L'affaire SNC-Lavalin fait mal au gouvernement Trudeau. À un sondage Ipsos paru en début de semaine, les libéraux n'obtiennent plus la faveur que de 34 % des répondants. Mais est-ce que cela veut réellement dire quelque chose pour les élections d'octobre ? Là-dessus, même les plus grands amateurs de sondage se gardent une grosse, grosse gêne.

« Plus ça va, plus je suis modeste », lance Claire Durand, professeure titulaire au département de sociologie de l'Université de Montréal, dont le travail depuis des décennies consiste à faire des analyses fines des sondages.

Voilà qu'après une douzaine de jours à parler de l'affaire SNC-Lavalin, on en est là, à refaire des coups de sonde et à écrire des chroniques sur l'effet qu'aura l'affaire SNC-Lavalin sur les élections de l'automne.

Un autre sondage, réalisé par la firme Léger pour La Presse canadienne ces derniers jours, donne, lui, 36 % d'intentions de vote aux conservateurs, contre 34 % aux libéraux (mais cette légère avance se situe dans la marge d'erreur).

Mme Durand doute fort que les sondages réalisés maintenant « ou même en septembre » soient très révélateurs de l'issue du vote. 

« Six mois en politique, c'est long, et c'est plus vrai que jamais. »

- Claire Durand, professeure titulaire au département de sociologie de l'Université de Montréal

Rappelez-vous 2002, dit-elle. « Huit mois avant la campagne, l'ADQ avait 40 % d'appuis. Elle a fini avec 18 %. »

L'autre grand classique : Jack Layton, aux élections fédérales de 2011, « qui a fait un saut de 20 % dans les deux dernières semaines de la campagne ».

Même en 2018, au Québec, « et c'est la première fois que j'ai vu cela », il y a eu « un fort mouvement pendant la toute dernière fin de semaine et le jour même du vote ».

« Une semaine avant l'élection, 30 % des électeurs se disaient indécis ou disaient qu'ils allaient voter pour un autre parti que la CAQ », rappelle Mme Durand.

Les sondeurs doivent maintenant composer avec des changements de cap radicaux des électeurs, qui ne sont plus si rares « à hésiter entre Québec solidaire et la CAQ », s'étonne Mme Durand.

Moins populaire qu'après L'Inde

Les gens se souviendront-ils vraiment, en octobre, de cette histoire avec SNC-Lavalin et le gouvernement ?

Mme Durand répond qu'en tout cas, les gens n'arrêtent pas leur opinion en fonction d'un enjeu en particulier.

Après la dernière campagne électorale québécoise, les experts ont recontacté 673 répondants à des sondages pour savoir pour qui ils avaient finalement voté et pour quelle raison. Et en gros, ce qu'il faut en comprendre, dit Mme Durand, « c'est que les gens ont dit avoir choisi le parti "le moins pire". Une seule personne sur 673 a évoqué la laïcité », un sujet pourtant chaud qui fait toujours beaucoup couler d'encre.

M. Trudeau a sans doute très hâte de passer à autre chose. Sa popularité, selon Ipsos, est maintenant deux points en deçà de ce qu'elle était au retour de son voyage en Inde.

Quelle « solution de rechange » ?

Cela dit, pour que les électeurs se détournent vraiment du gouvernement actuel au jour J, « encore faut-il qu'ils voient une solution de rechange, ce qui est loin d'être évident, particulièrement au Québec », relève François-Pierre Gingras, politologue, relevant que les chefs conservateur et néo-démocrate sont encore peu connus au Québec.

« En fait, ce qui m'étonne, moi, c'est qu'on parle tant et tant d'environnement et que les verts ne semblent pas récolter plus d'appuis. »

Si Jean-Herman Guay, professeur de science politique à l'Université de Sherbrooke, osait une prédiction, ce serait celle-ci. « L'automne venu, les citoyens risquent fort de se dire : "C'était quoi, déjà, l'affaire avec Lavalin ?" »

Aussi, à son avis, si la position à adopter sur le fond de l'affaire était si évidente, conservateurs et néo-démocrates l'auraient dit beaucoup plus clairement, eux qui, depuis une douzaine de jours, se contentent de critiquer la manière dont l'équipe de Trudeau serait intervenue.

« L'hésitation des conservateurs et des néo-démocrates à s'avancer davantage montre bien qu'il y a matière à discussion. »

C'est complexe et on en est encore à des mois des élections, ajoute-t-il. 

« Dans presque toutes les démocraties, l'électorat s'effiloche et fait son choix en fonction de son degré de détestation relatif envers chaque candidat. »

- Jean-Herman Guay, professeur de science politique à l'Université de Sherbrooke 

Alors que les partis se creusent la tête pour trouver de grandes idées fédératrices, des promesses qui séduiront l'électeur ou des crocs-en-jambe à donner à l'adversaire, au bout du compte, les électeurs ne regarderont que très globalement les programmes ou les controverses passées.

« Dans une étude, le politologue Vincent Lemieux relevait qu'au début du XXsiècle, les projets de loi tenaient sur trois ou quatre pages, fait observer M. Guay. Aujourd'hui, les projets de loi, les budgets, tout cela est d'une immense complexité, de sorte que c'est de plus en plus difficile à suivre pour les citoyens, y compris pour les politologues. »

On en est donc là, dit Claire Durand, « à tenter de caractériser les campagnes électorales, à tenter de savoir dans quels cas les électeurs changent d'idée ».

Ce n'est pas simple et Mme Durand réprime un petit sourire en voyant les uns et les autres y aller de prédictions hâtives. « Pour ma part, je ne regarde plus les sondages avant le début des campagnes. »