Conseil de discipline s’est rangé derrière les conclusions de la Dre Chevrier et a déclaré la Dre Bélanger coupable aux cinq chefs de la plainte. La sanction imposée sera déterminée ultérieurement. En entrevue avec La Presse, la Dre Bélanger souligne que le sujet abordé dans ce dossier est « complexe, technique et nouveau ». À sa première lecture du verdict, elle estime qu’il « semble que les faits scientifiques et cliniques aient été difficiles à intégrer » par le Conseil de discipline. « Je suis déjà dans la réflexion d’un appel », dit-elle.

1. Lisez « Une pionnière de la douance visée par cinq chefs d’infraction »
En savoir plus
  • 25 000
    Nombre d’enfants évalués comme doués ou à haut potentiel au Québec 
    SOURCE : Naître et grandir