Le maire Régis Labeaume a adopté un ton menaçant pour convaincre les élus d'adopter d'ici la semaine prochaine le projet de loi 204, qui sert à «assurer la sécurité juridique» de son entente avec Quebecor sur la gestion du nouveau Colisée.



«Sinon, y'en aura plus d'entente. C'est-tu clair ? Y'en a aura plus!» s'est-il emporté ce midi lors de la commission parlementaire sur le projet de loi privé.

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Pourquoi cette «urgence»? Même s'il croit que son entente est légale, le maire reconnaît que d'autres juristes pensent le contraire.

Selon l'entente préliminaire signée en mars avec Quebecor, les deux partis ont jusqu'au 7 septembre pour conclure l'entente finale. Les menaces de poursuites et le flou juridique pourraient empêcher cette entente, craint-il.

Quebecor pourrait-elle retarder la date butoir ? Rien ne garantit que son pdg, Pierre Karl Péladeau, n'agisse de la sorte, répond le maire.

Pendant ce temps, il se plaint que l'incertitude retarde la planification des travaux. Selon ses calculs, cela coûtera 2,2 millions $ par mois à sa ville.

M. Labeaume a défendu son choix de négocier de gré à gré au lieu de lancer un appel d'offres. «Ce n'est pas une démarche exceptionnelle», a-t-il assuré. Selon ses juristes, l'entente serait légale. Il explique que de façon générale, la Ville fait un appel d'offres quand elle dépense. Elle conclut des ententes de gré à gré quand elle cherche à obtenir de revenus.

Cette façon de faire serait aussi la plus efficace pour obtenir un maximum de revenus et trouver un acquéreur sérieux pour une franchise de la Ligue nationale de hockey (LNH). Avec un appel d'offres, la Ville aurait été obligée d'accepter la meilleure proposition, sans pouvoir la négocier. Et rien n'aurait garanti selon lui que le plus haut soumissionnaire aurait été le meilleur candidat pour ramener les Nordiques dans la Vieille-Capitale. «Si on avait fait cela, les citoyens auraient considéré que leur maire est un idiot. (...) Jamais les Québécois nous auraient pardonné de ne pas travailler avec un partenaire capable d'amener un club de la LNH à Québec», a-t-il lancé.

Il avoue toutefois qu'il n'y a «pas de garantie de succès» quant au retour des Nordiques.

En négociant de gré à gré, la Ville aurait aussi mis les candidats en concurrence directe. Le négociateur était le président de l'Industrielle Alliance, Yvon Charest. Un «membre de l'élite financière canadienne» et «l'homme le plus honnête en ville», croit le maire. M. Charest aurait «suscité des offres et négocié jusqu'à la dernière minute ». «L'offre montait de jour en jour à la fin. (...) On a fait monter les enchères comme c'est pas possible. C'était inespéré », a-t-il ajouté.

Feu vert pour débattre

L'ancien directeur général de la Ville de Québec, Denis de Belleval, a déposé mardi une requête en nullité pour faire annuler l'entente entre Quebecor et Québec. L'affaire est donc devant la justice. Mais malgré tout, la règle du sub judice ne doit pas empêcher les parlementaires et autres intervenants de discuter de l'affaire, a déclaré la présidente de la commission, la péquiste Marie Malavoy. Car l'Assemblée nationale conserve son rôle de législateur. Et pour l'exercer, le débat doit se faire en toute connaissance de cause. De plus, l'adoption du projet de loi pourrait changer les motifs sur lesquels les tribunaux fonderont leur décision. «Pour toutes ces raisons, je vous indique que le débat parlementaire doit suivre son cours aujourd'hui et demain, même s'il y a une requête devant les tribunaux», a affirmé Mme Malavoy.

La commission a offert à tous les intervenants qui le souhaitent d'obtenir l'immunité dont jouissent les parlementaires. Le maire Labeaume a refusé.

L'ADQ boycotte

Les travaux de la commission ont commencé dans la controverse. L'Action démocratique du Québec a décidé de la boycotter. Sa leader parlementaire, Sylvie Roy, juge trop court le temps de parole alloué aux députés pour poser des questions. «J'estime que le temps qui m'est imparti, soit une minute et demie pour poser une question et avoir une réponse, est insuffisant», a-t-elle déploré. Dans ces conditions, il serait«impossible de faire avancer le débat». «Est-ce que c'est sérieux ? Est-ce qu'on va avoir un vrai débat ? Je n'y crois pas», a-t-elle lancé. Mme Roy s'est contentée d'écouter les débats sur le canal de l'Assemblée nationale.

Khadir fermement contre

Avant même d'entendre le maire de Québec, Amir Khadir énonçait déjà fermement sa position : «Québec solidaire ne peut pas accepter que ce projet de loi soit adopté», a-t-il déclaré dans ses remarques préliminaires.

«Le désir du retour des Nordiques rallie non seulement les gens de la ville de Québec, mais aussi une majorité des Québécois», concède-t-il. Mais malgré cette expression de la «volonté populaire», il s'oppose au projet de loi privé qui vise à retirer aux citoyens le droit de contester en justice la légalité de l'entente entre Quebecor et la Ville de Québec.

Ce projet de loi «vise à contourner les lois » que le Québec s'est données pour s'assurer que les contrats municipaux soient soumis à un appel d'offres transparent. Une ville ne peut pas non plus offrir un bâtiment à une entreprise privée qui le louera ensuite, a-t-il ajouté.

L'année dernière, l'opposition se drapait dans un foulard blanc pour demander plus d'éthique. «Et avec le projet de loi 204, on annule toutes les règles qu'on demande aux autres maires de municipalité», dénonce M. Khadir.

Avec son court temps de parole, M. Khadir n'a pas pu s'engager dans un échange musclé avec le maire Labeaume.

Les deux autres députés indépendants, Marc Picard et Éric Caire, déplorent quant à eux que les libéraux et péquistes soient déjà en faveur du projet de loi 204 et que M. Khadir soit déjà contre, avant même le début du débat.

Ils préviennent que la décision prise fera jurisprudence pour les autres municipalités. M. Caire croit que les intervenants doivent répondre aux questions suivantes : «Est-ce que nous sommes effectivement dans l'urgence ? Est-il éthique, moral et législativement pertinent pour le législateur d'adopter le projet de loi privé ?»

Absences remarquées

Des acteurs importants brillent par leur absence à la commission parlementaire. À commencer par le négociateur Yvon Charest. Et il y a aussi les juristes du ministère des Affaires municipales, qui remettent en question la légalité de l'entente. C'est pourtant, au moins en partie, à cause de leur avis que M. Labeaume a décidé de protéger son entente contre toute contestation judiciaire.

M. Péladeau doit témoigner plus tard cet après-midi.