(Québec) Le plus important regroupement d’agences de placement a passé un mauvais quart d’heure en commission parlementaire sur le projet de loi 10, qui vise à les abolir. Christian Dubé a donné le ton en accusant le représentant de l’industrie de « défendre l’indéfendable ».

Le ministre de la Santé n’est pas passé par quatre chemins pour interpeller le président de l’Association des entreprises privées de personnel soignant du Québec, Patrice Lapointe, qui est également propriétaire de l’agence Services progressifs.

Christian Dubé a talonné M. Lapointe sur les tarifs demandés précisément par son entreprise dans différentes régions du Québec. Il a pris l’exemple de l’Abitibi-Témiscamingue, où l’entreprise de M. Lapointe aurait facturé 80 dollars l’heure pour une infirmière auxiliaire alors que le taux maximum selon la convention collective est de 32 dollars l’heure. « Cette marge brute là, c’est 170 % », a piqué M. Dubé.

M. Lapointe a fait valoir que plusieurs frais doivent être pris en compte lorsque des employés d’agence vont prêter main-forte au réseau dans des régions éloignées, comme des frais de déplacement, des per diem et une prime d’éloignement. Le président de l’EPPSQ a déploré du même souffle que le ministre s’aventure sur son cas précis alors qu’il représente une vingtaine de membres.

« O. K. [Vos membres] chargent à peu près combien sur les [services] essentiels ? », a répliqué M. Dubé ce à quoi M. Lapointe a été incapable de fournir une moyenne de prix. « Je pense que vous venez défendre aujourd’hui ce qui est indéfendable », a lancé le ministre du tac au tac.

Au terme d’échanges corsés, l’entrepreneur s’est engagé à ouvrir ses livres aux membres de la commission. La demande sera aussi adressée à ses membres.

L’EPPSQ soutient que « contrairement à ce que plusieurs croient, même au plus fort de la pandémie », la rémunération du personnel du réseau de main-d’œuvre indépendante a été de 58,21 $, tous types d’emplois confondus, soit seulement 0,5 % plus élevé que celle du personnel du réseau, en tenant compte des avantages sociaux offerts aux travailleurs du réseau public.

Des abus dénoncés

Des données qui sont loin d’avoir convaincu les parlementaires qui ont entendu des groupes, qui tout au long de la journée de consultation, ont fait état de pratiques abusives d’agences. Le Regroupement québécois des résidences pour aînés a même comparé les agences privées à « des parasites » qui envahissent le système.

« Je ne suis pas ici pour défendre la surfacturation, c’est important de remettre les choses en perceptive et d’avoir une vision globale », a tenté d’expliquer M. Lapointe qui admet que des entreprises, dont de ses membres, qui ont exagéré pendant la pandémie. L’EPPSQ dit plaider pour un meilleur encadrement de l’industrie justement pour éviter que ce genre de situation se reproduise, a souligné M. Lapointe.

« J’ai l’impression que vous arrivez avec des recommandations parce que vous êtes acculés au pied du mur », a rétorqué le député libéral, André Fortin.

« Je pense que vous aviez une petite poule aux œufs d’or, qui vous faisait un coco par semaine. Proverbialement, vous en avez voulu plus […] pis, vous avez tué la poule aux œufs d’or. C’est ça qui est arrivé, ça s’appelle de l’avarice en ce qui me concerne », a lancé de son côté le député solidaire, Vincent Marissal.

L’EPPSQ recommande gouvernement Legault, dans son projet de loi, de mettre sur pied une liste de fournisseurs accrédités par le gouvernement du Québec et de réinstaurer les standards de qualité dans les appels d’offres publics.

Au lieu d’abolir le recours aux agences de placement, il serait plus réaliste d’autoriser un nombre préétabli d’heures à exécuter par la main-d’œuvre indépendante, estime le plus important regroupement de l’industrie. Cette cible devrait être entre 3 à 5 %, selon l’EPPSQ. Actuellement, moins de 4 % des heures travaillées dans l’ensemble du réseau de la santé le sont par de la main-d’œuvre indépendante.

Une « coquille vide » selon la FIQ

Le projet de loi du ministre Christian Dubé pour mettre fin au recours aux agences de placement est une « coquille vide » aux yeux de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ). Selon le syndicat, Québec rate sa cible et doit donner plus de mordant à ses visées.

« Si le gouvernement croyait plaire aux professionnelles en soins du réseau public et à l’organisation syndicale […] avec ce simulacre de position ferme contre les agences privées, force est de constater qu’il n’a réussi à berner personne », a décoché la présidente de la FIQ, Julie Bouchard.

C’est pourtant à la demande du syndicat que le ministre de la Santé a pris la décision de légiférer pour abolir le recours aux agences. « Je cherche encore le merci », a rétorqué le ministre Dubé en ouverture des consultations sur le projet de loi 10, qui se sont amorcées mardi à Québec.

Le syndicat montre du doigt que les mesures pour serrer la vis à la main-d’œuvre indépendante (MOI) seront pour la plupart précisées par règlement, dont la nature n’est pas connue pour l’instant.

La FIQ recommande que « les balises nécessaires à l’élimination progressive » de la main-d’œuvre indépendante, comme les cibles annuelles, les échéanciers et les critères de base des appels d’offres du gouvernement « soient incluses » dans le projet de loi et non dans un règlement.

« Cette modification est essentielle à ce que le projet de loi 10 assure réellement l’élimination progressive » des agences, écrit la FIQ dans son mémoire où le syndicat émet une longue liste de recommandations visant les conditions de travail des infirmières.

Comme dans les mesures d’urgence

Le ministre de la Santé a fait valoir que « l’essentiel » des règlements qui seront déposés ultérieurement par son gouvernement sera semblable aux arrêtés ministériels visant les agences pendant l’urgence sanitaire. « Je ne pense pas que ce soit un enjeu », a-t-il indiqué en mêlée de presse.

Pendant la crise sanitaire, des mesures avaient été prises pour serrer la vis aux agences, comme l’instauration de prix plafond par profession. On avait aussi rendu obligatoire une période de 90 jours entre le moment où un employé qui quitte le réseau peut revenir y travailler pour une agence.

« Tout ce que vous m’avez demandé, ça va se retrouver dans les règlements. Il n’y aura pas de surprises », a rassuré le ministre Dubé en répondant à Mme Bouchard. Il a rappelé que le gouvernement devait se donner « une flexibilité » en procédant par règlement.

Christian Dubé a fait valoir que le projet de loi 10, qui vise à sevrer le réseau public des agences de placement d’ici 2026, est « un élément clé » de son Plan santé. Le succès de la future loi passera aussi par le renouvellement des conventions collectives, a-t-il réitéré.

En 2021-2022, l’État québécois a dépensé près d’un milliard de dollars pour embaucher de la main-d’œuvre indépendante. Il s’agit d’une augmentation de 380 % depuis 2016.