(Ottawa) Les principaux experts impliqués dans l’élaboration de l’élargissement du régime canadien d’aide médicale à mourir aux personnes dont la seule condition sous-jacente est un trouble mental sont en désaccord sur la question de savoir si cette réforme devrait être retardée.

Un expert estime qu’un délai permettrait d’alléger la pression sur le « processus précipité » d’élaboration de directives pratiques pour les cas complexes, précisant que les modules de formation destinés aux praticiens ne seront pas prêts avant la fin de cette année ou le début de l’année prochaine au plus tôt. Mais un autre expert estime qu’il n’est pas nécessaire d’attendre davantage.

Le système devait inclure ces patients à partir de mars prochain après une disposition de temporisation de deux ans intégrée à une mise à jour de la loi sur l’aide médicale à mourir (AMM) de 2021.

Bien qu’un groupe d’experts ait déterminé que les garanties appropriées sont en place, le gouvernement fédéral a annoncé la semaine dernière qu’il avait l’intention de légiférer pour retarder davantage la réforme. Il n’a pas indiqué pour combien de temps.

« Tout le monde n’est pas prêt », a déclaré le ministre de la Justice David Lametti, lors de l’annonce.

Madeline Li, une psychiatre qui s’occupe de patient souffrant de cancer et qui siège à plusieurs comités liés à l’AMM, affirme que le gouvernement libéral travaille toujours à l’élaboration de directives de pratique concernant les cas de patients dont la seule condition sous-jacente est un trouble mental.

Elle a dit qu’elle était satisfaite de la décision de retarder l’élargissement de la loi, et que ce délai lui permettra, ainsi qu’à d’autres, de « mettre en œuvre correctement » les directives.

« Nous n’avons vraiment commencé à nous préparer que récemment », a-t-elle indiqué, ajoutant que le gouvernement n’a pas convoqué son groupe d’experts chargé d’élaborer les lignes directrices avant l’automne. « Ils l’ont très rapidement mis en place. Il y a quelques mois à peine, ce panel a été convoqué pour avoir une première ébauche. »

Elle a déclaré que la semaine dernière un projet de lignes directrices était toujours en cours d’examen par les pairs.

« Nous devions terminer le tout avant le mois de mars, alors le processus a été précipité, mais nous n’avons pas encore procédé à l’examen rigoureux des données probantes », a-t-elle ajouté.

Une fois finalisées, les lignes directrices seront envoyées aux organismes provinciaux et territoriaux pour être incluses dans les règlements, puis intégrées à la pratique professionnelle par le biais des facultés de médecine.

« Tout cela devait être fait avant mars, ce qui ne serait jamais arrivé, a estimé Mme Li. Maintenant, nous avons le temps de le faire. »

La psychiatre a déclaré que des modules de formation pour l’élargissement de la loi sont toujours en cours de développement.

Elle a indiqué qu’un programme d’études qu’elle contribue à développer apprendrait aux cliniciens à prendre en compte les facteurs psychologiques qui motivent le désir de mourir et leur enseignerait comment évaluer les patients vulnérables qui envisagent une mort médicalement assistée – et comment centrer leur réflexion sur l’équité et la diversité.

« Nous allons probablement le finaliser au printemps pour un lancement en douceur, a-t-elle fait savoir. Il ne sera pas prêt pour un lancement officiel avant la fin de l’année ou au début de l’année prochaine au plus tôt. »

Mme Li a déclaré qu’une fois le programme prêt, il doit être partagé à travers le pays auprès des professionnels de la santé « afin qu’il y ait une certaine cohérence et pratique à travers le pays ».

« Cela n’aurait pas été fait d’ici mars », a affirmé Mme Li.

Jocelyn Downie, professeure de droit et experte en éthique médicale à l’Université Dalhousie, ne pense pas qu’un délai soit la bonne décision.

Selon elle, il ne faut pas attendre que tous les cliniciens du Canada se disent prêts à fournir l’aide médicale à mourir à des personnes dont la seule condition existante est un trouble de santé mentale, pour lancer la réforme.

« Les cliniciens qui ne pensent pas être prêts à se lancer ont l’obligation professionnelle de ne pas participer à l’AMM », soutient la Pre Downie.

Lorsque les lois sur l’AMM sont entrées en vigueur en 2016, elle a souligné que tous les cliniciens n’étaient pas préparés. Des protocoles étaient encore en cours d’élaboration. De la médication était encore acquise.

« Des cliniciens n’ont pas fourni l’aide médicale à mourir, car ils n’avaient pas tout ce dont ils avaient besoin pour le fournir, a-t-elle déclaré. Vous n’aviez pas besoin d’un délai dans la loi pour empêcher que cela ne se produise. Les cliniciens qui n’étaient pas formés ne fournissaient pas d’aide médicale à mourir. »

Mme Downie dit qu’elle souhaite un système rigoureux qui n’impose pas aux personnes atteintes de troubles mentaux des règles que personne d’autre n’est tenu de respecter.

Elle a déclaré que les facultés de médecine auraient pu être prêtes pour un élargissement de la loi au printemps, que des séances d’information techniques sur les normes de pratique étaient déjà en cours et que des séminaires éducatifs avec des cliniciens étaient déjà au programme de mars.

« Ce qui se passe, c’est que les gens se préparent, ils ont aussi de l’espoir, puis on déplace l’échéancier parce que, tout à coup, on n’est pas prêt sur d’autres paramètres », a-t-elle fait valoir.