(Montréal) Oubliez le cliché du jeune à la dérive qui échoue dans une ruelle et meurt d’une surdose une seringue dans le bras. L’hécatombe actuelle des surdoses touche tous les groupes d’âge et toutes les classes de la société.

D’après de nouvelles données dévoilées par la Direction régionale de santé publique (DRSP) de Montréal, 77 % des morts par surdose surviennent dans des domiciles et environ 9 % des décès touchent des personnes en situation d’itinérance.

Ces chiffres ont été compilés entre août 2022 et juillet 2023 sur le territoire de Montréal. Au total, on a recensé 175 décès par intoxication suspectée aux drogues, dont 138 hommes. De plus, lorsqu’on regarde le portrait de plus près, on constate que la tranche d’âge la plus affectée est celle des 40-59 ans.

« C’est important de rappeler que derrière ces chiffres-là, chaque donnée représente une personne avec une histoire, une famille, des proches », souligne le Dr Benoit Corriveau qui se spécialise en médecine préventive et réduction des méfaits à la DRSP.

À l’occasion de la Journée internationale de sensibilisation aux surdoses, la DRSP espère contribuer à faire tomber certains tabous.

« Il faut en parler, croit le Dr Corriveau. Il faut profiter des occasions comme celle-là pour expliquer qu’il y a souvent un contexte. Il y a plusieurs facteurs socio-économiques, il peut y avoir eu des traumas antérieurs. Il y a plein de raisons pour lesquelles on peut consommer des substances psychoactives. »

Du côté de l’Association québécoise pour la promotion de la santé des personnes utilisatrices de drogues (AQPSUD), la directrice générale Chantal Montmorency avance que bon nombre de personnes consomment pour apaiser une douleur physique ou émotive.

« On parle de souffrance. Il faut qu’on accepte comme société que parfois, il y a des souffrances physiques ou mentales qui nécessitent une médication et si on ne fournit pas aux gens la substance dont ils ont besoin, ils vont aller s’approvisionner ailleurs et s’automédicamenter », affirme-t-elle.

Le portrait statistique dressé par la santé publique ne l’étonne pas. La victime type n’est pas « le jeune punk qu’on s’imagine », décrit-elle. À ses yeux, il s’agit bien plus souvent d’hommes issus d’une génération qui n’a pas appris à parler de sa douleur et à prendre soin de soi-même.

Des sites supervisés efficaces

Plusieurs mesures supplémentaires doivent être mises en place dans le but d’endiguer la crise. La santé publique recommande notamment la décriminalisation de la possession simple de toutes les drogues. Une position qui réjouit l’AQPSUD.

« Consommer de la drogue, ça ne veut pas dire qu’on est dépendant et malade, plaide-t-elle. On ne devrait pas non plus être criminalisé juste parce que l’on consomme parce que des drogues légales, il y en a en masse. La drogue qui fait le plus de ravages, c’est l’alcool et il y en a partout ! »

Parmi les actions à prendre à plus court terme, la santé publique parle de mieux soutenir les services de consommation supervisés. On souhaite même élargir l’offre en ouvrant davantage de sites en dehors des quartiers centraux.

Ces endroits gérés par les organismes communautaires Spectre de rue, Dopamine, CACTUS Montréal et l’Anonyme ont permis d’éviter un grand nombre de décès. On signale en moyenne 49 interventions d’urgence par mois dans ces installations. On parle donc d’autant de gens qui n’auraient pas bénéficié de soutien professionnel s’ils avaient été seuls à la maison.

En juillet dernier, La Presse Canadienne révélait que ces services sont souvent privés de personnel infirmier, ce qui limite leur capacité d’intervention. Or, la DRSP cherche à remédier à la situation.

Selon le Dr Corriveau, la santé publique veut aussi développer des salles d’inhalation, augmenter l’offre de vérification de drogue, puis poursuivre le travail de formation du personnel à utiliser la naloxone, un antidote aux surdoses.

O veut maintenant permettre aux personnes utilisatrices de drogues qui consomment par inhalation de le faire sous supervision. Les substances ingérées par inhalation de fumée pourraient donc être consommées dans des installations aménagées adéquatement.

« En ce moment, les centres de consommation supervisée ne nous permettent pas d’avoir de l’inhalation en salle, mais c’est de plus en plus fréquent que les gens vont inhaler certaines drogues, que ce soit le fentanyl ou autres », explique le Dr Benoit Corriveau de la Direction régionale de santé publique de Montréal (Drs P).

Il souligne que, contrairement à d’autres régions du pays, on ne peut pas se contenter d’abris extérieurs temporaires en raison de la rudesse de l’hiver. On prévoit donc construire une annexe au bâtiment avec un système de ventilation adéquat pour évacuer des substances toxiques.