Malgré des investissements significatifs, le grand virage du gouvernement Legault vers les soins à domicile se fait attendre. Les « réformes successives » en santé ont laissé dans leur sillage un « écosystème complexe » qui ne permet pas à Québec d’atteindre ses propres cibles, constate la commissaire à la santé et au bien-être.

Joanne Castonguay dévoilera ce mardi le premier tome d’une vaste enquête réalisée à la demande du gouvernement Legault pour examiner la performance des soins et services à domicile (SAD), l’efficacité et l’équité des programmes de financement à travers la province.

La commissaire montre du doigt « l’absence » de plan, d’évaluation des coûts et de planification de la principale politique gouvernementale de soutien à domicile, Chez soi : le premier choix, qui demeure 20 ans après son dépôt « l’assise du modèle québécois ».

Ses travaux démontrent que les gouvernements successifs n’ont pas déployé de « plan de mise en œuvre » des différentes dimensions de cette politique, adoptée en 2003. La législation n’a pas non plus évolué en fonction de l’atteinte des objectifs, écrit-elle.

« Il n’y a pas eu d’évaluation des coûts afférents et de planification des sources de financement, pas plus que de débat public quant à la couverture des services qui sont offerts », peut-on lire dans le rapport.

Si bien qu’il s’est édifié au fil des ans et des « réformes successives » en santé, « un écosystème complexe » des services offerts en SAD qui « n’atteint pas l’objectif gouvernemental » de la politique, malgré « le rehaussement du financement ».

« On pourrait obtenir de meilleurs résultats si les ressources étaient mieux structurées et allouées et si on donnait plus de possibilités aux milieux locaux de développer des situations adéquates compte tenu des ressources qu’elles ont à leur disposition », a déclaré Mme Castonguay en entrevue.

DES CONSTATS EN BREF

  • Les médecins sont généralement peu impliqués en SAD.
  • Les services sont développés en silos.
  • Les différents modes de paiement créent des distorsions et des iniquités.
  • La règlementation qui encadre les enveloppes financières et l’approvisionnement est restrictive et freine l’innovation.
  • Les réseaux public, privé et communautaire sont en concurrence pour attirer une main-d’œuvre de plus en plus rare.

Elle conclut également que les établissements « se concentrent surtout sur les volumes de services parfois, au détriment de leur pertinence ».

En effet, dans les dernières années, des primes ont été données selon le nombre d’heures et de patients suivis à domicile.

« Parfois, on va donc donner des services qui ne sont pas nécessairement ce dont la personne a besoin. Avec ces primes-là, on pourrait décider d’offrir des soins domestiques, alors que la personne aurait besoin de répit pour les proches aidants », dit-elle.

Des mécanismes insuffisants

En début de deuxième mandat, François Legault a promis d’opérer « une vraie révolution » en matière de soins à domicile.

« On a beaucoup investi dans les soins, puis dans les services à domicile, mais il y a encore trop de personnes qui nous disent : c’est compliqué d’avoir un accès », a fait valoir le premier ministre dans son discours d’ouverture de la première session après les élections, en novembre.

Mme Castonguay note par ailleurs que le gouvernement est « conscient » des lacunes du système et qu’il démontre sa volonté d’y remédier en lui ayant confié ce mandat spécial.

Le ministère de la Santé et des Services sociaux montre sa volonté d’améliorer la capacité de la population à vieillir à domicile, mais il ne met pas encore en place tous les mécanismes qui lui permettront d’orienter et de soutenir les activités des établissements [de santé en ce sens].

Extrait du premier tome du rapport de la commissaire à la santé et au bien-être, Joanne Castonguay

Les recommandations de Mme Castonguay arriveront dans son rapport final (le 4e tome) qui sera déposé en décembre 2023.

Le Québec à la traîne

Malgré un rehaussement des investissements, la part du budget des soins de longue durée qui est investie dans les soins à domicile au Québec demeure « faible » en comparaison des autres pays de l’OCDE, avec 20 %.

Les dépenses ont d’ailleurs augmenté de 35 % depuis 2015. En 2019-2020, le ministère de la Santé a dépensé près de 2 milliards en soins à domicile.

« Au Québec, ce n’est environ que le cinquième des dépenses en soins de longue durée qui est consacré aux soins à domicile, contrairement à environ la moitié dans des pays comme le Danemark, la Norvège ou la Belgique », note la commissaire dans son rapport.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

L’Institut canadien d’information en santé a établi que pour 2021-2022, le Québec était classé 11e au pays pour les investissements par habitant en services à domicile.

L’Institut canadien d’information en santé a établi que le Québec investissait 259 $ par habitant en services à domicile et soins communautaires, en 2021-2022, comparativement à 293 $ par habitant dans l’ensemble du Canada, ce qui le place 11e au pays.

Mme Castonguay souligne néanmoins au Québec l’augmentation au cours des dernières années des investissements en soins en domicile. « [Cela] devra se poursuivre dans le futur pour rattraper le manque à gagner par rapport aux provinces et territoires », écrit-elle.

Dans son premier mandat, le gouvernement Legault a investi 2 milliards additionnels dans son virage vers les soins à domicile. Le dernier budget Girard prévoit de nouvelles sommes de 103 millions dès cette année pour 963,5 millions d’argent frais d’ici 5 ans.

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    Nombre de Québécois en attente d’un premier service de soutien à domicile
    source : ministère de la Santé et des Services sociaux