La Coalition avenir Québec (CAQ) croit pouvoir récupérer jusqu'à deux milliards de dollars aux entreprises au coeur du système de collusion sur les chantiers. «Il n'existe a priori aucun obstacle juridique» pour déposer des recours civils en dommages et intérêts, conclut Me Mathieu Bouchard, récemment sacré «étoile montante» par Best Lawyers in Canada.

Le juriste prend toutefois bien soin de préciser qu'il n'émet «aucune opinion sur les chances de succès» de ces recours. Sa «note de service» est «purement théorique et limitée à une analyse de la faisabilité», précise-t-il.   

Dans les 15 dernières années, environ 250 milliards ont été octroyés en contrats publics par Québec et les municipalités, calcule la CAQ. La collusion aurait fait augmenter les prix de 20% à 30%, selon divers témoignages à la commission Charbonneau. «Pensez-vous vraiment que nous pouvons récupérer tout cet argent? La réponse est non», reconnaît le caquiste Jacques Duchesneau. Mais il croit pouvoir en récupérer plus d'un milliard. Et il veut aussi lancer un message clair, ajoute-t-il: «le crime ne paye pas». 

Le ministre de la Justice, Bertrand St-Arnaud, a déjà accusé la CAQ «d'amateurisme».  Les juristes de l'État doivent prendre le temps de bien examiner les dossiers avant d'intenter des poursuites. Mais le chef caquiste François Legault est pressé. Il réfère à la note de Me Bouchard, qui soutient que Québec a un «intérêt suffisant» pour agir. Et qu'il serait préférable de le faire rapidement, pour éviter la prescription ou la liquidation des actifs.

À partir de quelles preuves poursuivre? Lors du procès civil, le témoignage passé des employés des firmes de construction ou de génie-conseil devant la commission Charbonneau pourrait être considéré comme du ouï-dire. Mais on pourrait à tout le moins en tenir compte, et exiger au besoin que les responsables témoignent à nouveau.

Si un témoin s'incrimine devant la commission, il jouit de l'immunité. On ne peut utiliser ce témoignage contre lui dans un futur procès criminel. Il faudrait refaire autrement la preuve. Or, explique Me Bouchard, l'immunité accordée est pour les individus et non les entreprises. Et elle a «généralement été interprétée» comme s'appliquant aux poursuites criminelles et pénales, et non civiles.

«Il y a une exception concernant les témoignages lorsqu'il s'agit d'aveux, poursuit M. Legault en référant à la note de service. On peut à ce moment-là utiliser ces aveux contre les entreprises si c'étaient des témoins qui faisaient partie de la direction.»

Mais ces poursuites ne risquent-elles pas de décourager les futurs témoins de collaborer avec la commission Charbonneau, par crainte d'exposer leur employeur à une poursuite ? «Les individus qui sont là sont surtout préoccupés d'avoir une immunité personnelle», répond le chef caquiste.

La CAQ a présenté sa pétition «Remboursez-nous», qui viole les règlements de l'Assemblée nationale et ne pourra donc jamais y être déposée. En neuf jours, 26 754 signatures ont été amassées. L'opération s'accompagnait d'une publicité à la télé. On en profitait aussi pour solliciter des dons. Le bilan: une dépense de 100 000$, et 6000$ amassés en dons. «Si le but était d'amasser de l'argent, on aurait échoué. Mais ce n'était pas le but», raconte M. Duchesneau.