Au moment où trois personnes sont mortes mardi sous les roues de camions de déneigement à Montréal et où unaccident grave a laissé une jeune conductrice dans un état critique hier à Lévis, Transports Québec s'apprêtait jusqu'à tout dernièrement à diminuer les contrôles sur ces chauffeurs et leurs employeurs.

Dans une directive très détaillée, rédigée par des fonctionnaires et les avocats du ministère des Transports et de Contrôle routier Québec, on prévoyait retirer aux 325 contrôleurs routiers du Québec le pouvoir de faire des vérifications en interceptant les véhicules affectés au déglaçage ou au transport de la neige. Ces contrôles, expliquait-on «peuvent compromettre à l'occasion l'efficacité des opérations de déneigement» qui doivent «s'effectuer le plus rapidement possible pour assurer la sécurité du public».

«C'est l'équivalent d'un congé de devoirs et de leçons pour les compagnies», a confié un représentant de l'industrie après avoir pris connaissance du «projet» de directive, un texte de trois pages que La Presse a obtenu.

«Les contrôleurs routiers ne pourraient être en accord avec ces orientations, cela équivaudrait à nous enlever les pouvoirs d'intervention sur les véhicules de déneigement», proteste de son côté Yves Beaudoin, le président de la Fraternité des constables en contrôle routier. Il déplore vivement que ses membres ne soient jamais consultés dans ces changements de cap. «Ces pouvoirs d'intervention des contrôleurs sont nécessaires à la sécurité routière» insiste-t-il.

Au cabinet de la ministre Julie Boulet, on a vite envoyé la balle dans le camp des fonctionnaires: «Cette directive ne sera pas signée par le sous-ministre, c'est mort-né», a dit le porte-parole Terry McKinnon, qui a soutenu que cette décision n'était pas liée aux trois morts survenus mardi à Montréal.

Le document juridique, clairement peaufiné, prévoyait déjà l'espace pour les signatures du vice-président au contrôle routier, Yves Charrette, et du nouveau sous-ministre adjoint aux Transports, Jean-Pierre Bastien. Une fois signée, la directive aurait empêché les opérations de ratissage et d'interception des contrôleurs pour le déneigement.

Ces interventions, surnommées «Boule de neige», se font notamment dans la région métropolitaine, où l'on inspecte directement les heures de conduite des chauffeurs après les tempêtes de neige. Sur son site internet, la SAAQ souligne que ces opérations ont un effet important sur la sécurité routière.

«Je n'ai jamais vu ce texte, je comprends que nos fonctionnaires ont travaillé sans que je sois informé... À l'origine, il s'agissait de régler un problème précis en Abitibi» s'est défendu hier Yves Charrette, vice-président de la SAAQ et patron des contrôleurs routiers. Avant même cette entrevue à La Presse, M. Charrette avait fait organiser, pour aujourd'hui, une conférence téléphonique avec l'ensemble de l'industrie du camionnage sur le problème du déneigement.

Rapidité

Parmi les «attendus», on souligne que les opérations de déneigement «doivent s'effectuer le plus rapidement possible pour assurer la sécurité du public» et que «les opérations de contrôle routier peuvent compromettre à l'occasion l'efficacité des opérations de déneigement».

L'entente prévoyait d'abord que les camions qui participent au déneigement n'avaient pas à passer aux postes de pesées et de contrôle routiers.

Surtout, le texte prévoit que les contrôleurs routiers ne doivent pas «intervenir auprès des véhicules affectés au déneigement lorsqu'ils sont en opération, à moins de constater ou suspecter un manquement aux lois et règlements pouvant affecter la sécurité». Concrètement, un contrôleur n'aurait pu à l'avenir intercepter un chauffeur et vérifier ses «ti-ckets», les coupons amassés pour ses voyages, une façon efficace de vérifier ses heures de travail.

Pour les longs transports (plus de 150 km), les conducteurs doivent tenir un carnet de route qui recense leurs heures de travail, mais qui, confie-t-on dans l'industrie, est souvent manipulé. Pour ceux qui parcourent de courtes distances - comme lors du déneigement - le carnet de route n'est pas obligatoire, et il devient important de pouvoir les contrôler quand ils sont au volant.

Un chauffeur ne doit pas conduire plus de 13 heures en 24 heures, et pas plus de 70 heures en une semaine, des balises fréquemment dépassées dans une industrie où le contexte économique est difficile. Des 30 000 constats d'infraction délivrés par les contrôleurs routiers en 2008, 2400 venaient de ces dépassements d'horaire, a indiqué la SAAQ hier.

Dans l'accident qui a eu lieu hier à Lévis, le jeune chauffeur en était à 12 heures de travail consécutives. Sous le couvert de l'anonymat, un contrôleur a confié hier qu'il n'est pas rare de voir sur le tableau de bord des camions une bouteille des comprimés que prend le chauffeur pour rester éveillé.

Pour les vétérans du contrôle routier, la note de service a suscité des souvenirs bien amers. Dans les années 90, une directive similaire avait interdit aux contrôleurs d'arrêter un autocar nolisé quand il roulait - on prétextait ne pas vouloir causer d'inconvénients aux passagers.

Quelques années plus tard, dans son enquête publique sur l'accident d'autocar qui avait fait 44 morts aux Éboulements en 1997, le coroner Luc Malouin avait relevé que cette directive avait malheureusement contribué à ce que le transport par autocar soit moins rigoureusement surveillé, avec des risques prévisibles pour la sécurité.