Les chirurgiens des hôpitaux de Montréal sauront dans les prochains jours comment les compressions de 50 millions exigées par le gouvernement toucheront les blocs opératoires. Le conseil d'administration de l'agence de la santé et des services sociaux de Montréal (ASSS) a entériné mardi soir le plan qui lui permettra d'économiser 22,7 millions dans le secteur de la chirurgie. Les temps s'annoncent donc particulièrement durs dans certains hôpitaux, déjà en régime minceur, a constaté La Presse.

Afin de donner une chance aux blocs opératoires, l'Agence puisera 17,3 millions dans d'autres enveloppes pour les affecter à la chirurgie. On prévoit notamment récupérer de l'argent dans le programme de dialyse, où les nouveaux cas ont été moins nombreux que prévu, de même que dans le coût des médicaments, dont l'indexation a aussi été moindre que prévu.

Moins d'actes de chirurgie

Il reste donc à trouver 5,4 millions. C'est là que ça pourrait faire mal, puisque l'Agence a l'intention de ne pas autoriser les hôpitaux à ajouter de nouveaux actes à leur programme de chirurgie. Ceux qui avaient cette intention devront se débrouiller pour récupérer les sommes nécessaires dans leur budget global. Selon nos informations, qui n'ont pas été confirmées par l'Agence puisque ces établissements n'ont pas encore été avisés, les hôpitaux Maisonneuve-Rosemont et Santa Cabrini seraient du nombre.

Quatre ou cinq hôpitaux ne recevront pas le financement espéré, a confirmé François LeMoyne, directeur des finances à l'Agence. Les tarifs de tous les actes chirurgicaux seront par ailleurs gelés au lieu d'être indexés de 2% comme prévu. «Ces ajustements permettent de minimiser l'impact de la mesure ministérielle pour 2012-2013. Mais des travaux additionnels devront être complétés pour nous assurer que cette mesure n'aura pas d'effet sur l'accessibilité aux services», peut-on aussi lire dans la résolution adoptée mardi soir.

Des patients touchés

À l'Hôpital général juif, la direction avait déjà appliqué un régime minceur en chirurgie. Le Dr Serge Carrier, l'un des rares urologues au Québec à posséder l'expertise pour offrir des implants péniens à des hommes souffrant de troubles érectiles (dans la moitié des cas à la suite d'un cancer de la prostate), s'est fait couper les vivres au printemps. Par conséquent, il a dû annoncer aux 45 patients qui attendent d'être opérés qu'il ne peut pas le faire et qu'il ne sait pas quand il le pourra.

«Normalement, j'installe une dizaine de prothèses péniennes par année, a-t-il expliqué. Depuis le mois d'avril, je n'en ai installé aucune. Ces opérations sont pourtant remboursées par la RAMQ. C'est donc illégal, dans un sens, de les refuser. Et je n'ai pas le droit de dire à mes patients d'aller au privé.»

L'un de ces patients, qui a préféré garder l'anonymat, a saisi le commissaire aux plaintes de l'hôpital. L'homme, qui a survécu à un cancer de la prostate diagnostiqué en 2002, a enduré des injections péniennes durant un an avant d'être enfin placé sur la liste d'attente, au printemps dernier, pour recevoir un implant. Après six mois d'attente, il a appris que l'opération n'aurait pas lieu.

«Je ne me considère pas comme une dépense administrative, dénonce-t-il. Imaginez la réaction qu'aurait la population si c'était des prothèses mammaires qu'on refusait à des survivantes du cancer du sein! Le pénis, pour les hommes, ce n'est pas une question esthétique. L'implant, c'est pour avoir une vie normale, pour l'estime de soi, pour mon intégrité physique.»

À la direction administrative des services chirurgicaux, Valérie Vandal assure que les interventions nécessaires à la survie des patients (cancer, cardiologie) ne seront pas touchées. «Il n'en demeure pas moins que nos volumes sont trop élevés pour notre capacité financière, a-t-elle dit. On va travailler avec l'Agence pour trouver des solutions. On pense notamment à des corridors de service pour que nos chirurgiens puissent opérer ailleurs, comme c'est le cas actuellement pour de petites interventions.»

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Mesures rétroactives

Le plan de compressions de 50 millions touche uniquement le programme de chirurgies dites excédentaires, un budget spécial débloqué en 2003 sous Philippe Couillard et qui était reconduit depuis 10 ans. Le ministère de la Santé se serait aperçu que certains frais administratifs étaient payés en double aux établissements. À Montréal, l'Agence de la santé et des services sociaux a calculé que les coupes représentaient environ 22,7 millions. Le problème, c'est que les compressions demandées sont rétroactives au 1er avril, alors que les hôpitaux ont déjà prévu leur budget pour 2012-2013.

À son arrivée en poste, le nouveau ministre de la Santé, Réjean Hébert, a par ailleurs décidé de corriger la grille des sommes accordées aux hôpitaux pour chaque acte chirurgical. Cette grille est donc passée de 4 à 14 catégories d'actes chirurgicaux, notamment afin de refléter le coût réel de certaines interventions, aujourd'hui moins coûteuses grâce aux avancées technologiques. À Montréal, les établissements qui verront leurs revenus fondre en raison de cette modification se feront uniquement rembourser leurs pertes à hauteur de 82%, ce qui permettra à l'Agence d'épargner 3,3 millions.