Des familles sont « scandalisées » par l’explosion du coût des loyers dans un CHSLD privé. Pour l’une d’entre elles, la facture annuelle frôlera les 100 000$

(Québec) Des familles d’aînés hébergés dans un CHSLD privé de Québec sont « scandalisées » par des augmentations de loyer de 30 à 50 %, qui leur feront payer jusqu’à 97 000 $ par année. Le propriétaire justifie ces hausses vertigineuses par les nouvelles orientations du gouvernement Legault. Québec rejette ses explications et lui demande de reculer.

« On est scandalisés. Ce n’est pas raisonnable », s’exclame Carole Bédard. Sa mère de 92 ans habite au CHSLD Domaine Saint-Dominique depuis sept ans. Il y a un an, le bail a été renouvelé au prix de 3488 $ par mois, ce qui inclut le logement et les soins.

En septembre, Mme Bédard est informée que le nouveau tarif passera à 5475 $ puisque sa mère a besoin de plus de soins, lui dit-on. « On a avalé la pilule. Mes sœurs et moi avons sorti de l’argent de nos propres comptes de banque pour dépanner », explique le frère de Carole, Jean Bédard.

Or, à la fin de janvier, voilà qu’on leur annonce que le coût par mois s’élèvera désormais à 7448 $ à partir d’avril, soit plus de 89 000 $ par année. C’est le choc. « Notre mère ne peut pas supporter cette hausse-là pendant très longtemps. Il lui reste de l’argent pour l’équivalent de peut-être un an », déplore Mme Bédard.

Leur cas n’est pas unique. Deux autres familles ont rapporté à La Presse des situations semblables. La mère de Françoise Chalifour devra débourser 97 440 $ par année, soit une augmentation mensuelle de 2538 $ qui entrera en vigueur en mai. « Comment une femme de 93 ans peut avoir [un logement] au-dessus de 90 000 $ par année ? », se désole-t-elle en entrevue.

Dans un courriel, le président du Domaine Saint-Dominique confirme que 64 des 179 résidants permanents (ceux dont le bail est renouvelé entre le 1er avril et le 1er août 2023) sont touchés par ces augmentations. « Au niveau des chambres et services, la hausse correspond en moyenne à plus ou moins 1375 $ par mois », écrit Patrick Gilbert. Il s’agit d’une augmentation de plus de 16 500 $ par année.

Le Domaine Saint-Dominique est sous tutelle du CIUSSS de la Capitale-Nationale depuis l’automne en raison de « manquements importants et préoccupants portant sur la qualité des soins et services aux résidants », souligne le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS). Bien que les « efforts déployés depuis [aient] permis de rehausser considérablement la qualité du milieu de vie », la tutelle est maintenue jusqu’en septembre 2023.

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CHSLD Domaine Saint-Dominique, à Québec

Québec montré du doigt

Ces hausses de loyer s’inscrivent dans le contexte où le gouvernement de François Legault a décidé de convertir les CHSLD privés en établissements conventionnés, plaide le président du CHSLD. « Ce nouveau statut entraîne une augmentation significative de l’offre de soins que nous sommes obligés d’offrir à tous les résidants, actuels et futurs », écrit M. Gilbert.

Ce qui suppose un ajout significatif de ressources, humaines et matérielles, dans l’ensemble de la résidence. Et ces ajouts, tant que notre établissement n’est pas officiellement conventionné, ne sont pas supportés ou absorbés par le Ministère.

Patrick Gilbert, président du CHSLD Domaine Saint-Dominique

Le CHSLD fait face à un déficit mensuel moyen d’environ 245 000 $ depuis octobre, indique M. Gilbert. « On redistribue une partie des frais de cette opération-là aux résidants », admet-il.

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La ministre déléguée à la Santé et aux Aînés, Sonia Bélanger

Des explications qui ont fait « sursauter » la ministre déléguée à la Santé et aux Aînés, Sonia Bélanger. « Il n’est pas question que le processus de conventionnement soit assumé par les aînés », a-t-elle lancé en entrevue avec La Presse. « Les propriétaires ont sorti cet argument-là, mais ce n’est pas du tout dans le discours ministériel ni politique », a-t-elle affirmé.

Pour être conventionné, et donc subventionné par l’État, l’établissement doit « atteindre un certain niveau de normes » en matière de qualité des services, souligne la ministre. Québec peut offrir un accompagnement, mais il n’y a pas de sommes allouées pour leur permettre d’atteindre ces nouvelles normes.

Pour Mme Bélanger, les hausses du Domaine Saint-Dominique sont « faramineuses » et « complètement irréalistes ». Elle a demandé au CIUSSS de la Capitale-Nationale de trouver une voie de passage avec le propriétaire. « Il va modifier la facture, il va le faire », a dit la ministre. Jeudi, M. Gilbert a affirmé qu’il avait toujours l’intention d’aller de l’avant avec les hausses.

Carole Bédard avait d’ailleurs écrit à Mme Bélanger à la fin de mars pour dénoncer la situation. Elle a obtenu une réponse de la ministre, à la veille de la publication de l’article.

La ministre assure qu’elle est intervenue dès qu’elle a été informée de la situation, il y a environ deux semaines.

La députée Christine Labrie avait également talonné Mme Bélanger sur la question, la semaine dernière au Salon bleu. « Est-ce qu’elle trouve ça normal qu’un CHSLD privé en processus de conventionnement fasse exploser le coût du loyer ? », a lancé l’élue de Québec solidaire.

Mme Bélanger a aussi demandé au MSSS d’envoyer « des consignes claires » aux propriétaires de CHSLD privés pour éviter une situation comme celle du Domaine Saint-Dominique.

L’inquiétude persiste

Mais l’inquiétude chez les familles persiste. « Pendant ce temps-là, on a des aînés qui doivent faire face à des hausses qui leur sont demandées et qui sont vraiment abusives », a déploré la porte-parole du comité des usagers de l’établissement, Françoise Trudel. Le père de cette dernière a reçu une augmentation de loyer de 43 %.

Mme Chalifour a de son côté déposé une plainte au Commissariat aux plaintes et à la qualité des services du CIUSSS de la Capitale-Nationale, le 10 avril. Elle est toujours sans réponse.

De son côté, la famille de Carole Bédard doit songer à trouver une nouvelle résidence pour sa mère. « Elle aime la résidence où elle habite et nous dit souvent qu’elle est bien chanceuse de pouvoir finir sa vie là. Elle va être très triste de quitter [le CHSLD] », se désole Mme Bédard.

Québec se donne cinq ans pour conventionner la quarantaine de CHSLD privés dans le but d’« harmoniser l’offre de soin » entre le public et le privé. La pandémie a mis au jour des disparités entre les deux catégories d’établissements. Selon le dernier budget du ministre Eric Girard, le gouvernement Legault aurait « progressé de façon notable » dans le conventionnement de 16 CHSLD.

En savoir plus
  • 2079,90 $
    Coût mensuel d’une chambre individuelle dans un CHSLD public ou privé conventionné
    Source : gouvernement du Québec