Le Directeur général des élections (DGE), Marcel Blanchet, déplore le manque de respect affiché par le premier ministre Jean Charest envers l'institution qu'il dirige.

C'est l'indépendance du DGE, comme institution démocratique, qui est en jeu, selon lui.

Lors d'un entretien à La Presse Canadienne, celui qui prendra sa retraite dans quelques jours indique qu'il n'a toujours pas digéré le fait que M. Charest ait choisi de court-circuiter sa réforme de la carte électorale, sur laquelle il planchait depuis des années.

Le DGE, qui relève de l'Assemblée nationale, est censé être indépendant du gouvernement. Or, cette nécessaire distance, garante de sa neutralité, a été «mise en péril» au cours des derniers mois, selon lui.

«Les cartes étaient imprimées», relate M. Blanchet, amer et déçu de voir sa réforme avorter, alors qu'elle était fin prête à entrer en vigueur. Il avait même choisi de retarder la date de sa retraite, après une décennie au bureau du DGE, pour mener son projet à terme.

Alors quelle ne fut pas sa surprise quand, le 28 octobre, au lendemain du déclenchement de l'élection complémentaire dans Kamouraska-Témiscouata, il a entendu le premier ministre dire que la nouvelle carte électorale ne le satisfaisait pas et qu'il suspendait le processus jusqu'en mars, le temps de présenter un projet de loi censé mieux tenir compte du poids des régions.

Pour respecter la loi actuelle quant au nombre d'électeurs par circonscription, le projet de carte piloté par M. Blanchet prévoyait l'ajout de trois circonscriptions, dans la grande couronne de Montréal, et la disparition de trois autres, dont Kamouraska-Témiscouata.

À ses yeux, la suspension du processus orchestrée par le premier ministre constitue «une atteinte à une institution qui, manifestement, a été mise en place pour assurer la neutralité et l'objectivité du travail qu'il y avait à faire», estime M. Blanchet, qui est également président de la Commission de la représentation électorale (CRÉ).

Dans un contexte de campagne électorale dans une circonscription en sursis, il est d'avis que la motivation du premier ministre n'était autre que «politique».

«C'est une déception de voir que celui qui est à la tête du gouvernement a décidé de mettre de côté un organisme qui a été créé par l'Assemblée nationale», avec le mandat, précisément, de décider de ces questions en demeurant «en retrait de l'Assemblée nationale».

À ce propos, il raconte que durant toutes ses années passées à la tête de l'organisme, il a maintes fois prononcé des discours vantant l'indépendance du DGE par rapport à l'exécutif, qui est dirigé par le premier ministre. «J'aurais peut-être un petit peu de misère à dire ça maintenant», raille celui qui voit dans la suspension du processus un «précédent majeur».

«L'indépendance de l'institution a été vraiment mise en péril», selon lui.

Or, sur le fond, M. Blanchet défend bec et ongles sa carte électorale mise au rancart, qui avait été redessinée en fonction de la loi électorale, de la constitution et d'une décision de la Cour suprême, tient-il à préciser.

Il estime que la situation actuelle est intenable, inéquitable et peu démocratique, tellement les disparités sont importantes d'une circonscription à l'autre.

«Il y a autour de 26 000 électeurs dans la circonscription de Gaspé et 65 000 dans Masson. C'est tout à fait inéquitable. Ça n'a pas de bon sens», selon lui.

Déjà, la règle québécoise «du plus ou moins 25 pour cent» de la moyenne nationale (environ 45 000 électeurs), pour fixer le nombre d'électeurs par circonscription, est «une des plus élevées au monde».

L'objectif du gouvernement de maintenir le poids politique des régions, sans égard à l'exode de leur population, risque d'avoir pour effet d'accroître, au lieu d'effacer, ces disparités.

M. Blanchet se permet de donner une leçon au premier ministre, en lui rappelant les limites du pouvoir exécutif.

Selon lui, M. Charest se trompe en affirmant que «la décision revient au parlement» de fixer les contours de la carte électorale. Car «c'est pas ça que la loi dit, corrige le DGE. C'est la CRÉ qui a le dernier mot».

En annonçant la suspension du processus, le 28 octobre, M. Charest avait déclaré ceci: «On demande au DGE de faire un travail de fond, mais c'est nous qui prenons les décisions. Le DGE ne peut pas remplacer les élus.»

Quoi qu'il en soit, pour ce qui est de la carte électorale, il s'agit d'un retour à la case départ.

Après le dépôt attendu d'un projet de loi en mars, la carte renouvelée devra être adoptée avant la fin juin, a promis le premier ministre.

Mais maintenant qu'il y a eu un précédent, M. Blanchet se demande si cette fois sera bien la bonne. «Si jamais ils ne s'entendent pas sur de nouvelles règles, qu'arrivera-t-il le 30 juin?»