C'est à contrecoeur que le gouvernement adoptera lundi une loi spéciale pour forcer le retour au travail des procureurs de la Couronne et des juristes de l'État, a soutenu dimanche le premier ministre, Jean Charest.

«Je regrette qu'on soit obligé d'en arriver avec une loi spéciale mais la conséquence de l'absence des procureurs pèse très lourd sur le système judiciaire», a soutenu M. Charest, en marge d'un colloque à Trois-Rivières portant sur la création de la richesse.

«Notre porte est toujours ouverte», a-t-il néanmoins affirmé, moins de 24 heures avant le dépôt de la loi spéciale qui forcera les 1500 procureurs de la Couronne et juristes de l'État à rentrer au boulot. Ceux-ci sont en grève depuis le 8 février.

Mais M. Charest n'a pas semblé croire à la possibilité d'un règlement dans le dossier. «La négociation est arrivée à un point mort. Il y a des positions qui sont irréconciliables», a-t-il laissé tomber.

«Malheureusement, on est rendu là, il faut prendre acte du fait que les procureurs ne bougent pas et continuent de demander un arbitrage obligatoire», a-t-il dit, ajoutant que le gouvernement avait déposé, selon lui, une très bonne offre. «Il faut prendre en compte la capacité de payer des Québécois», a-t-il néanmoins ajouté.

Il a également rappelé que son gouvernement avait réussi à s'entendre dans un «temps records» avec toute la fonction publique au printemps dernier. «Si on a été capable de régler avec tous ces gens-là, pourquoi pas les procureurs peuvent pas régler avec nous?», a-t-il demandé, sans pour autant parler de mauvaise foi du côté de la partie adverse.

Un peu plus tôt dans la journée, la présidente du Conseil du Trésor, Michelle Courchesne, avait martelé que la priorité du gouvernement québécois était de remettre en marche le système de justice.

En entrevue à La Presse Canadienne, Mme Courchesne a rejeté du revers de la main les accusations du président de l'Association des procureurs aux poursuites criminelles et pénales, Christian Leblanc, voulant qu'elle n'ait jamais négocié de bonne foi.

Faisant écho au premier ministre, la présidente du Conseil du Trésor affirme avoir fait des offres «extrêmement sérieuses» aux procureurs et aux juristes. Ceux-ci ont toutefois refusé de discuter de leurs conditions de travail, soutient-elle.

En conférence de presse, dimanche matin, Christian Leblanc a soutenu que le gouvernement Charest forcera le retour au travail des procureurs pour les punir. Ceux-ci avaient réclamé, cet automne, la tenue d'une commission d'enquête sur le milieu de la construction.

Une affirmation que la ministre Courchesne a qualifié de «gratuite» et de «farfelue».

M. Leblanc a rappelé qu'il s'agira de la deuxième loi spéciale à être adoptée en cinq ans par le gouvernement pour imposer des conditions de travail aux procureurs.

Il a d'ailleurs qualifié cette mesure d'inconstitutionnelle, d'immorale et d'irresponsable, ajoutant que cette manière de procéder est digne de l'époque de Duplessis.

Les partis d'opposition n'applaudissent pas du tout la décision du gouvernement.

Le leader parlementaire adjoint du Parti québécois, Bertrand St-Arnaud, a indiqué que son parti votera contre la loi spéciale pour ne pas être «complice de l'irresponsabilité et de la mauvaise foi du gouvernement».

Il a ajouté que cette loi aura des conséquences désastreuses sur le système judiciaire, en créant notamment une démoralisation généralisée des troupes et de nombreuses démissions.

L'Action démocratique du Québec (ADQ) a également dénoncé cette loi spéciale, qui traduit, selon le parti, la façon cavalière dont le gouvernement Charest traite ses procureurs et ses juristes.

À l'heure où de nombreuses voix s'élèvent pour réclamer une enquête sur l'industrie de la construction, la leader parlementaire de l'ADQ, Sylvie Roy, croit que Jean Charest ne cherche qu'à endormir la population.

Selon Mme Roy, le premier ministre dit vouloir que les criminels soient traduits en justice, mais il refuse du même coup de donner aux procureurs les «outils essentiels» pour qu'ils effectuent leur travail.

Le Barreau du Québec a joint sa voix à celles des procureurs et des juristes en exhortant le gouvernement à trouver d'autres solutions, notamment l'arbitrage, pour régler le conflit.

En adoptant une loi spéciale, le bâtonnier du Québec, Gilles Ouimet, croit que le gouvernement brisera le lien de confiance entre les avocats et leur client, puisque l'État joue tant le rôle de l'employeur que celui du client dans le cas présent.