(Québec) Après le troisième lien, les mini-hôpitaux privés promis par le gouvernement Legault en campagne deviennent le nouvel exemple d’un projet caquiste « fait sur un coin table », selon l’opposition. Libéraux et péquistes réclament à Québec de préciser ses intentions tandis que Québec solidaire lui demande d’abandonner l’idée. De son côté, le Parti conservateur le prie de ne pas reculer.

« Quand on dit que le gouvernement est brouillon, qu’il improvise, qu’il fait les choses sur le coin d’une table, bien ce matin, on a l’exemple parfait avec les mini-hôpitaux privés », décoche le député libéral et porte-parole en matière de santé, André Fortin.

« Me semble qu’avant de lancer un projet comme celui-là, [il faut] mesurer les besoins et voir comment on peut pallier les faiblesses du système actuel. De toute évidence, on nage dans l’improvisation », ajoute-t-il.

La Presse révélait vendredi que d’importants acteurs de l’industrie ont déchanté lors de la publication de l’appel d’intérêt pour l’aménagement de deux mini-hôpitaux, l’un dans l’est de Montréal et l’autre dans la Capitale-Nationale. Contrairement à ce qui avait été promis en campagne, la présence d’un bloc opératoire n’est plus acquise. Québec rétorque qu’il veut se garder toutes les portes ouvertes à ce stade.

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Or, sans bloc opératoire, ces nouveaux établissements pourraient ressembler davantage à de grosses cliniques médicales ouvertes 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Un concept qui se rapproche des super-cliniques, appelées dans le jargon les GMF-R (Groupe de médecine familiale-réseau), lancées en 2016 par l’ex-ministre de la Santé, Gaétan Barrette, qui en promettait à l’époque 50 à travers le Québec.

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André Fortin, député de Pontiac.

« Le gouvernement de la CAQ est arrivé [au pouvoir] en annulant les super-cliniques qui devaient être mises en place partout au Québec. Environ la moitié avait vu le jour en 2018 », souligne André Fortin. « [Le gouvernement Legault] se rend compte que le modèle n’était peut-être pas si mauvais, mais au lieu d’en faire 25, il va en faire deux. Pourquoi on se limiterait à deux quand les besoins se font sentir partout », dit-il.

M. Barrette a d’ailleurs qualifié vendredi le projet de mini-hôpitaux du gouvernement Legault de « ballon politique » avec une appellation « marketing ».

Une promesse qui « se dégonfle »

Le Parti québécois affirme pour sa part qu’il s’agit d’une nouvelle promesse caquiste qui « se dégonfle ».

« On nous dit, huit mois après [les élections], qu’on ne sait pas vraiment ce qu’on veut […] et que l’appel d’intérêt va nous permettre de définir ce qu’on voulait proposer, mais qui était pourtant bien clair pendant la campagne électorale », déplore le député et porte-parole en matière de santé, Joël Arseneau. Il estime que cela contribue à « miner la confiance du public » envers les engagements électoraux.

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Joël Arseneau, député des Îles-de-la-Madeleine.

M. Arseneau se dit néanmoins encouragé que d’importantes cliniques de chirurgie aient l’intention de passer leur tour. « Ça me réjouit de voir, jusqu’à un certain point que l’appel d’intérêt gouvernemental ne suscite pas d’engorgement du privé parce que je souhaite que ce soit le public qui puisse le développer ce projet, à l’image du Jeffery Hale justement », poursuit le député péquiste.

Le ministre Christian Dubé a cité la clinique d’urgence mineure du Jeffery Hale, à Québec, comme inspiration pour le modèle des mini-hôpitaux. Il s’agit d’un concept entièrement public né d’un projet-pilote du CIUSSS de la Capitale-Nationale.

Cet exemple ravive une question de fond, selon Québec solidaire. Pourquoi avoir besoin du privé si le modèle fonctionne au public ? demande le député Vincent Marissal. « Pourquoi tu te ferais toi-même de la concurrence en ouvrant la porte encore plus grand au privé qui va venir chercher ton personnel », lance-t-il. Selon lui, cela vient confirmer que la CAQ a « un parti pris » pour le privé en santé.

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Vincent Marissal

Le député de Rosemont demande carrément au gouvernement d’abandonner son engagement.

« De toute façon, il n’y a pas d’appétit, on perd du temps précieux, on met des ressources là-dessus et pendant ce temps-là, je rappelle qu’on n’est pas capable d’arriver avec un plan concret et un échéancier pour un hôpital public qui s’appelle Maisonneuve-Rosemont, un des plus gros hôpitaux du Québec. Ça devient vraiment insultant pour des pans complets de la population », dénonce-t-il.

Main tendue des conservateurs

François Legault a pris l’engagement d’aménager deux mini-hôpitaux privés en campagne électorale pendant qu’il était talonné à sa droite par le Parti conservateur d’Éric Duhaime. Ce dernier s’était d’ailleurs réjoui des visées du gouvernement Legault en la matière après une rencontre avec le premier ministre, après les élections. Aujourd’hui, les troupes conservatrices estiment que le projet sur la table manque « d’envergure ».

« Si on n’inclut pas un bloc opératoire avec une possibilité de séjour hospitalier plus long, malheureusement on risque de manquer le bateau », a exprimé l’ex-candidat conservateur, le DKarim Elayoubi, qui est lui-même propriétaire d’un GMF. Pour l’instant, il se dit « bon joueur » et « aime mieux attendre » le lancement des appels d’offres où les détails finaux des projets seront précisés.

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DKarim Elayoubi

« Nos propositions en matière de santé sont quand même beaucoup plus proches de la CAQ que des trois autres partis, alors c’est sûr que si la CAQ va de notre côté avec privé en santé, on est content […] pour un enjeu aussi important, je pense qu’on peut collaborer », ajoute le DElayoubi.

Un autre allié de la CAQ pour le privé en santé, l’Institut économique de Montréal (IEDM), un groupe de réflexion de droite, a pour sa part mis en garde le gouvernement Legault.

« En campagne, François Legault s’était engagé à bâtir deux mini-hôpitaux, avec blocs opératoires, pas les “grosses cliniques” désirées par le MSSS. Le gouvernement doit travailler sur le projet promis, pas une version édulcorée », a-t-on écrit sut Twitter. L’adjoint parlementaire du ministre de la Santé et député Youri Chassin, qui pilote le dossier des mini-hôpitaux, est d’ailleurs un ancien de l’IEDM.