Le plan de rattrapage en chirurgie annoncé le printemps dernier tarde à se concrétiser : 1570 opérations de moins que l’an dernier ont été effectuées cet été, alors que 21 469 patients sont toujours en attente d’une intervention depuis plus d’un an. L’objectif du ministre de la Santé, Christian Dubé, d’abaisser cette liste à 3000 personnes d’ici avril prochain, semble de plus en plus difficile à atteindre.

Ce n’est rien pour réjouir Denise Vidal, qui attend depuis un an et demi de subir une opération pour se faire installer une prothèse totale du genou. Au fil des mois, cette résidante de Saint-Lambert de 75 ans a vu son état se dégrader et sa douleur augmenter. À un point tel qu’elle doit prendre aujourd’hui des narcotiques plusieurs fois par jour. « Sinon, je ne m’endure pas. J’ai peur de devenir dépendante. C’est inhumain », dit-elle.

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Christian Dubé, ministre de la Santé et des Services sociaux

Lors de l’étude de crédits en avril dernier, le ministre Dubé disait vouloir accélérer la cadence dans les blocs opératoires afin que la liste des personnes en attente d’une opération depuis plus d’un an revienne à son niveau prépandémique de 3000 personnes d’ici 12 mois.

Lisez l’article « Attente en chirurgie : un plan de rattrapage “sur deux à trois ans”, promet Dubé »

Mais la pénurie de personnel et la COVID-19 toujours présente ralentissent considérablement le rattrapage. Depuis avril, le nombre de personnes en attente de passer sous le bistouri depuis plus d’un an est resté pratiquement stable, baissant d’un maigre total de 164 personnes. Cet été, 50 405 personnes ont été opérées entre le 20 juin et le 13 août, soit 1570 de moins que pour la même période l’an dernier.

Nombre d’opérations réalisées (de la mi-juin à la mi-août)

2022 : 50 405

2021 : 51 975

Nombre de patients en attente d’une opération depuis plus d’un an (de la mi-juillet à la mi-août)

2022 : 21 469

2021 : 16 125

Nombre d’opérations en attente au Québec (de la mi-juillet à la mi-août)

2022 : 157 008

2021 : 144 771

Plaidoyer pour une plus grande aide

Président de l’Association d’orthopédie du Québec, le DJean-François Joncas explique que c’est sa spécialité qui présente les plus longues listes d’attente au Québec, mais aussi partout au pays. Entre 40 000 et 50 000 personnes attendent une intervention orthopédique dans la province. Selon le DJoncas, le plan de rattrapage des opérations du gouvernement a été « complètement contrecarré par les pénuries de personnel ».

Avec des collègues de partout au Canada, le DJoncas milite pour que le gouvernement fédéral augmente son aide aux provinces pour le rattrapage des activités chirurgicales. Dans leur plateforme électorale de 2021, les libéraux fédéraux promettaient de verser 6 milliards aux provinces pour diminuer les listes d’attente en chirurgie. Or, seulement 2 milliards ont été versés jusqu’à maintenant, selon la Coalition Mobilize Canada, qui regroupe des chirurgiens orthopédiques de partout au pays et dont fait partie le DJoncas.

« C’est sûr que l’argent ne règle pas tout », reconnaît le DJoncas. Mais ce dernier explique qu’il y a 15 ans, le gouvernement fédéral avait investi de l’argent pour diminuer l’attente pour des opérations à la hanche, au genou et aux cataractes, et que le tout « avait porté ses fruits ».

Le DJoncas croit aussi que les sommes investies devraient être « distribuées dans chaque spécialité en fonction des besoins et non pas en fonction de qui crie le plus fort ». « Tout le monde tire la couverte de son bord » pour pouvoir opérer le plus de ses patients. « Ça prend des arbitres pour savoir qui aura quoi », dit-il. Le DJoncas affirme que l’objectif est que « les gens puissent être opérés le plus vite possible ».

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Denise Vidal a vu son état se dégrader et sa douleur augmenter au fil des derniers mois.

Pour Denise Vidal, « la pandémie a le dos large » et plus doit être fait pour réduire les listes d’attente. Il y a deux ans, Mme Vidal était encore très active. Elle faisait des voyages, ses courses et pouvait faire de longues marches. Aujourd’hui, elle ne sort plus de sa maison et elle doit constamment utiliser sa marchette pour se déplacer chez elle, car son genou « lâche tout le temps ».

Je dois vous avouer que je suis découragée. Déprimée.

Denise Vidal, en attente d’une opération depuis un an et demi

Mme Vidal a vu son médecin de l’hôpital Charles-Lemoyne il y a peu de temps. « Il ne savait toujours pas quand je pourrais être opérée. Ce n’est pas normal. Il faut faire quelque chose. Parce qu’en attendant, je suis emprisonnée avec mon mal. Et je ne suis pas la seule », dit-elle.

Québec maintient son objectif

Au cabinet de Christian Dubé, on explique que le ministre « s’est engagé à donner au personnel de la santé des vacances bien méritées » et qu’il a « respecté son engagement ». On souligne que malgré ces vacances et « une 7e vague […], la liste d’attente pour les chirurgies de plus d’un an ne s’est pas allongée ». « Nous maintenons donc l’objectif de réduire au niveau prépandémique les chirurgies en attente depuis plus d’un an », indique l’attachée de presse de M. Dubé, Marjaurie Côté-Boileau.

Au ministère de la Santé et des Services sociaux, on affirme que « le fait que la liste ne s’allonge pas démontre que des chirurgies sont réalisées de façon plus intensive » et on prévoit « une diminution des personnes en attente depuis plus d’un an au cours des prochains mois, voire des prochaines semaines ».

À la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ), on reconnaît que le personnel avait besoin de vacances. « Bien que la liste d’attente soit stable depuis deux mois, il demeure que plus de 160 000 patients attendent une chirurgie. Avec la rentrée, on souhaite que la cadence s’accélère. On espère que les mesures gouvernementales porteront leurs fruits. Il y a tout un chantier à mener non seulement pour attirer du personnel dans le réseau, mais aussi pour le retenir. La main-d’œuvre professionnelle, c’est le défi le plus important du réseau de la santé pour les prochaines années », estime la FMSQ.