L’espérance de vie est moins bonne et les problèmes de santé, plus grands, à Rouyn-Noranda, où la qualité de l’air est notoirement mauvaise. Pendant que la Santé publique cherche les causes, des voix réclament des règles plus strictes pour la Fonderie Horne, une idée écartée par Québec.

Les habitants du quartier voisin de la Fonderie Horne, à Rouyn-Noranda, vivent en moyenne cinq ans de moins que l’ensemble des Québécois, révèlent des données de surveillance de la santé de la population.

L’espérance de vie à la naissance était ainsi de 77,5 ans dans le quartier Notre-Dame, entre 2014 et 2018, alors qu’elle s’élevait à 82,5 ans à l’échelle du Québec.

« C’est dans les valeurs les plus basses en termes d’espérance de vie [au Québec] », a déclaré à La Presse le docteur Stéphane Trépanier, directeur par intérim de la Direction de santé publique (DSPu) de l’Abitibi-Témiscamingue.

Ces données ont été transmises au début du mois au Comité consultatif de suivi de l’étude de biosurveillance qui avait révélé en 2019 que les ongles des enfants du quartier Notre-Dame contiennent en moyenne quatre fois plus d’arsenic que ceux des enfants d’Amos.

Le DTrépanier se garde bien de montrer la fonderie du doigt, mais reconnaît que la pollution atmosphérique, à laquelle contribue l’entreprise, est « un facteur de risque » particulier à la ville de Rouyn-Noranda.

PHOTO FOURNIE PAR LE CENTRE INTÉGRÉ DE SANTÉ ET DE SERVICES SOCIAUX DE L’ABITIBI-TÉMISCAMINGUE

Le Dr Stéphane Trépanier, directeur par intérim de la Direction de santé publique de l’Abitibi-Témiscamingue

Tout le monde s’entend pour dire qu’on doit travailler sur la pollution de l’air à Rouyn-Noranda.

Le Dr Stéphane Trépanier, directeur par intérim de la Direction de santé publique de l’Abitibi-Témiscamingue

Le quartier Notre-Dame n’est pas le seul de la ville où l’on meurt plus jeune qu’ailleurs au Québec ; c’est aussi le cas au centre-ville, dans le quartier de l’université et dans Rouyn-Sud, au sud du lac Osisko, où l’on enregistre l’espérance de vie la plus basse, à 75,9 ans.

Certains de ces quartiers sont défavorisés, ce qui pourrait être un facteur en cause, observe le DTrépanier, soulignant que « c’est très, très multifactoriel, l’espérance de vie ».

Maladies pulmonaires et cancers

D’autres problèmes de santé sont davantage observés à Rouyn-Noranda qu’ailleurs au Québec, montrent aussi les données de la Santé publique, comme les maladies pulmonaires obstructives chroniques (MPOC), qui entravent la respiration de manière permanente.

« C’est [l’indicateur] qui me questionne le plus, parce que l’écart est très, très grand avec la moyenne québécoise », explique le DTrépanier.

Le pourcentage de la population de plus de 35 ans atteinte de MPOC à Rouyn-Noranda s’est maintenu entre 13,5 et 14,6 % dans la dernière décennie, alors qu’il n’a pas dépassé 9,5 % dans l’ensemble du Québec.

Ces maladies affectent souvent les fumeurs, mais le taux de tabagisme à Rouyn-Noranda est relativement égal à celui du Québec, ajoute le DTrépanier, qui s’étonne aussi du nombre plus élevé de cancers du poumon.

Rouyn-Noranda en compte 140 par 100 000 personnes, alors que la moyenne pour l’Abitibi-Témiscamingue est de 122 et celle pour le Québec de 108. « C’est une importante différence », estime le DTrépanier.

Les complications liées aux grossesses sont aussi plus fréquentes à Rouyn-Noranda qu’ailleurs au Québec, notamment pour le taux de bébés naissant avec un faible poids.

Les retards de croissance intra-utérine y sont aussi beaucoup plus nombreux, particulièrement dans le quartier Notre-Dame, où le taux s’élevait à 12,5 % entre 2000 et 2019, contre 8,5 % pour l’ensemble du Québec.

Réduire les émissions d’arsenic

Les regards se tournent vers la Fonderie Horne, même si la Santé publique s’affaire maintenant à étudier d’autres indicateurs de santé pour déterminer pourquoi l’espérance de vie est plus faible à Rouyn-Noranda qu’ailleurs au Québec, et les problèmes de santé plus nombreux.

« Il ne peut pas s’agir d’un hasard », a déclaré dans un communiqué Mireille Vincelette, coporte-parole du comité Arrêt des rejets et émissions toxiques de Rouyn-Noranda (ARET), qui regroupe des parents et des résidants du quartier Notre-Dame, rappelant que les informations sur l’impact des émissions de l’entreprise s’accumulent depuis 40 ans.

Les émissions d’arsenic de la Fonderie Horne ont bondi de 26 % en 2021, pour s’établir à 87 ng/m⁠3 (nanogrammes par mètre cube), rapportait La Presse, en mars.

Lisez « Fonderie Horne à Rouyn-Noranda : les émissions d’arsenic bondissent »

Les émissions d’arsenic dans l’air ne doivent pas dépasser 3 ng/m⁠3, selon la norme québécoise, mais la Fonderie Horne, qui appartient à la multinationale Glencore, est autorisée à la dépasser parce que cette norme est entrée en vigueur en 2011, bien après le début de ses activités, en 1927 – son attestation d’assainissement actuelle limite ainsi ses émissions à 100 ng/m⁠3.

« On veut avoir une norme à 3 nanogrammes », réclame la députée de Rouyn-Noranda–Témiscamingue, Émilise Lessard-Therrien, porte-parole de Québec solidaire en matière d’environnement, soulignant que l’attestation d’assainissement est en cours de renouvellement.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Émilise Lessard-Therrien, députée solidaire de Rouyn-Noranda–Témiscamingue

On ne comprend pas pourquoi, à Rouyn, on ne devrait pas avoir la même qualité de l’air qu’ailleurs au Québec.

Émilise Lessard-Therrien, députée solidaire de Rouyn-Noranda–Témiscamingue

La mairesse de Rouyn-Noranda, Diane Dallaire, demande un plan de réduction des émissions « plus ambitieux » et plus rapide que celui qui est en place et « un suivi plus serré ».

« On demande que ça devienne une priorité politique pour le gouvernement », a-t-elle déclaré à La Presse, disant avoir rencontré plus tôt en mai le ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Benoit Charette, à ce sujet.

Ce dernier est à analyser comment répondre à ces demandes « notamment dans le cadre de la nouvelle attestation d’assainissement », a indiqué son attachée de presse, Rosalie Tremblay-Cloutier.

Refaire un nouveau plan d’action n’est toutefois « pas nécessaire » puisqu’un plan existe déjà, estime Québec, qui écarte aussi l’idée d’assujettir la fonderie à la norme québécoise de 3 ng/m3, préférant des réductions par rapport aux émissions actuelles.

« Nous devons nous assurer de poursuivre l’amélioration de la qualité de l’air et de préserver la santé des citoyens tout en maintenant la vitalité économique de la région », a déclaré Mme Tremblay-Cloutier.

La Fonderie Horne a refusé d’accorder une entrevue à La Presse, disant ne pas avoir « d’expertise en santé », a affirmé la porte-parole de l’entreprise, Cindy Caouette.

En savoir plus
  • 1170 ng/m⁠3
    Taux record d’arsenic dans l’air enregistré en 2021 aux abords de la Fonderie Horne
    source : Ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques