Au moment où le Québec est aux prises avec une importante pénurie de personnel dans le réseau de la santé, certaines agences de placement remettent en question le désir du gouvernement de cesser d'avoir recours à leurs services d’ici trois ans et disent vouloir faire partie de la solution.

« Nous éliminer n’est pas la solution. Il n’y en a pas assez, des infirmières dans le réseau », plaide Léonie Côté-Martin, présidente de l’agence de placement Groupe Serenis.

« On comprend que le gouvernement veuille renforcer le réseau. Mais on veut être des partenaires là-dedans. On pense qu’il faut trouver le meilleur équilibre pour offrir le meilleur service possible […]. On a un rôle à jouer pour combler les besoins de dépannage. Surtout dans certaines régions », ajoute Richard Mercier, président du Regroupement des agences de placement de personnel de la santé.

Plus tôt cette semaine, le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, a dit qu’il se donnait trois ans pour s’affranchir des agences privées.

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Selon Patrice Lapointe, membre du conseil d’administration de l’Association des entreprises privées de personnel soignant du Québec, se sevrer des agences n’est « ni souhaitable ni faisable ». « Mon agence existe depuis 1974. On est en mode soutien pour le réseau. Ce n’est pas réaliste de gérer 100 % des besoins sans nous », dit-il.

Si elle dit appuyer le gouvernement dans son désir d’encadrer les agences, Mme Côté-Martin veut « faire partie de la solution ». Selon elle, les agences permettent de réintégrer au réseau de la santé du personnel qui autrement quitterait le métier. « Si vous saviez le nombre de personnes que j’ai recrutées qui travaillaient dans des restaurants, des boutiques… », dit-elle.

D’autres endroits dans le monde ont démontré qu’une saine cohabitation public-privé permettait de meilleurs résultats, affirme Mme Côté-Martin. Celle-ci ajoute que le gouvernement fait affaire avec des cliniques de chirurgie privées pour réduire ses listes d’attente. « Pourquoi on passe par le privé dans ces domaines, mais pas avec les infirmières ? », demande-t-elle.

Appel d’offres « mammouth »

Le gouvernement aura fort à faire pour se départir des agences, comme le montre un premier appel d’offres groupé lancé en janvier pour embaucher du personnel d’agence dans le réseau de la santé selon de nouvelles conditions plus sévères. Une centaine d’agences ont répondu à cet appel d’offres.

En tout, les besoins en main-d’œuvre indépendante sont estimés à 3,5 millions d’heures par année dans les établissements visés par l’appel d’offres, qui excluent entre autres les régions de Montréal et de Laval.

Au CISSS de la Montérégie-Ouest, on estime avoir besoin chaque année de 541 000 heures de travail de personnel d’agence, uniquement pour les préposés aux bénéficiaires. Le CISSS indique que « le nombre d’heures a été estimé en fonction des heures […] utilisées dans la dernière année ». L’établissement dit avoir haussé considérablement son offre en soins à domicile l’an dernier, alors que le nombre d’heures a augmenté de 23,7 %. « En raison du manque de personnel, il a été décidé d’utiliser la main-d’œuvre indépendante pour assurer cette offre de service », explique le CISSS par courriel.

Au CISSS du Bas-Saint-Laurent, les besoins annuels en main-d’œuvre indépendante pour les infirmières sont estimés à 142 000 heures. Le porte-parole Gilles Turmel explique que les infirmières d’agence travaillent surtout « dans nos unités 24/7 », soit les hôpitaux et les CHSLD. « Même si nous demandons un nombre précis d’heures, nous n’avons pas l’obligation de les utiliser », ajoute-t-il.

Au CIUSSS de la Capitale-Nationale, on estime que les besoins en main-d’œuvre indépendante pour les préposés aux bénéficiaires sont de 185 000 heures par année. La porte-parole Annie Ouellet explique que les plus grands besoins « se retrouvent principalement dans nos 30 CHSLD, en santé mentale et dans les hôpitaux de Portneuf et de Charlevoix ».

Les besoins sur la Côte-Nord sont aussi importants, comme l’a expliqué La Presse samedi dernier.

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Au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), on assure que malgré cet appel d’offres imposant, l’intention est de « réduire le recours à la main-d’œuvre indépendante ». « Toutefois, dans la situation actuelle, il n’est pas possible d’interdire le recours aux agences sans mettre à risque, particulièrement pour les établissements des régions éloignées, les soins et services offerts à la population », indique le MSSS.

De nouvelles balises sont incluses dans l’appel d’offres de Québec afin d’« éviter que des travailleurs d’agence aient de meilleures conditions de travail (horaires, etc.) que le personnel du [réseau] », note le MSSS. Les tarifs que peuvent facturer les agences sont notamment plafonnés.

Le président de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN), Réjean Leclerc, salue les mesures prises par le gouvernement pour réduire le recours aux agences privées. Mais, selon lui, l’appel d’offres groupé montre justement l’ampleur de la dépendance du réseau aux agences et l’importance de la pénurie de personnel en santé. Durant la pandémie, le gouvernement a formé en accéléré près de 10 000 préposés aux bénéficiaires pour travailler dans les CHSLD. « Malgré ça, il manque encore beaucoup de monde », note M. Leclerc. Selon lui, il est urgent d’améliorer les conditions de travail dans le secteur public pour cesser l’exode vers le privé.