Malgré ses engagements électoraux, le gouvernement Legault évalue toujours quels services seront offerts dans ses mini-hôpitaux privés. Mais comme la présence d’un bloc opératoire n’est plus acquise, d’importants acteurs de l’industrie hésitent à plonger dans ce qui s’apparente davantage à de « grosses cliniques ». Pour le traitement d’urgence mineure, un modèle inspire cependant le ministre Christian Dubé : celui du Jeffery Hale, à Québec. La Presse l’a visité.

Des cliniques refroidies par l’appel de Québec

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Sans bloc opératoire, des cliniques d’envergure passeront leur tour face au projet de mini-hôpitaux privés promis en campagne par le gouvernement Legault.

Les mini-hôpitaux privés promis en campagne par le gouvernement Legault ressembleront davantage à de « grosses cliniques » ouvertes 24 heures sur 24, sept jours sur sept, puisque la présence d’un bloc opératoire n’est plus acquise. C’est le constat d’importants acteurs de l’industrie qui ont déchanté à l’étape de l’appel d’intérêt, a appris La Presse.

Le propriétaire d’Opéra MD, un centre médical spécialisé de Québec, est l’un des premiers à avoir levé la main lorsque le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a lancé un appel d’intérêt, en mars. Or, après avoir pris connaissance des premières informations sur le projet, le DDaniel Lapointe n’a plus l’intention d’aller plus loin.

« Je pense que le terme de mini-hôpital privé dans ce projet-là, c’est galvaudé un peu, dit-il. Ce [que le MSSS] veut, ce sont des cliniques externes où le patient qui en a besoin pourra être gardé en observation pour la nuit, pour qu’on ne soit pas obligé de l’envoyer aux urgences. »

Engagement caquiste

François Legault s’est engagé en septembre à développer deux « centres médicaux privés » qualifiés de mini-hôpitaux, l’un dans l’est de Montréal, l’autre dans la Capitale-Nationale, « pour combler le besoin d’un service intermédiaire entre le groupe de médecine familiale (GMF) et l’hôpital ».

Cet engagement a été pris alors qu’il était talonné à sa droite par le Parti conservateur d’Éric Duhaime, qui promettait plus de place au privé en santé.

Chaque « mini-hôpital » devra inclure un GMF, des urgences 24/7 pour traiter des cas mineurs, des « salles d’opération pour des chirurgies d’un jour » et un « plateau technique avec pharmacie, centre de prélèvement et radiologie », écrivait-on dans le communiqué de presse du 3 septembre.

Huit mois plus tard, Québec cherche toujours à définir le meilleur modèle pour ces mini-hôpitaux privés. « Il faut rester très ouvert pour avoir des propositions plus diverses et on ne veut pas se fermer de portes », explique celui qui pilote le dossier, le député de Saint-Jérôme, Youri Chassin.

« Je pense qu’on a essayé en campagne de montrer qu’il pouvait y avoir différentes composantes », nuance-t-il en entrevue.

En ce sens, Québec ne peut confirmer aujourd’hui si ces nouvelles installations disposeront d’un bloc opératoire comme promis en campagne. Pourra-t-on alors parler de « mini-hôpitaux » ? M. Chassin admet que l’appellation est sortie « de manière illustrative » lors de l’annonce.

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Youri Chassin, adjoint parlementaire du ministre de la Santé

Ça colle, le nom [mini-hôpital] est resté là, ce qui n’est pas problématique. C’est sûr qu’il y a un côté où il n’y [aura] pas nécessairement de l’hospitalisation si ce sont des interventions par exemple ambulatoires […] C’est sûr que ça pourrait être décrit aussi comme une grosse clinique.

Youri Chassin, adjoint parlementaire du ministre de la Santé

L’appel d’intérêt que La Presse a pu consulter n’exige effectivement pas de salle d’opération pour des chirurgies d’un jour dans le concept clinique. Il est maintenant question de « salle d’examens et de traitements variés » pour des opérations mineures, des plâtres, des activités de gynécologie et d’ophtalmologie.

Réticence

Au cabinet du ministre de la Santé, Christin Dubé, on rappelle que l’avis d’intérêt « n’est pas une finalité » et que cette étape sert davantage à « aller chercher l’information » pour que « ce modèle unique au Québec réponde aux besoins de la population ». Les détails seront précisés dans les appels d’offres qui seront lancés ultérieurement. « On préfère ne pas s’engager [sur une date] parce qu’on veut prendre le temps », précise Youri Chassin.

Sans bloc opératoire, des cliniques d’envergure comme Chirurgie DIX30, le Centre de chirurgie RocklandMD et Opmedic passeront aussi leur tour, avons-nous appris.

« L’offre de services évoquée dans l’appel d’intérêt s’apparente plus à celle d’une clinique de première ligne aux heures étendues qu’à celle d’un hôpital », écrit dans un courriel la firme Mongeau Pellerin, qui représente les trois cliniques spécialisées.

« L’appel d’intérêt parle seulement de chirurgie mineure, ce qui demande un plateau technique très différent d’un bloc opératoire », ajoute-t-on.

La Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) fait la même lecture : « Pour le moment, ce sont plutôt de grosses cliniques ambulatoires avec une salle d’urgence et des cliniques externes en gériatrie ou en pédiatrie, mais sans soins intensifs et sans bloc opératoire », indique le conseiller stratégique de la FMOQ, Jean-Pierre Dion.

Un accès en tout temps

Un élément de la proposition initiale du gouvernement semble néanmoins acquis : l’ajout d’un service des urgences, ouvert 24 heures sur 24, sept jours sur sept, pouvant traiter les cas mineurs. Pour ce volet, le ministre Christian Dubé a cité la clinique de l’hôpital Jeffery Hale, à Québec, comme « modèle » (voir autre onglet).

Selon l’appel d’intérêt, les mini-hôpitaux devront compter sur une équipe de professionnels multidisciplinaires (comme des médecins de famille, des psychologues, des infirmières praticiennes spécialisées et des travailleurs sociaux), offrir des civières-lits d’observation de 24 à 72 heures et un modèle d’accessibilité 24/7.

Selon les intervenants consultés pour ce reportage, le 24/7 est le principal élément qui permet à ce stade de différencier ce qui serait offert dans les mini-hôpitaux de ce qui est offert actuellement au Québec en super-clinique, appelée aussi GMF-R (groupe de médecine familiale réseau).

Depuis la réforme de l’ancien ministre Gaétan Barrette, certains GMF qui sont ouverts 12 heures par jour, même les jours fériés, et disposent d’un service de radiologie peuvent obtenir le statut de « super-clinique ».

Selon le directeur général du Regroupement d’organisations privées offrant des services de santé et de mieux-être diversifiés et reconnus, Luc Lepage, le projet présenté par Québec s’apparente effectivement à un « gros complexe médical » de type GMF, à l’exception des heures d’ouverture.

M. Lepage constate par ailleurs que le 24/7 semble dissuader certaines cliniques de plonger dans le projet. Selon le cabinet de M. Dubé, 17 promoteurs ont soumis une proposition dans le cadre de l’appel d’intérêt.

Le Groupe Santé Sedna, qui se définit comme la plus importante organisation privée spécialisée dans l’administration et la prestation de soins et services de santé au Québec, a d’ailleurs proposé, pour l’installation de l’est de Montréal, un concept « autour de la personne âgée » sans solution 24/7.

L’entreprise, qui avait manifesté son intérêt dès le départ, estime également que les intentions précisées en cours de route par le Ministère sont « plus proches d’un GMF-R » avec des heures élargies.

« Ça n’allait pas tout à fait dans le concept qu’on avait élaboré », précise le directeur des affaires médicales, le DFrançois Loubert, qui se demande lui aussi si le terme de mini-hôpital est « bien choisi ». L’entreprise n’ira pas plus loin dans le processus si le projet « demeure dans les lignes tracées par le Ministère ».

Selon le propriétaire d’Opéra MD, le projet du gouvernement intéressera davantage « des super-cliniques existantes » qui pourront « bonifier leurs services ».

Des projets pour super-cliniques 

Deux groupes qui offrent déjà des services en GMF ont d’ailleurs soumis une proposition dans le cadre de l’appel d’intérêt. C’est le cas du Centre médical Mieux-Être, qui compte 10 GMF sur l’île de Montréal et quelque 230 médecins de famille.

« Notre définition du mini-hôpital, c’est un milieu qui sera capable d’offrir des soins 24/7 allant du petit garçon qui s’est blessé dans la cour d’école à une personne en surdose médicamenteuse », illustre le propriétaire, Rémi Boulila. Il n’est pas d’avis que le projet se résume à un GMF-R ouvert en tout temps.

« On parle de salle de réveil pour certains patients, de salles d’observation. Moi, à 3 h du matin, je peux avoir maman qui vient pour une otite ou monsieur Y qui a trop consommé et qui a besoin de se stabiliser […] Il faut être réaliste, ce n’est pas ce qu’on voit en GMF, ça se rapproche plus d’un mini-hôpital », croit-il.

Le Réseau MAclinique a aussi déposé une proposition. La présidente et cheffe de la direction, la Dre Chantal Guimont, voit dans l’offre de Québec le « besoin d’augmenter l’accessibilité en première ligne ».

Sans entrer dans les détails de sa proposition, la Dre Guimont dit qu’« il y a possibilité d’aller créer un nouveau modèle d’accessibilité pour la population où les gens n’ont pas seulement accès à un médecin en dehors des heures régulières, mais aussi à un plateau technique qui va de plus en plus s’apparenter à ce qui se fait en milieu hospitalier ».

Coût et financemement des mini-hôpitaux

L’objectif est que les mini-hôpitaux soient « opérationnels » en 2025. Leur aménagement doit coûter 35 millions par installation, et sera entièrement financé par le privé. L’appel d’intérêt indique clairement que le projet ne « vise pas un investissement immobilier du MSSS ». En campagne, Québec disait également que les mini-hôpitaux auraient accès à la même formule de financement que les GMF. Les services offerts seront couverts par la Régie de l’assurance maladie du Québec et seront donc à coût nul pour le patient.

Les conditions générales du projet

  • Offre de services ambulatoires dans le but d’éviter le recours aux urgences pour des problèmes de santé mineurs
  • Services 24/7
  • Services de professionnels interdisciplinaires 
  • Clinique externe en gériatrie (Montréal) ou en pédiatrie (Québec) 
  • Civières-lits d’observation de 24, 48 et 72 heures 
  • Salles d’examen pour opérations mineures 
  • Plateaux techniques (radiologie, échographie)

Jeffery Hale comme « modèle »

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La clinique du Jeffery Hale compte sur une petite équipe multidisciplinaire composée d’une quinzaine de travailleurs de la santé.

« Numéro 37. » Une voix de femme résonne à l’interphone. Un homme se lève et s’approche de l’espace vitré où est installée une agente administrative. Il sera bientôt vu par l’infirmière, lui indique-t-elle.

La petite salle d’attente de la clinique d’urgences mineures de l’hôpital Jeffery Hale, à Québec, est remplie en ce jeudi avant-midi de mai. Dans un ballet bien chorégraphié, le personnel soignant va et vient entre les cubicules.

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Salle d’attente de la clinique d’urgences mineures de l’hôpital Jeffery Hale

Les infirmières en poste appellent les patients qui sont vus au triage, comme aux urgences. Mais ici, vous ne verrez pas nécessairement un médecin. Le Jeffery Hale compte sur une équipe multidisciplinaire qui vous permet de recevoir « le bon service auprès du bon professionnel ».

« On se situe entre le [groupe de médecine de famille] et les urgences », illustre le chef de service de l’endroit, Patrick Fortin.

Par exemple, c’est la pharmacienne qui traitera une infection urinaire. Une douleur au dos pourra être examinée par le physiothérapeute. L’infirmière praticienne spécialisée (IPS) rédigera une ordonnance. Ce qui fait qu’environ 20 % des cas n’aboutiront pas entre les mains d’un médecin.

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Patrick Fortin, chef de service à la clinique d’urgences mineures de l’hôpital Jeffery Hale

Il y a ici un décloisonnement des rôles et une optimisation du champ de pratique. C’est valorisant pour le professionnel.

Patrick Fortin, chef de service à la clinique d’urgences mineures de l’hôpital Jeffery Hale

Environ une centaine de patients peuvent être vus par jour. Au moins 23 000 personnes ont franchi les portes de la clinique sans rendez-vous depuis l’an dernier. La cible est d’en accueillir 30 000 par année. Le temps d’attente pour voir un professionnel est d’environ deux heures.

Une inspiration pour Dubé

La recette du Jeffery Hale, une première au Québec qui est née d’un projet pilote lancé l’année dernière par le CIUSSS de la Capitale-Nationale, inspire le ministre de la Santé, Christian Dubé, qui veut en faire un « modèle » pour ses deux mini-hôpitaux privés.

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Le ministre de la Santé, Christian Dubé

[Jeffery Hale], c’est un modèle d’un hôpital qui a été transformé pour faire une mini-urgence et qui devrait nous servir de base pour le travail que M. [Youri] Chassin est en train de faire [avec les mini-hôpitaux].

Le ministre de la Santé, Christian Dubé, lors de l’étude des crédits budgétaires du Ministère, en avril

L’enthousiasme du ministre est tel qu’il a invité ses vis-à-vis de l’opposition à visiter les installations la semaine suivante. Une question les taraude depuis : pourquoi avoir besoin du privé si ce succès éprouvé est un produit du public ?

La réponse est essentiellement « l’urgence d’améliorer les choses rapidement », explique M. Chassin. « Que ce soit le privé ou le public, c’est plus une question de gestion et, soyons francs, de capacité pour le privé de rendre ça opérationnel rapidement », ajoute cet ancien de l’Institut économique de Montréal (IEDM), un groupe de réflexion de droite.

La Presse a sollicité une entrevue avec M. Dubé pour qu’il commente le modèle du Jeffery Hale. Son cabinet nous a dirigés vers l’adjoint parlementaire du ministre.

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Une infirmière auxiliaire est au chevet d’un patient.

« Le contexte du Jeffery Hale, c’est aussi la transformation d’un centre hospitalier […]. C’est sûr que c’est toujours un peu délicat de dire : “On va choisir des installations existantes qui vont se transformer dans un autre modèle” », nuance M. Chassin.

C’est à la suite de la pandémie que le CIUSSS de la Capitale-Nationale a décidé de changer la vocation du Jeffery Hale pour en faire une clinique d’urgences mineures. Ce changement est aussi possible en raison de la proximité de l’hôpital du Saint-Sacrement, qui peut prendre en charge les cas plus graves.

Selon M. Chassin, la clinique d’urgence mineure « est certainement une bonne illustration, et c’est très concret, de principes qui nous inspire ». Le modèle vient aussi ajouter à l’offre actuelle pour désengorger les urgences et accroître l’accès à la première ligne, comme on veut faire avec les mini-hôpitaux qui devront offrir une solution « complémentaire » à ce qui existe dans leur milieu.

« Une petite famille qui roule bien »

Contrairement au modèle recherché pour les mini-hôpitaux, la clinique du Jeffery Hale est cependant ouverte de 8 h à 22 h. Elle compte sur une petite équipe multidisciplinaire composée d’une quinzaine de travailleurs de la santé. Par quart, on compte cinq infirmières, deux infirmières auxiliaires, une IPS, trois médecins, un pharmacien et un physiothérapeute.

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Une infirmière discute avec une patiente.

« Il y a un travail d’équipe qu’on n’a peut-être pas ailleurs autant qu’ici. On est une petite famille qui roule bien », relate le DVincent Mainguy. « La particularité ici, c’est qu’on travaille en collaboration, tout le monde est important, tout le monde est valorisé », ajoute-t-il.

Cet esprit de collégialité et de multidisciplinarité fait également l’envie du gouvernement Legault, qui cherche à décloisonner les professions. Grâce à une entente de partenariat local, la pharmacienne du Jeffery Hale profite d’une plus grande liberté.

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Andrée-Anne Parent, pharmacienne à la clinique d’urgences mineures de l’hôpital Jeffery Hale

« C’est surtout de mettre à profit tout ce que je suis capable de faire ; ma formation est pleinement utile dans des cas comme ça », assure Andrée-Anne Parent. « On ne fonctionne pas seulement en suggestion, mais on peut prendre en charge des patients », illustre la pharmacienne.

Malgré des enjeux liés à la pénurie de personnel, le modèle du Jeffery Hale est attractif et favorise aussi la rétention du personnel soignant, selon le chef de service Patrick Fortin.