Dix ans après la tragédie à Lac-Mégantic, le projet de voie de contournement est sur le point de faire l’objet d’une première pelletée de terre. Le projet fait face à de plus en plus d’opposition, certaines municipalités craignant notamment des conséquences environnementales importantes. Ottawa, de son côté, persiste et signe : ce projet se fera coûte que coûte.

Une mairesse convaincue

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La mairesse de Lac-Mégantic, Julie Morin

La mairesse de Lac-Mégantic, Julie Morin, est convaincue que le scénario retenu est le plus adéquat pour sa ville. « Le projet a toujours été fait avec des experts, des firmes compétentes. L’enjeu, c’est que le temps s’est écoulé, et malheureusement, certains ont oublié toutes les étapes très rigoureuses franchies », explique-t-elle. Son intention est toutefois de mettre sur pied un « programme de surveillance des puits privés » d’eau potable, plus à risque que les puits publics, et dit avoir demandé la création d’un fonds financier, administré par Transports Canada, pour soutenir les résidants dont le puits devra être reconstruit. « Ce tracé, c’est celui qui a le moins d’impacts. On a vécu un traumatisme collectif. Il y a des gens qui ont encore un stress chaque fois que le train passe. Ce n’est pas facile, ce qu’ils vivent. On doit y mettre un terme », persiste la mairesse.

Des milieux humides « complètement détruits »

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Gaby Gendron, maire de Frontenac

Gaby Gendron, maire de Frontenac, soutient que le projet ne satisfait pas au critère de l’acceptabilité sociale : les citoyens de sa municipalité l’ont rejeté à 92,5 % lors d’un référendum en février dernier. « Si ça passe ici, on parle d’environ 66 hectares de milieux humides qui vont être complètement détruits. Il y a des endroits où ils vont devoir creuser tout près de 100 pieds sous la nappe phréatique. Ça représente 5000 mètres cubes d’eau par jour qui vont être directement tirés dans la rivière Chaudière », explique l’élu. Il soutient que plusieurs de ses concitoyens ont aussi des craintes en ce qui a trait à la quantité et la qualité de l’eau potable en cas d’accident. « On ne nous dit rien de rassurant, à part de dire que s’il y a un problème, on va le régler rendu là. Mais on parle d’eau potable, ça prend des réponses », dit M. Gendron.

Le spectre des expropriations

Les premiers travaux entourant la voie de contournement devraient être lancés cet automne, après que le projet eût été soumis à l’Office des transports du Canada (OTC). Le 14 juin dernier, une quarantaine de propriétaires ont été informés que le gouvernement fédéral prendrait possession de leur terrain au 1er août 2023 pour construire la voie de contournement. Au cabinet du ministre fédéral des Transports, Omar Alghabra, on assure qu’une indemnisation sera offerte aux propriétaires expropriés, dont la somme reste à préciser. Déjà, ces premières expropriations causent de la déception : une contestation judiciaire pourrait même s’organiser selon les avocats accompagnant les propriétaires visés. « Qu’on exproprie des gens et qu’on affecte négativement des familles qui ont perdu des proches en 2013 est une grave tragédie humaine créée volontairement et consciemment par les élus », a aussi soutenu la Coalition des victimes collatérales de la voie de contournement ferroviaire (CVC).

Autoroute de matières dangereuses

Depuis quelques mois, la voie de contournement ferroviaire est aussi contestée pour des raisons de sécurité. Le porte-parole de la Coalition des citoyens et organismes engagés pour la sécurité ferroviaire de Lac-Mégantic, Robert Bellefleur, craint que depuis l’acquisition de la voie par le Canadien Pacifique (CP) en 2020, « le projet soit passé d’une voie locale à une voie intercontinentale », qui deviendrait une « autoroute de matières dangereuses ». « On soutient toujours un projet à basse vitesse et acceptable socialement, mais là, ils veulent faire passer des trains à 40 miles à l’heure tout près de l’usine Tafisa de panneaux de particules, qui est à haut risque d’inflammabilité. On a l’impression que la voie de contournement, qui devait être un projet de guérison sociale, est devenue un projet à l’avantage du CP », regrette-t-il.

« Je vais vivre une deuxième catastrophe »

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Daniel Gendron, maire de Nantes

À Nantes, le maire Daniel Gendron s’oppose aussi au projet de voie de contournement. « Les dommages environnementaux sont trop grands. Assoyons-nous ensemble et essayons de trouver un autre moyen pour faire passer cette voie-là ailleurs, si c’est vraiment le souhait du gouvernement », estime l’élu. Il craint surtout le déversement de « millions de litres d’eau dans la rivière ». « Je l’ai vécue personnellement et professionnellement, cette tragédie. J’étais élu à Lac-Mégantic dans ce temps-là. Aujourd’hui, j’ai l’impression que je vais vivre une deuxième catastrophe, que je vais être assis dans la première rangée en avant et que je ne pourrai rien faire. Je vais vivre une catastrophe environnementale », dit M. Gendron.