L'ex-ministre Jody Wilson-Raybould a subi de la « pression » dans le dossier SNC-Lavalin, mais pas de « pression inappropriée », a martelé le greffier du Conseil privé, Michael Wernick, dont le témoignage en comité est largement venu appuyer la version des faits de Justin Trudeau.

Le plus haut fonctionnaire du gouvernement a soutenu avec aplomb, jeudi, devant le comité permanent de la justice et des droits de la personne, que la ministre démissionnaire n'était peut-être pas liée par le secret avocat-client qu'elle invoque pour justifier son mutisme, et qu'elle avait toujours été la « décideuse » dans cette affaire.

Dans une conversation téléphonique avec Mme Wilson-Raybould, le 19 décembre dernier, le greffier dit avoir fourni des informations évoquées dans les médias entourant les conséquences que pourrait avoir un procès sur la firme d'ingénierie québécoise sur ses employés, fournisseurs ou retraités.

Le tout s'est fait « dans les limites » de ce qui est « légal et approprié », a-t-il insisté devant les élus. « J'informais la ministre du contexte. Elle peut avoir une autre perception de la conversation, mais c'est quelque chose que le commissaire à l'éthique peut déterminer », a offert M. Wernick.

En mêlée de presse à l'issue de sa comparution, il a affirmé que « (son) interprétation de la conversation, c'est qu'il n'y avait aucune pression sur elle - pas une pression inappropriée ». Invité à préciser sa pensée, il a argué qu'« il y a une pression, pour un décideur, de prendre la bonne décision ».

Le greffier du Conseil privé (le ministère du premier ministre) en a étonné certains en affirmant dans sa déclaration d'ouverture qu'en regardant l'état du pays, bien des choses l'inquiétaient - incluant que « quelqu'un se fasse abattre pendant la campagne électorale » vu le discours politique actuel - mais pas l'indépendance du système judiciaire canadien.

Il a aussi tenu de propos très durs sur le texte qui a fait éclater l'affaire SNC-Lavalin. « Je suis ici pour vous dire que l'article du Globe and Mail contient des erreurs, des spéculations sans fondement, et, à certains égards, est tout simplement diffamatoire », a-t-il plaidé.

La comparution de Michael Wernick n'a pas réussi à calmer les suspicions de l'opposition conservatrice et néo-démocrate.

« Quand on vous dit : "Je vais essayer de te faire comprendre ». C'est quoi ça ? Moi, je trouve que c'est une forme d'intimidation. Carrément. C'est de l'intimidation quand on dit « Tu ne comprends pas, m'a te faire comprendre" », a réagi le député conservateur Pierre Paul-Hus en faisant référence à la conversation du 19 décembre.

Il a accusé le bureau de Justin Trudeau d'avoir télécommandé une « opération » en « se servant de d'autres personnes » pour exercer des pressions auprès de l'ancienne procureure générale et en ayant une discussion avec elle. « C'est une façon de faire ; est-ce que c'est une opération coordonnée ? », a-t-il lancé en mêlée de presse.

Le fonctionnaire numéro un du gouvernement a défendu son impartialité et son intégrité, l'opposition ayant laissé entendre qu'il avait offert un témoignage partisan. « Je suis un fonctionnaire de carrière qui a servi sept premiers ministres des deux partis. [...] Je suis neutre », a tranché Michael Wernick.

Le gouvernement Trudeau est plongé dans l'embarras depuis que le quotidien The Globe and Mail a publié, le 7 février dernier, un article contenant des allégations d'ingérence politique - Jody Wilson-Raybould a claqué la porte du conseil des ministres quelques jours après la publication de ce texte.

Celui qui lui a succédé à la barre du ministère en janvier dernier à la faveur d'un remaniement ministériel, le Montréalais David Lametti, avait aussi été invité à témoigner au comité de la justice et des droits de la personne, jeudi.

Il a signalé que toutes les conversations entre un ministre et un procureur général n'étaient pas couvertes par le secret professionnel, et donc, que celle qui est au coeur de cette histoire pourrait fournir certaines réponses.

À sa sortie de la rencontre, il n'a pas voulu dire s'il produirait son avis juridique entourant cette question avant que la ministre Wilson-Raybould se présente en comité - elle devrait s'y pointer mardi ou mercredi prochain, selon le président du comité, Anthony Housefather.

En revanche, il a assuré que ses juristes y travaillaient « avec acharnement pour donner la transparence aux Canadiens et Canadiennes aussi tôt et aussi vite que possible », et que « comme citoyen », il espérait « avoir une situation où elle peut se prononcer ».

Les partis d'opposition estiment que l'examen du comité parlementaire est insuffisant pour faire la lumière sur cette histoire - ils avaient réclamé la tenue d'une enquête publique en déposant une motion, mais les libéraux majoritaires l'ont battue en Chambre, mercredi.

« Ma vérité »

Du côté de la Nouvelle-Écosse, où il se trouvait pour faire une annonce, le premier ministre Justin Trudeau a décliné l'invitation de réagir aux commentaires formulés par Jody Wilson-Raybould la veille en Chambre.

Alors qu'elle se levait pour justifier le fait qu'elle s'abstenait de se prononcer sur la motion demandant la tenue d'une enquête publique, elle a semblé décocher une flèche à l'intention de son patron.

« Il ne me revient pas de lever le secret professionnel et la confidentialité, et j'espère avoir l'occasion de donner ma vérité », a-t-elle balancé - un commentaire qui a déclenché un tonnerre d'applaudissements dans les banquettes de l'opposition.

Lorsque Justin Trudeau s'est fait demander si ce commentaire avait refroidi le rapprochement qui semblait s'être opéré, il n'a pas répondu clairement.

« On continue d'avoir un parti uni. On travaille ensemble pour livrer de façon concrète pour les Canadiens. [...] On va continuer de travailler ensemble avec tous les députés du Parti libéral du Canada », a-t-il offert en marge d'une annonce en Nouvelle-Écosse, jeudi.

Le premier ministre canadien a par ailleurs souligné que le secret professionnel était « un élément clé de notre système de justice », et qu'il y avait « des conséquences potentielles sérieuses » à le lever.

« C'est pour ça que et moi et l'ancienne ministre (sommes) en train de consulter des avocats pour avoir des recommandations », a-t-il déclaré après avoir réitéré qu'il ne comprenait toujours pas pourquoi Mme Wilson-Raybould a claqué la porte du cabinet.

« On comprend tout à fait que les gens veulent des réponses. [...] On a besoin d'en savoir plus, mais nous devons faire très attention, surtout puisqu'il y a deux procès en motion qui pourraient être affectés par un gouvernement qui lèverait le secret professionnel », a-t-il dit.