Devant le manque de soignants dans des communautés du Nord, les autorités locales ont demandé le renfort de l’armée, une requête rejetée par Québec qui mise plutôt sur l’envoi « très rapidement » d’effectifs médicaux

Le manque de personnel de santé dans sept communautés du Nunavik atteint des sommets inégalés cet été. La situation est si critique que les autorités de santé locales ont demandé au gouvernement de « peser sur le bouton rouge » et d’appeler l’armée. Québec rejette cette demande et prévoit plutôt envoyer des effectifs médicaux rapidement et signer une entente avec la Croix-Rouge.

« La pénurie de personnel infirmier que nous rencontrons actuellement est telle que notre plan de contingence ne suffira plus à assurer un accès aux services (même d’urgence) à l’ensemble des communautés dans les semaines à venir », confirme le Centre de santé Inuulitsivik à La Presse.

« Tout le monde est très stressé. Nerveux. On a peur », affirme Siasi Smiler, une aînée du village d’Inukjuak aussi membre du Comité santé de la communauté. « La situation est alarmante. Critique. En tant qu’humain et infirmier, je suis vraiment inquiet de la situation », affirme Cyril Gabreau, président du Syndicat nordique des infirmières et infirmiers de la Baie d’Hudson.

PHOTO GRAHAM HUGHES, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le village d’Inukjuak, au Nunavik

Tant le Centre de santé Inuulitsivik que la Régie régionale de la santé et des services sociaux du Nunavik (RRSSSN) ont demandé à Québec d’appeler l’armée pour qu’elle débarque en urgence, comme elle l’a fait dans les CHSLD durant la pandémie.

La porte-parole de la Régie, Kathleen Poulin, indique que « plusieurs demandes ont été placées au MSSS (ministère de la Santé et des Services sociaux) et à d’autres instances ».

Il faut comprendre la situation : les agences de personnel infirmier n’ont plus de personnel à offrir. La pénurie de personnel en soins de santé affecte tout le Québec. Il faut chercher ailleurs. Certaines organisations sont en mesure de fournir du personnel médical, dont la Croix-Rouge et les Forces armées canadiennes.

Kathleen Poulin, porte-parole de la Régie régionale de la santé et des services sociaux du Nunavik

Québec dit prendre la situation des communautés de la baie d’Hudson très au sérieux. « Un plan de contingence est élaboré à l’instant même en urgence », a confirmé mardi à La Presse Marjaurie Côté-Boileau, attachée de presse du ministre de la Santé, Christian Dubé. L’option d’appeler en urgence l’armée n’a toutefois pas été retenue. « Nous allons envoyer des effectifs médicaux, et ce, très rapidement. D’ici la fin de la semaine, nous devrions aussi avoir conclu une entente avec la Croix-Rouge pour aider sur le terrain. Ainsi, nous n’avons pas l’intention de faire appel à l’armée, comme les ressources médicales seront dirigées dans les meilleurs délais », affirme Mme Côté-Boileau.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Villages du Nunavik ayant subi une interruption de service depuis le début de l’été

À la RRSSSN, on reconnaît que, dans certains villages de la côte de la baie d’Hudson, « le risque pour la population est réel ». Une cellule de crise a été mise sur pied au Centre de santé Inuulitsivik au début de l’été pour gérer le manque de personnel. Des rencontres ont eu lieu toutes les semaines avec le MSSS et sur une base quotidienne depuis le 1er août. Le MSSS dit être « conscient de la précarité de la situation » dans le Nord.

Différentes mesures ont été prises pour attirer les travailleurs. Des paramédics peuvent, par exemple, maintenant aller y prêter main-forte. Cinq y sont présentement déployés. De nouvelles primes ont été ajoutées début août. Les efforts ont été intensifiés depuis le début de l’été « pour trouver des solutions et de nouvelles ressources externes en soutien à nos équipes », mais « le tout, sans grand succès à ce jour », reconnaît le Centre de santé Inuulitsivik.

« Pas d’autres options »

Comme le reste du réseau de santé québécois, le Nunavik n’est pas épargné par le manque de personnel cet été. À Inukjuak, six infirmières en rôle élargi se partagent normalement les gardes au dispensaire. « En juillet et en août, on a été deux, parfois une. On ne pouvait tout simplement pas assumer le système de garde », dit l’infirmière Charlie Laplante-Robert, qui travaille à Inukjuak depuis cinq ans.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Charlie Laplante-Robert, infirmière travaillant à Inukjuak

Les gens ont l’impression d’être abandonnés.

Charlie Laplante-Robert, infirmière travaillant à Inukjuak

Dans les villages isolés de la côte de la baie d’Hudson, où seul l’avion peut être utilisé pour joindre une autre localité, les conséquences de la pénurie de personnel sont majeures. « Nous n’avons pas d’autres options médicales ici. Nous n’avons pas de route qui peut nous amener vers une autre clinique ou un autre hôpital », a écrit le Comité santé d’Inukjuak dans une lettre d’alerte envoyée à la candidate de Québec solidaire dans Ungava, Maïtée Labrecque-Saganash, le 18 juillet.

Depuis le début de l’été, les 8000 habitants des sept villages de la côte de la baie d’Hudson ont dû se contenter pour de longues périodes de recevoir des soins urgents seulement, faute de personnel suffisant pour assurer les services courants. Actuellement, « quatre dispensaires sur sept (Puvirnituq, Inukjuak, Kuujjuarapik, Akulivik) sont fermés lors des heures ouvrables et accueillent les urgences uniquement, et ce, jusqu’à la fin d’août. Il s’agit de plus de 5300 personnes sans services courants », indique la porte-parole du Centre de santé Inuulitsivik, Juliette Rolland.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Le dispensaire de soins de santé du village de Puvirnituq, dont on voit ci-dessus une photo prise en mars dernier, est fermé lors des heures ouvrables.

Aucun suivi ou rendez-vous régulier n’est réalisé. Les prises de sang, les suivis pour un traitement d’infection ou la vaccination pour des enfants, par exemple, doivent être remis. Mme Laplante-Robert dit craindre que des gens ne voient leur situation se dégrader ou qu’on ne les diagnostique pas à temps.

Dans sa lettre d’alerte envoyée en juillet, le Comité santé d’Inukjuak écrit que la communauté a « encore une fois » l’impression de « ne pas recevoir la qualité de service qu’elle mérite ».

Le comité estime que la crise actuelle demande « une réponse rapide et urgente des autorités compétentes », le tout, « avant qu’une erreur dramatique ne se produise ».

En attendant les renforts, un plan de mesures d’urgence est en cours de conception par les autorités de santé du Nunavik. Ce plan prévoit notamment d’évacuer vers Puvirnituq chaque Nunavimiuq ayant besoin de voir un médecin. « Les évacuations ne seront pas uniquement faites en cas d’urgence, mais dès qu’un cas nécessitera d’être vu et pris en charge par un professionnel », indique Mme Rolland.

Des équipes de soins minimales seront conservées dans les six autres villages de la côte de la baie d’Hudson pour stabiliser les patients, le temps de pouvoir effectuer leur transfert en avion (ce qui peut prendre plus d’une journée en cas de mauvais temps).

Une entente a aussi été conclue avec la 2e division du Canada des Forces canadiennes pour que les « membres des Forces souhaitant maintenir leurs compétences acquises en soins infirmiers ou en médecine » puissent le faire au Nord, indique Mme Poulin.

Au moment d’écrire ces lignes, ni la Régie ni le Centre de santé Inuulitsivik n’étaient en mesure de nous indiquer quand ces travailleurs arriveraient, ni combien ils seraient. On ne parle pas ici d’une intervention d’envergure de mesures d’urgence, mais plutôt d’un nombre restreint d’intervenants « pouvant prodiguer des soins aux côtés du personnel médical à l’emploi du centre de santé ». La 2e division du Canada des Forces canadiennes n’a pas répondu aux questions de La Presse, mardi.

En savoir plus
  • 1100 km
    Distance séparant Montréal du village le plus proche de la baie d’Hudson
    800 km
    Distance sur laquelle se répartissent les sept villages de la côte de la baie d’Hudson
  • 0
    Nombre de routes qui desservent la baie d’Hudson