(Québec) Devant le tollé provoqué par une hausse vertigineuse des loyers, qui pouvait atteindre de 30 à 50 %, le propriétaire du CHSLD Domaine Saint-Dominique, à Québec, suspend sa décision le temps de trouver « une voie de passage » avec le CIUSSS de la Capitale-Nationale.

Le président du CHSLD Domaine Saint-Dominique, Patrick Gilbert, a confirmé vendredi qu’il suspendait sa décision d’augmenter les loyers, qu’il expliquait par les nouvelles orientations du gouvernement Legault. M. Gilbert dit avoir accepté de le faire après discussion avec le CIUSSS de la Capitale-Nationale et le ministère de la Santé et des Services sociaux.

La Presse rapportait vendredi que des familles d’aînés hébergés dans ce CHSLD privé étaient « scandalisées » par des augmentations de loyer annoncées de 30 à 50 %, qui leur auraient fait payer jusqu’à 97 000 $ par année.

« J’ai proposé un moratoire. Je ne veux pas être dans deux, trois semaines à la même place. Je leur ai donné la chance de trouver une voie de passage », a dit M. Gilbert. Il espère en retour obtenir un soutien financier du réseau public le temps que le gouvernement convertisse les CHSLD privés en établissements conventionnés, c’est-à-dire subventionnés pour leurs activités.

« Mes demandes depuis le début, c’est que je suis prêt à fonctionner sans profit le temps qu’on [fasse le projet de conventionnement], mais je ne peux pas être dans le négatif. Je les comprends, les résidants, je vis la même chose de mon bord. Ce n’est pas un modèle qui tient. Je ne suis pas un établissement public, je ne peux pas enregistrer des pertes comme ça indéfiniment », a-t-il expliqué à La Presse vendredi.

Une rétroaction sera versée aux familles qui ont vu leur tarif exploser au 1er avril, date de l’entrée en vigueur des augmentations, a précisé M. Gilbert « On est en communication avec les familles. Nous sommes aussi en lien avec le comité des usagers », a-t-il ajouté. Sur les 179 résidants permanents (ceux dont le bail est renouvelé entre le 1er avril et le 1er août 2023), 64 étaient touchés par ces augmentations.

Selon M. Gilbert, l’obtention du statut d’établissement conventionné « entraîne une augmentation significative de l’offre de soins », ce qui « suppose un ajout significatif de ressources, humaines et matérielles, dans l’ensemble de la résidence ». « Et ces ajouts, tant que notre établissement n’est pas officiellement conventionné, ne sont pas supportés ou absorbés par le Ministère », écrivait-il jeudi.

Les explications de M. Gilbert ont fait « sursauter » la ministre déléguée à la Santé et aux Aînés, Sonia Bélanger. « Il n’est pas question que le processus de conventionnement soit assumé par les aînés », a-t-elle affirmé jeudi à La Presse. Mme Bélanger a réitéré vendredi sur Twitter que « la hausse de loyer envoyée à plusieurs résidents sous la base du conventionnement est complètement inacceptable ! »

Pour être conventionnés, et donc subventionnés par l’État, les établissements doivent « atteindre un certain niveau de normes » en matière de qualité des services, souligne la ministre. Québec peut offrir un accompagnement, mais il n’y a pas de sommes allouées pour leur permettre d’atteindre ces nouvelles normes.

Le CHSLD Domaine Saint-Dominique fait face à un déficit mensuel moyen d’environ 245 000 $ depuis octobre. L’établissement est aussi sous tutelle du CIUSSS de la Capitale-Nationale depuis l’automne.

Québec doit accélérer le pas

En entrevue téléphonique, Paul Arbec, président de l’Association des établissements de longue durée privés du Québec (qui représente les CHSLD privés), a compris de la réaction de la ministre Sonia Bélanger qu’elle entendait accélérer les choses. « On commençait à manquer d’espoir, on sent davantage maintenant une urgence d’agir. »

Il soutient que le temps presse, la survie des établissements étant en jeu s’ils n’ont pas un financement adéquat.

Les porte-parole pour les aînés des trois partis de l’opposition ont tous tenu à dire leur indignation.

Linda Caron, députée libérale, se désole « qu’il ait fallu une pression médiatique pour que les choses bougent. Il ne faut pas que cela arrive à d’autres. Dans mon entourage, je ne connais personne qui a les moyens de payer un tel loyer. Les revenus des aînés ne vont pas en augmentant ».

Christine Labrie, députée de Québec solidaire, a fait valoir que ces abus « ne pourront pas être gérés à la pièce », à la petite semaine. « Il faut que la ministre démontre une volonté claire d’accélérer le conventionnement », a-t-elle dit.

Le député péquiste Joël Arseneau s’est enfin dit consterné que « les résidants d’un CHSLD fassent les frais d’un bras de fer entre le gouvernement et les CHSLD non conventionnés ».

« C’est inconcevable, des hausses comme celles-là sont abusives. »

Selon le dernier budget du ministre Eric Girard, Québec se donne cinq ans pour conventionner la quarantaine de CHSLD privés dans le but d’« harmoniser l’offre de soin » entre le public et le privé. La pandémie a mis au jour des disparités entre les deux catégories d’établissements. Le gouvernement Legault aurait « progressé de façon notable » dans le conventionnement de 16 CHSLD, indique-t-on dans le document budgétaire.

Avec la collaboration d’Alice Girard-Bossé et de Louise Leduc, La Presse