Le nombre de psychiatres ayant déserté les hôpitaux pour pratiquer en cabinet a doublé en trois ans au Québec, dénonce la Dre Claire Gamache, présidente de leur association. Qui, dans la foulée, leur reproche de s’en tenir aux cas plus légers qui pourraient être vus simplement en CLSC ou par des travailleurs sociaux.

« Il y a trois ans, 130 psychiatres sur 1300 étaient en cabinet. On en est à 250 », se désole-t-elle.

Utiles quand même ? « Ça dépend de ce qu’ils font en cabinet », note la Dre Gamache.

Elle loue ceux qui abattent un travail substantiel, mais elle fait observer que beaucoup d’autres évitent les patients aux pathologies plus compliquées (des patients schizophrènes ou bipolaires en crise, par exemple) pour se limiter aux cas simples de dépression mineure ou de trouble d’anxiété.

Une pratique « pépère », autrement dit ? « C’est pas mal ça », répond-elle.

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La Dre Claire Gamache, présidente de l’Association des médecins psychiatres du Québec

Les psychiatres qui choisissent cette voie n’ont aucun mal à remplir leur agenda, en vertu du « message très véhiculé selon lequel tout le monde devrait aller voir un psychologue ou un psychiatre », poursuit la Dre Gamache. « Ce message devrait être restructuré. Il y a plein d’autres choses à faire dans sa vie avant d’aller voir un psy, comme manger correctement, dormir la nuit, faire du sport, participer dans la mesure du possible à des groupes de discussion sur la gestion d’émotions. »

Aux départs à la retraite s’ajoutent donc « les jeunes et les moins jeunes » qui partent en cabinet.

La Dre Gamache sourcille particulièrement en voyant des jeunes qui le font sans même avoir déjà pratiqué dans un hôpital ou dans des cliniques après l’obtention de leur diplôme, évitant ainsi, entre autres, les pénibles gardes aux urgences.

Ce discours détonne de la part de la présidente de l’Association des médecins psychiatres du Québec, lui souligne-t-on. Elle répond qu’elle représente tous les membres et que « c’est un cercle vicieux. Plus des médecins partent, plus la tâche de ceux qui restent s’alourdit ».

Si la profession ne s’autorégule pas, les psychiatres risquent de se voir imposer « des règles plus coercitives » par le gouvernement.

La Dre Gamache comprend parfaitement que la tentation soit forte d’aller en cabinet. Car oui, la pratique hospitalière est lourde. Les malades y sont très atteints et leurs psychiatres doivent passer beaucoup de temps dans les palais de justice, entre autres pour que des patients soient contraints d’accepter les soins qu’ils refusent, si leur état le commande absolument.

La lourdeur vient aussi de « la stigmatisation à la fois de la société, et des hôpitaux eux-mêmes » qui, souvent, « ne veulent pas de psychiatrie dans leurs urgences », comme c’est le cas pour le nouveau complexe hospitalier en chantier à Québec, évoque la Dre Gamache.

Les patients et leurs psychiatres se retrouvent donc souvent « dans un fond de corridor », dit-elle encore.

Rendre la pratique en cabinet moins lucrative

La solution pourrait-elle être de limiter le recours aux psychiatres à certaines pathologies seulement, les empêchant de facturer les patients pour des psychothérapies simples ?

La Dre Karine Igartua, elle aussi psychiatre et prédécesseure de la Dre Gamache à la présidence de l’Association des psychiatres, répond qu’il faut en fait chercher à « rendre la pratique en cabinet moins attirante », moins lucrative.

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La Dre Karine Igartua

Elle fait le même constat que la Dre Gamache. Oui, certains psychiatres se tricotent « une clientèle triée au peigne fin, plus agréable ».

Certains le font « pour sauver leur peau », d’autres, en raison d’un ras-le-bol qu’elle comprend très bien. Car fatigue il y a et en médecine comme ailleurs dans la société, « les gens revoient leurs objectifs de vie en se demandant pourquoi ils travailleraient comme des fous », dans des locaux vétustes, « à voir trop peu leur famille et à se taper [dans les hôpitaux] quatre plateformes technologiques désuètes qui plantent tout le temps ».

Dans un cabinet, souligne la Dre Igartua, un médecin peut arrêter de prendre des patients. Pas aux urgences. « S’il y a 8 patients aux urgences le matin et qu’il en arrive 6 autres, j’aurai 14 patients à voir. Je ne peux pas fermer les portes de l’urgence. On sent toujours la pression de la liste d’attente. »

Autre solution : les thérapies de groupe.

Au temps où elle était présidente, la Dre Igartua rappelle s’être étonnée que si peu de psychiatres en faisaient alors qu’elles sont souvent très indiquées et efficaces, relève-t-elle. Jusqu’à ce qu’elle constate que pour diriger une telle séance, autrement plus compliquée à tenir qu’une consultation privée, les psychiatres n’avaient que 0,15 $ de plus.

Il faut « renverser la vapeur », croit le ministre Carmant

Par l’entremise de son cabinet, le DLionel Carmant, ministre responsable des Services sociaux, se dit conscient que le départ de psychiatres du réseau public vers une pratique en cabinet « cause une pression additionnelle sur ceux qui restent ».

« On doit renverser la vapeur et on travaille de manière étroite avec l’Association des médecins psychiatres du Québec. Pour y arriver, le DCarmant et la Dre Gamache se sont justement rencontrés vendredi dernier pour discuter de divers enjeux prioritaires, dont celui-ci. »

Pour alléger la tâche des psychiatres à l’hôpital, Québec cherche entre autres à réduire le nombre d’hospitalisations psychiatriques par la mise en place prochaine d’unités d’intervention brève en psychiatrie assorties de plans d’intervention à long terme au retour à domicile du patient.