La Santé publique savait depuis 2019 que les cas de cancer du poumon étaient plus fréquents à Rouyn-Noranda qu’ailleurs au Québec, mais le docteur Horacio Arruda serait intervenu pour retenir cette information.

Ces données, finalement dévoilées en mai dernier, auraient pu l’être deux ans et demi plus tôt, n’eût été l’intervention de celui qui était à l’époque sous-ministre adjoint au ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec et directeur national de santé publique, a rapporté Radio-Canada, lundi.

Elles figuraient dans une annexe qui a été retirée du Rapport de l’étude de biosurveillance menée à l’automne 2018 sur l’imprégnation au plomb, au cadmium et à l’arsenic des jeunes enfants du quartier Notre-Dame de Rouyn-Noranda, divulgué en septembre 2019

L’arsenic, très présent dans l’air de la ville en raison des émissions de la Fonderie Horne, « est un facteur aggravant favorisant le développement du cancer du poumon et cet effet à la santé préoccupe particulièrement la [Direction de santé publique (DSPu) de l’Abitibi-Témiscamingue] », peut-on lire dans l’annexe retirée, que La Presse a obtenue lundi.

L’incidence plus grande de cas de cancer du poumon à Rouyn-Noranda rend difficilement acceptable la présence d’arsenic dans l’air ambiant et à la surface des sols.

Extrait de l’annexe retirée du rapport

La DSPu de l’Abitibi-Témiscamingue souhaitait communiquer cette information à la population, mais le DArruda aurait demandé et obtenu le retrait de cette annexe, affirmant par ailleurs agir à titre de conseiller du ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux Lionel Carmant et non comme directeur national de santé publique, soutient Radio-Canada.

Cette décision aurait été prise pour distinguer les conclusions de l’étude portant sur les jeunes enfants des informations sur la santé des adultes, qui devaient être publiées ultérieurement, a expliqué à La Presse le cabinet du ministre Carmant, niant par ailleurs toute implication dans ce dossier.

« Le DArruda n’agissait pas comme conseiller du ministre Carmant », a déclaré son attaché de presse Lambert Drainville, se refusant à plus de commentaires par respect pour « l’indépendance » de la Direction générale de santé publique.

« Il y a des questions qui vont nécessiter des réponses », a-t-il seulement ajouté.

Horacio Arruda et son successeur, le DLuc Boileau, n’avaient pas donné suite aux demandes d’entrevue de La Presse au moment de publier ces lignes.

Connu depuis 1983

L’annexe retirée du rapport souligne que les taux élevés de cancer du poumon à Rouyn-Noranda sont un problème connu depuis des décennies.

Photo Ivanoh Demers, archives La Presse

La fonderie Horne

L’analyse des données de mortalité causée par le cancer du poumon entre 1965 et 1974 avait révélé « un taux de mortalité des hommes de Rouyn-Noranda significativement plus élevé que celui de Val-D’Or [et de] l’ensemble du Québec », indique le document, citant une étude.

« Après avoir retiré les travailleurs de la fonderie, l’excès de mortalité restait significativement plus élevé à Rouyn-Noranda qu’à Val-D’Or uniquement, ajoute le document. Les auteurs [de l’étude] soulevaient que l’arsenic est un cancérigène et que l’association de la pollution atmosphérique avec l’excès de maladies respiratoires observé à Rouyn-Noranda ne pouvait être écartée. »

Cette étude avait amené le gouvernement fédéral à recommander d’examiner plus en détail la mortalité provoquée par le cancer du poumon chez les hommes de Rouyn-Noranda, « mais il ne semble qu’aucune action n’ait été entreprise pour réduire les concentrations d’arsenic dans le [quartier Notre-Dame, voisin de la fonderie] jusqu’à l’intervention du gouvernement en 2004 », indique l’annexe.

Le taux d’arsenic dans le quartier Notre-Dame a été en moyenne de 100 nanogrammes par mètre cube (ng/m⁠3) en 2021, bien au-delà de la norme québécoise de 3 ng/m⁠3, rapportait La Presse, en mars — la fonderie est toutefois autorisée à la dépasser parce que cette norme est entrée en vigueur en 2011, bien après le début de ses activités, en 1927.

Dans la foulée de l’étude de biosurveillance réalisée en 2018, la DSPu s’est penchée sur les données plus récentes et a constaté que le taux de mortalité par cancer du poumon de Rouyn-Noranda a diminué dans l’ensemble.

En revanche, l’incidence du cancer du poumon chez les femmes de Rouyn-Noranda (taux ajusté) « est significativement plus élevée et augmente plus rapidement que celui des femmes de la MRC de la Vallée-de-l’Or et de l’ensemble du Québec », souligne l’annexe.

En savoir plus
  • 1170 ng/m⁠3
    Taux record d’arsenic dans l’air enregistré en 2021 aux abords de la Fonderie Horne, alors que la norme est de 3 ng/m⁠3
    SOURCE : MINISTÈRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DE LA LUTTE CONTRE LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES