Alors que le Parti conservateur et le NPD demandent à Justin Trudeau de rappeler la Chambre des communes la semaine prochaine pour tirer l'affaire SNC-Lavalin au clair, cinq anciens ministres de la Justice fédéraux et provinciaux invitent la Gendarmerie royale du Canada (GRC) à enquêter sur les allégations d'ingérence du bureau du premier ministre à la suite du témoignage percutant de l'ancienne ministre de la Justice et procureure générale Jody Wilson-Raybould mercredi.

Dans une lettre envoyée hier à la commissaire de la GRC, Brenda Lucki, ces anciens ministres ont fait valoir que « les pressions indues » dont aurait fait l'objet Mme Wilson-Raybould pendant quatre mois l'automne dernier pour qu'elle intervienne afin de négocier un accord de réparation avec SNC-Lavalin et éviter à la société un procès criminel constituent une infraction à l'article 139 (2) du Code criminel, entre autres.

Cet article stipule ceci : « est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de dix ans quiconque volontairement tente de quelque manière, autre qu'une manière visée au paragraphe (1), d'entraver, de détourner ou de contrecarrer le cours de la justice ».

Selon eux, à la lumière du témoignage de plus de trois heures de Mme Wilson-Raybould, mercredi, il appert que des employés du bureau du premier ministre ont dépassé la limite de ce qui était raisonnable.

« Nous soussignés avons servi le Canada en tant que procureurs généraux fédéraux ou provinciaux. À notre avis, des Canadiens ordinaires, qui n'ont pas le privilège d'avoir des contacts politiques, ont déjà fait l'objet d'accusations avec moins de preuve incriminante que cela. »

« Nous savons grâce à des reportages dans les médias que la GRC a été saisie de cette question. Cependant, nous vous écrivons aujourd'hui pour vous exhorter à utiliser toutes les ressources nécessaires pour enquêter pleinement et équitablement sur toute infraction criminelle afin de fournir aux Canadiens la vérité sur cette question cruciale, étant donné que cela va au coeur de la primauté du droit et de l'indépendance de notre système de justice », ajoutent les signataires de la lettre, qui incluent l'ancien ministre de la Justice Peter MacKay, au sein du gouvernement Harper, et l'ancien ministre de la Justice Doug Lewis, au sein du gouvernement Mulroney.

Les autres signataires de la lettre sont l'ancien procureur général de l'Alberta Jonathan Denis, l'ancien procureur général de la Nouvelle-Écosse Cecil Clarke et l'ancien procureur général de la Colombie-Britannique Colin Gabelmann. Ce dernier a servi sous un gouvernement néo-démocrate, tandis que les quatre autres signataires ont servi sous des gouvernements conservateurs.

Selon le réseau CBC, d'anciens ministres de la Justice d'allégeance libérale étaient prêts à s'associer à cette démarche, mais ils se seraient désistés avant l'envoi de la lettre à la commissaire Brenda Lucki. La Presse n'a pas été en mesure de confirmer cette information de façon indépendante hier.

« CAMPAGNE SOUTENUE »

Leur missive s'ajoute tout de même à celle envoyée jeudi par le chef du Parti conservateur Andrew Scheer, qui a aussi invité la GRC à enquêter sur cette affaire.

Également hier, M. Scheer et le chef du NPD Jagmeet Singh ont pressé le premier ministre Justin Trudeau d'annuler la semaine de relâche parlementaire prévue la semaine prochaine afin que les députés de la Chambre des communes puissent obtenir des réponses à leurs questions, « compte tenu de la gravité et de la crédibilité des allégations contre [lui] et du nuage de scandale qui plane sur [son] gouvernement ».

« Votre ancienne procureure générale vous accuse, vous et votre bureau, d'avoir orchestré une campagne soutenue, à motivation politique, pour qu'elle mette un terme à la poursuite criminelle contre SNC-Lavalin. »

« Ces allégations, soutenues de manière crédible et convaincante par des notes et des messages textes [...] font en sorte que les Canadiens et les Canadiennes ont grandement perdu confiance dans les institutions clés de notre démocratie et dans votre autorité morale de demeurer premier ministre. [...] À titre de chefs des deux principaux partis d'opposition au Canada, nous sommes unis dans notre conviction que vous devez aux Canadiens et aux Canadiennes rien de moins qu'une pleine transparence sur cette affaire », ajoutent-ils.

Cette requête a toutefois été écartée par le bureau du premier ministre. Un porte-parole, Cameron Ahmad, a affirmé que M. Trudeau avait répondu à de nombreuses questions des médias à ce sujet au cours des derniers jours et que le comité de la justice, tout comme le commissaire à l'éthique et aux conflits d'intérêts, faisait enquête.

Durant son témoignage, mercredi, Mme Wilson-Raybould a déclaré avoir subi quatre mois de pressions « soutenues » et « indues », de septembre à décembre, pour qu'elle intervienne afin d'infirmer la décision de la directrice des poursuites pénales (DPP) d'écarter un accord de réparation.

Mme Wilson-Raybould a soutenu que ces « pressions inappropriées » avaient été exercées par 11 personnes - de Justin Trudeau au ministre des Finances, Bill Morneau, en passant par le greffier du Conseil privé, Michael Wernick, et de proches collaborateurs du premier ministre tels que Gerald Butts, Katie Telford et Mathieu Bouchard.

M. Butts, qui a démissionné le 18 février en clamant son innocence, devrait témoigner devant le comité de la justice mercredi.

TRUDEAU REMANIE SON CABINET

Forcé de remanier son Cabinet pour la troisième fois en huit mois, le premier ministre Justin Trudeau a décidé de confier hier le ministère de l'Agriculture à Marie-Claude Bibeau, qui devient la première femme à occuper de telles fonctions dans l'histoire du pays. Mme Bibeau prend donc la relève de Lawrence MacAulay, qui a été muté au ministère des Anciens Combattants, sans titulaire depuis la démission de Jody Wilson-Raybould, le 12 février. Le ministère du Développement international, que dirigeait Mme Bibeau depuis 2015, a été confié à Maryam Monsef, qui conserve ses responsabilités de ministre responsable de la Condition féminine. Aucun député n'a donc été promu au Cabinet à environ huit mois des prochaines élections fédérales.