Dès 2005, un rapport interne du ministère des Transports (MTQ) soulevait des problèmes dans l'approbation de nombreux «extras» accordés à un entrepreneur dont le nom revient souvent à la commission Charbonneau.

Ce document, réalisé par la Direction de la vérification interne du MTQ, fait partie d'une quarantaine de rapports internes déposés jeudi à l'Assemblée nationale par le ministre des Transports, Sylvain Gaudreault. L'un des rapports réclamés depuis des mois par la Coalition avenir Québec touche directement les «avenants», ces extras qui font gonfler la facture d'un projet.

S'il ne fait pas état de collusion ou de corruption, le document d'octobre 2005 relève des lacunes dans «l'établissement et l'approbation» des extras relativement à un contrat de réfection de l'autoroute 40, direction est, entre le boulevard des Sources et l'autoroute 520, à Montréal.

L'entrepreneur pour ce chantier de 2004 était Les Grands Travaux Soter. Le consortium Genivar-Tecsult, deux firmes d'ingénieurs, était chargé de la surveillance du chantier. La valeur initiale du contrat s'élevait à 35 millions de dollars.

Or, «le contrat a fait l'objet d'un nombre important d'avenants», peut-on lire dans le rapport. Pas moins de 28 extras atteignant 5 millions ont été demandés au Ministère, ce qui a fait grimper la facture à 40 millions. On note qu'une autre réclamation de l'entrepreneur, de 8 millions, était en cours d'analyse. Le MTQ n'a pas pu préciser, hier, la facture finale du projet.

Selon ses vérificateurs, «la procédure concernant les avenants a été rarement respectée pour les 28 avenants établis pour ce contrat». Par exemple, contrairement aux règles, l'approbation préliminaire des «propositions d'avenants» présentées par l'entrepreneur n'a été faite qu'une seule fois avant les travaux. Le retard moyen entre les travaux et l'approbation préliminaire était de plus de six mois. Autre constat: les extras ont été établis «bien après les travaux», un retard qui dépassait en moyenne neuf mois.

Or, régler les extras après la fin d'un chantier peut être une pratique dangereuse, a-t-on appris à la commission Charbonneau. Le fonctionnaire montréalais à la retraite Luc Leclerc a reconnu avoir empoché plus d'un demi-million en pots-de-vin pour gonfler des réclamations d'entrepreneurs à la Ville de Montréal. Et l'un de ses stratagèmes était justement de miser sur les imprévus survenus lors des travaux pour gonfler la facture par la suite.

La stratégie de Luc Leclerc consistait à amplifier des événements qui étaient réellement survenus. Ainsi, en déplaçant sur papier de quelques mètres à peine un amas rocheux découvert en creusant une tranchée, il pouvait multiplier la facture entraînée par cette mauvaise surprise. Les vérificateurs du MTQ n'ont pas analysé si les extras au contrat de 2004 étaient justifiés. Ils se contentent de dire que, selon le «responsable du projet» à la direction du MTQ pour Montréal, les extras «seraient dus» à la «complexité du projet et à la qualité des prévisions [plans et devis]», notamment. Ils soulignent quelques «points positifs» dans la gestion du contrat. Mais manifestement, «la Direction n'a pas suivi scrupuleusement les règles en vigueur» pour les avenants.

«Nous recommandons que [la Direction] attache encore plus d'importance à certaines directives lorsque le contrat est complexe. C'est le cas pour l'établissement et l'approbation des avenants», peut-on lire.

Le rapport souligne que les vérificateurs ont fait ce mandat après avoir été «sollicités» par la direction du MTQ pour Montréal. On ne précise pas les raisons qui ont mené à cette analyse.

Le nom d'une firme soeur de Grand Travaux Soter à l'époque, baptisée Construction Soter, est revenu à 78 reprises depuis le début de la commission Charbonneau. Luc Leclerc a indiqué avoir empoché des pots-de-vin de cette société. Le plus important aurait été un paiement de 5000$ pour obtenir ce qu'il appelle son «service cinq étoiles». Le fonctionnaire a révélé fait plusieurs voyages avec l'entrepreneur Éric Giguère, de Soter, dont un en Allemagne vers 2006 ou 2007, aux frais de la société. Après sa retraite à la Ville, Luc Leclerc a été embauché par Soter pour un mandat de trois mois.

De son côté, le propriétaire de Terramex, Michel Leclerc, a dit être convaincu que Soter faisait partie du cercle fermé d'entreprises décrochant des contrats à Montréal, en raison de sa présence fréquente dans les appels d'offres.

Soter a brièvement perdu le droit d'obtenir des contrats publics l'hiver dernier, après l'adoption de la loi sur les entreprises frauduleuses en construction (35). Le retrait de l'un de ses dirigeants, Joseph Giguère, dont l'une des firmes avait été reconnue coupable de fraude fiscale, avait permis à l'entreprise de retrouver sa pleine licence de construction.