Même si les élections approchent à grands pas, le ministre des Finances Bill Morneau jure que le dernier budget de ce premier mandat libéral ne sera pas électoraliste.

Le budget qu'il déposera à la Chambre des communes mardi s'inscrira plutôt dans la continuité en « faisant passer les gens en premier », comme cela a été le cas, selon lui, dans les trois précédents plans budgétaires qu'il a peaufinés, affirme-t-il à La Presse.

Des mesures visant à soutenir la formation de la main-d'oeuvre des travailleurs, à faciliter l'accès à la propriété, à offrir des services internet adéquats dans les régions rurales et à accélérer la transition vers une économie plus verte ressortiront de son budget. Tout indique aussi que le ministre Morneau va jeter les bases d'un régime national d'assurance médicaments, après avoir reçu la semaine dernière le rapport provisoire du conseil consultatif mis sur pied pour examiner cette question. Des baisses d'impôts ne sont pas au menu, le gouvernement Trudeau ayant déjà réduit le fardeau des contribuables de la classe moyenne dans les semaines ayant suivi son arrivée au pouvoir.

« C'est mon dernier budget avant les prochaines élections. Mais j'espère que ce n'est pas mon tout dernier budget ! »

« Ce budget n'est pas vraiment différent des autres, explique le ministre, confortablement assis au Jet Fuel Coffee Shop, près du centre-ville de Toronto. Les gens pensent peut-être que c'est un budget qui sera différent et qui sera guidé par des stratégies électorales. Mais ce n'est pas le cas. Notre objectif est le même que lors du premier budget. Il y a des gens qui ressentent de l'anxiété et notre but est d'atténuer cela, tout en reconnaissant que nous ne pouvons pas régler tous les problèmes. Mais les gens doivent être rassurés. Nous sommes derrière eux », insiste-t-il.

Formation des adultes

M. Morneau a donné quelques indices de ses priorités au cours des derniers jours. Comme le veut la tradition, il a montré jeudi devant les médias rassemblés au Club Kiwanis de Toronto les souliers qu'il portera la semaine prochaine pour le grand jour. Ce seront les mêmes chaussures qu'il a portées lorsqu'il a présenté son premier budget, en 2016, mais remises à neuf par Lorena Agolli, jeune propriétaire de la cordonnerie Sole Survivor dans le marché Kensington.

Il y a quelques années, Mme Agolli a quitté son emploi dans le commerce au détail pour suivre, à ses frais, une formation de cordonnerie. Elle a par la suite acheté l'entreprise où elle a suivi la formation et embauché cinq autres femmes qui, comme elle, aiment ce genre de travail manuel dans un secteur largement dominé par les hommes.

« Comment peut-on aider les gens à avoir le temps, l'argent pour payer les factures mensuelles et la capacité de payer pour cette formation ? Nous estimons qu'il s'agit d'un élément essentiel pour aider les gens à l'avenir », laisse tomber le ministre à La Presse.

Dans un rapport publié en décembre 2017, le conseil consultatif sur la croissance économique, mis sur pied par Bill Morneau, estimait que l'équivalent de 2 millions de Canadiens pourraient se retrouver sans travail d'ici 2030 à cause de la transformation du marché de l'emploi au pays - un nombre important qui représente plus de 10 % de la main-d'oeuvre canadienne.

« Qu'ils aient 23 ans, 33 ans ou 43 ans, les gens pensent tous à leur avenir. Et ils ne croient pas qu'ils vont faire la même chose pour le reste de leur vie tellement le marché du travail change. Alors la formation de la main-d'oeuvre est d'une grande importance. »

La mesure que compte annoncer Bill Morneau devrait s'inspirer d'un régime d'épargne pour la formation des adultes mis sur pied en 2016 à Singapour. Dans ce pays d'Asie, le gouvernement offre aux adultes âgés de plus de 25 ans un crédit de 500 $ pour suivre une formation. Pour leur part, les travailleurs âgés de plus de 40 ans peuvent obtenir une subvention qui couvre 90 % des frais de scolarité pour des cours qui ont été approuvés.

L'ACCÈS À LA PROPRIÉTÉ ET LES MILLÉNIAUX

En entrevue, M. Morneau a aussi indiqué qu'il veut s'attaquer aux problèmes d'accès à la propriété pour les jeunes familles. « À Montréal, par exemple, le marché de l'immobilier est relativement stable. Mais il y a de nombreux milléniaux qui se demandent comment ils vont accéder à la propriété. C'est dispendieux, ils ne sont pas convaincus que ce sera aussi facile que ce le fut pour leurs parents. Comment aider les gens à accéder à la propriété tout en maintenant la stabilité du marché ? Nous avons des idées qui vont faciliter l'accès à la propriété. »

À l'ère du numérique, le ministre des Finances juge par ailleurs inacceptable que les Canadiens qui vivent dans les régions rurales n'aient pas accès à des services internet rapides et adéquats, comme dans les grands centres. « Les gens qui vivent dans les régions rurales doivent avoir accès aussi aux services internet. Nous parlons de ce dossier depuis le premier jour de notre arrivée au pouvoir et il faut s'assurer qu'ils soient rattachés à l'économie numérique. Il va y avoir d'autres choses. Mais ces trois éléments touchent la vie des gens au quotidien », a-t-il dit.

L'ÉCONOMIE VA BIEN, MAIS...

Alors qu'il s'apprêtait à finaliser les grandes lignes de son budget, Bill Morneau se félicitait de la bonne tenue de l'économie canadienne. Depuis trois ans et demi, quelque 900 000 emplois ont été créés, dont la plupart sont à temps plein. Le taux de chômage est à un niveau historiquement bas. Mais il redoute les quelques « bourrasques qui nous soufflent dessus ». Le ministre note les différends commerciaux entre les États-Unis et la Chine et les prix des matières premières qui frappent durement l'Alberta et la Saskatchewan. Bill Morneau se dit aussi inquiet de l'endettement des foyers canadiens. Le ratio de la dette des Canadiens par rapport à leurs revenus disponibles a atteint un nouveau sommet de 174 % durant le dernier trimestre, selon Statistiques Canada.

« Je demeure inquiet du niveau d'endettement des foyers canadiens. Quand on est arrivés au pouvoir et qu'on a évalué les risques pour l'économie, celui qui arrivait en tête de liste était l'endettement personnel des Canadiens. C'est toujours le cas parce que ces gens seront les plus vulnérables s'il y a un ralentissement prononcé de l'économie. »