Le déploiement de deux nouveaux modules informatiques devant faciliter la gestion des tests de laboratoire dans tout le réseau de la santé du Québec rencontre d’importants pépins. Au point où certaines régions ont décidé de reporter l’implantation du projet dans leurs installations.

Depuis l’automne, le réseau de la santé du Québec travaille à déployer le nouveau Système d’information de laboratoire provincial (SIL-P), dont le coût total est évalué à 71,8 millions de dollars. L’objectif de ce système est de permettre un partage plus fluide des informations entre les différents laboratoires de la province. Les régions de l’Estrie, de Laval et de la Montérégie ont été les premières à tenter l’aventure, avec le Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM).

Le SIL-P comporte neuf modules. L’un d’eux, Softweb, permet aux médecins de « placer des requêtes et consulter des résultats », explique le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS). La région de Laval a été la première à tester ce module cet automne. Et ça se passe mal.

« C’est vraiment broche à foin. Le système est très lent », déplore un médecin de l’hôpital de la Cité-de-la-Santé qui préfère garder l’anonymat pour ne pas nuire à son travail.

Tout le monde peste contre ça [le module Softweb]. Ce n’est vraiment pas efficace.

Médecin de l’hôpital de la Cité-de-la-Santé, qui a demandé l’anonymat

Le module Softweb devait permettre aux médecins de voir d’un seul clic tous les résultats de tests de laboratoire d’un patient. Mais dans la pratique, le gain d’efficacité n’est pas là. Le DJoseph Dahine, de Laval, a publié le 30 novembre une vidéo sur TikTok dans laquelle il s’écoule 46 secondes avant que les résultats d’un test ne s’affichent dans Softweb.

Les résultats de tests de laboratoire ne s’affichent également plus par catégories dans Softweb, mais bien par ordre alphabétique. Par exemple, si un test de dépistage de drogue est fait chez un patient, le médecin doit faire défiler la liste complète des substances pour voir quels sont les taux d’amphétamine, de cocaïne, de THC… « On est plus lents à regarder les résultats de laboratoire de nos patients parce qu’on ne veut rien manquer. Avant, tout était regroupé par catégories », note un médecin de Laval. Ce dernier mentionne que les délais engendrés par le module pourraient être « dangereux pour les patients », ce qui insécurise les soignants.

Après la publication de sa vidéo, le DDahine a été invité à faire partie d’un comité pour améliorer la situation. Et après les ratés du début, « les choses bougent rapidement », dit-il, ajoutant que « tout le monde est en mode solution ».

Problème aussi avec le second module

Un autre module du SIL-P se nomme Softlab et est utilisé exclusivement par les équipes de laboratoire. Là non plus, le déploiement ne se fait pas sans heurts.

Au CIUSSS de l’Estrie – CHUS, qui utilise ce module depuis l’automne à Sherbrooke, les pépins s’accumulent. « Il y a de grands enjeux de transmission de résultats », affirme Isabelle Mantha, présidente de l’exécutif local de l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) en Estrie. Elle explique qu’à un certain moment, plus de 9000 rapports de laboratoire étaient non transmis aux médecins, car différentes composantes informatiques « communiquaient mal ». « On avait peur de manquer quelque chose », dit-elle.

Pour pallier les nombreux problèmes, les équipes du laboratoire du CHUS – Hôpital Fleurimont accumule les heures supplémentaires, selon Mme Mantha. « L’équipe est ultra épuisée. »

Mme Mantha explique qu’un simple problème d’entrée de données peut entraîner la perte d’échantillons ou de résultats.

Il suffit de mettre un accent au mauvais endroit et le dossier peut disparaître virtuellement du système.

Sandra Etienne, quatrième vice-présidente de l’APTS

Selon elle, des prises de sang de certains patients ont dû être refaites dans différents établissements, car les résultats s’étaient égarés dans le système. Pour Mme Etienne, l’implantation du nouveau système s’est faite de façon « précipitée », alors même que les équipes de laboratoire sont submergées de travail. « Les équipes ne sont pas contre le projet. L’objectif est bon. Mais il faut prendre le temps de bien faire les choses […] Plusieurs s’inquiètent pour les patients », note Maxime Clément, porte-parole de l’APTS.

La suite suspendue

Devant l’accumulation de problèmes, le CIUSSS de l’Estrie – CHUS a décidé de « reporter les dates de déploiement » pour ses installations de Granby et de Brome-Missisquoi-Perkins, confirme la porte-parole de l’établissement, Cynthia Lauzé. Aucune date n’est encore fixée.

Au MSSS, la porte-parole Marie-Claude Lacasse indique que les équipes du Ministère sont « tout à fait au courant des enjeux soulevés sur le terrain et travaillent quotidiennement avec le fournisseur pour apporter les correctifs ». Les deux modules sont développés par l’entreprise Médisolution. L’entreprise a dirigé les questions de La Presse vers le MSSS.

Mme Lacasse affirme que certains ajustements ont « déjà été appliqués et d’autres sont à venir ». « C’est du développement agile : on amorce le déploiement en projet pilote, on recueille les commentaires et on apporte les changements nécessaires », soutient-elle.

La porte-parole du MSSS assure que « le déploiement ne se fera pas dans les autres laboratoires tant que les correctifs requis n’auront pas été apportés ». « C’est justement le rôle des projets pilotes de tester des solutions et de les améliorer au besoin avant leur déploiement dans les autres laboratoires. »

Selon Mme Lacasse, le SIL-P permettra à terme « des gains importants en diminuant la double saisie d’information, assurera l’interopérabilité des résultats dans une grappe de laboratoires et contribuera à diminuer les délais en plus de permettre d’éliminer l’utilisation du télécopieur et du papier ».