Associer homosexualité et pédophilie. Insister pour qu’une femme lesbienne prenne la pilule contraceptive. Conseiller l’abstinence à un homosexuel. Prescrire une thérapie de conversion à une personne trans. Au moment où s’amorce le festival Fierté Montréal, des membres de la communauté LGBTQ+ dénoncent les mauvais traitements que leur réservent encore certains médecins québécois.

« Toi, là… es-tu pédophile ? » C’est la question troublante d’un médecin de famille à laquelle Pierre McCann a dû répondre en vue d’adopter un petit garçon avec son amoureux. Avant d’obtenir la garde légale, ils devaient faire remplir un formulaire par leurs médecins de famille, conformément au processus habituel du Centre jeunesse de l’Estrie.

D’entrée de jeu, le médecin de M. McCann l’a questionné sur sa blonde. Le patient lui a répondu qu’il avait un conjoint. Le médecin a ensuite évoqué la possibilité qu’il puisse avoir des relations sexuelles avec des enfants. « J’ai répondu par la négative et il a ajouté : “Parce que tu sais, il y en a tellement…” »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Pierre McCann

Je ne sais pas si c’est parce que j’avais besoin du formulaire pour fonder une famille ou parce que j’ai été surpris par sa question, mais je ne l’ai pas confronté.

Pierre McCann

À ses yeux, il ne fait aucun doute que la question lui a été posée parce qu’il formait une famille LGBTQ+. « Il n’aurait sans doute pas posé cette question à un hétéro. »

Des jugements aux lourdes conséquences

Selon l’étude française Santé LGBTQ : les minorités de genre et de sexualité face aux soins, dont les conclusions ont été publiées aux Éditions du bord de l’eau en 2020, plus d’un répondant sur deux au sein de cette communauté s’est déjà senti discriminé dans son parcours de soins. Au point où 40 % des membres de la communauté interrogés taisent leur orientation sexuelle ou leur identité de genre, pour éviter la discrimination. Une situation qu’a vécue Guillaume*, à Montréal, lorsqu’il a fait son deuxième test d’ITSS en cinq mois, après avoir été exposé à une chlamydia. « Mon médecin m’a suggéré l’abstinence : une façon de dire que si je voulais éviter les expositions, la solution était d’arrêter de coucher avec des gars. Je me suis senti comme de la merde. »

Ainsi, 27,3 % des personnes interrogées dans l’étude menée en France ont changé de médecin après une mauvaise expérience, comme Guillaume. « Ça m’a poussé à consulter un médecin spécialisé dans les patients LGBTQ+ », dit-il.

Hétéronormativité au banc des accusés

Autre comportement décrié : les médecins qui tiennent pour acquis que tous leurs patients sont hétérosexuels. Alex*, lesbienne, a parfois le sentiment d’avoir à éduquer son médecin. « Si je dis que je ne prends pas de contraception, mais que je suis en couple ou que je suis active sexuellement, les médecins ne comprennent pas. Il faut que j’explique que je suis avec une femme. »

Selon Maxim*, une personne trans qui utilise le pronom « iel », les formulaires sont largement hétérocentrés : « Les questions qui touchent la contraception sont centrées sur l’expérience hétérosexuelle. »

Afin d’obtenir une opération d’affirmation de genre, Maxim a eu besoin d’une attestation médicale confirmant que son état de santé lui permettait de subir une anesthésie générale. « Le docteur refusait de signer, parce qu’il n’avait aucune idée de ce qu’une transition de genre était. J’ai essayé de lui expliquer, mais dès que je lui ai dit que ma transition pourrait être une question de vie ou de mort, il a cru que j’étais suicidaire et il a essayé de m’envoyer en psychiatrie ! »

Après avoir quitté l’hôpital, Maxim a consulté dans une autre clinique. « Dès que cet autre médecin a compris ma demande, il a signé mon papier sans m’examiner ni même me poser une question sur mon état de santé. Il voulait seulement que je quitte son bureau au plus vite. »

Ces mauvaises expériences laissent des séquelles.

Aujourd’hui, j’aurais besoin d’un suivi pour que mon VPH ne tourne pas en cancer, mais j’ai trop peur d’aller voir quelqu’un d’autre.

Maxim

Après avoir vécu des traumatismes avec des médecins, 14,3 % des membres de la communauté LGBTQ+ évitent d’obtenir des soins, estime l’étude française Santé LGBTQ, ce qui peut entraîner des complications et des diagnostics tardifs.

Mégenrer les personnes trans

Environ 72 % des personnes trans ont déjà vécu un malaise dans leur parcours de santé en lien avec leur identité de genre, constatent aussi les chercheurs français.

Lors d’un séjour hospitalier, Justin*, un homme trans, a maintes fois demandé au personnel de cesser de le genrer au féminin et d’utiliser son ancien prénom. Personne ne l’a écouté. Il a également eu du mal à obtenir la contraception visant à stopper ses menstruations. « Mon médecin de famille insistait pour me prescrire la pilule, même si je lui disais que ça ne me convenait pas. J’ai fini par négocier d’avoir un stérilet. Je lui ai demandé celui sans hormones, parce que j’allais commencer l’hormonothérapie. Évidemment, elle ne m’avait posé aucune question à ce sujet. »

Plus loin dans le processus d’hormonothérapie, la testostérone a mis fin à ses menstruations. Justin a donc voulu retirer le stérilet. « Ma médecin m’a conseillé de réfléchir en disant que si j’avais des partenaires sexuels, je devrais me protéger. »

Je me suis senti infantilisé du début à la fin.

Justin

Thérapies de conversion sur ordonnance

Le 20 octobre 2020, la Coalition avenir Québec (CAQ) a déposé un projet de loi visant à interdire les thérapies de conversion qui prétendent changer l’orientation sexuelle, l’identité ou l’expression de genre. Cela dit, des personnes de la communauté LGBTQ+ québécoise disent avoir été invitées par des médecins à s’y soumettre.

Avant d’avoir 18 ans, Coralie* a expliqué à sa médecin qu’elle voulait transiter. Peu informée sur le sujet, celle-ci l’a dirigée vers un département universitaire qui offrait un programme pour obtenir l’hormonothérapie. Coralie devait alors suivre une thérapie individuelle et une thérapie de groupe par semaine. « Les responsables cherchaient à démontrer leur théorie voulant que les personnes trans n’existent pas et ont d’autres problèmes qui les poussent à s’autodétruire. »

Ils affirmaient aussi que si elle commençait à prendre des hormones sans d’abord aller très bien, elle plongerait en dépression. « Quand tout allait bien pour moi, le psy me demandait pourquoi je venais. Selon eux, je devais mal aller pour justifier ma présence en thérapie. Mais, je ne pouvais pas obtenir d’hormones si j’allais bien… »

*Certains intervenants ont demandé à protéger leur identité pour éviter d’être victimes de discrimination en matière d’orientation ou d’identité sexuelles.

Le Collège des médecins défend le droit à des soins « sans biais ni préjugés »

Le président du Collège des médecins, le DMauril Gaudreault, se dit mal à l’aise face aux exemples récoltés par La Presse. « Étant médecin de famille depuis 40 ans, je suis sensible à ça, dit-il. Tous les patients doivent recevoir des soins de qualité, sans biais ni préjugés. » Au cours des dernières années, certains médecins visés par des plaintes de même nature ont été invités à suivre des ateliers de communications médecin-patient. Toutefois, le DGaudreault juge qu’il faut aller plus loin. En décembre 2020, les dirigeants du Collège ont participé à une journée de réflexion sur le racisme systémique et la discrimination des communautés marginalisées dans le réseau de la santé. Depuis, un groupe de réflexion a été mis sur pied, afin de faire des recommandations au Collège en matière de responsabilité sociale. L’organisation veut également miser sur la formation. « Certaines universités offrent des cours pour sensibiliser leurs étudiants [aux enjeux LGBTQ+], mais on veut que ce soit généralisé d’une faculté à l’autre. On souhaite aussi créer plus de milieux d’apprentissage pour que nos étudiants fassent des stages où ils seront en contact avec ces clientèles marginalisées. »