Le Parti conservateur et le NPD unissent leurs forces pour exiger la tenue d'une réunion d'urgence du comité de la justice de la Chambre des communes afin de se pencher sur les allégations selon lesquelles le bureau du premier ministre Justin Trudeau aurait fait pression sur l'ex-ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould, pour qu'elle intervienne de manière à permettre à SNC-Lavalin de conclure une entente hors cour dans le dossier de fraude et corruption qui vise la firme d'ingénierie.

En conférence de presse vendredi matin, le chef du Parti conservateur Andrew Scheer a soutenu qu'une telle intervention, si elle s'avérait, serait « sans précédent » dans les annales judiciaires et que les Canadiens ont le droit de savoir tout ce qui s'est passé dans cette affaire.

Selon lui, le comité pourrait se réunir dès lundi prochain afin de commencer à interroger des témoins au coeur de cette histoire. Une motion sera présentée par le Parti conservateur pour faire convoquer neuf personnes à témoigner. Les neuf personnes visées sont la ministre des Anciens Combattants Jody Wilson-Raybould ; le ministre de la Justice et procureur général David Lametti ; le greffier du Conseil privé Michael Wernick ; la directrice des Poursuites publiques Kathleen Roussel ; la chef de cabinet du premier ministre Katie Telford ; le secrétaire principal du premier ministre Gerald Butts ; le conseiller principal du premier ministre Mathieu Bouchard ; le conseiller principal du premier ministre Elder Marques ; et la chef de cabinet de la ministre des Anciens Combattants Jessica Prince ;

« Les reportages selon lesquels le Cabinet du premier ministre Justin Trudeau a fait pression sur l'ancienne procureure générale pour qu'elle s'ingère dans une poursuite criminelle soulèvent des préoccupations alarmantes sur la conduite de Trudeau et de son bureau », a dit M. Scheer.

« Si ses députés votent contre la motion et tentent de cacher ce qui est arrivé, les Canadiens ne peuvent que conclure que les reportages sur une ingérence politique sont vrais.   Si les libéraux empêchent les responsables du CPM de témoigner, les conservateurs mettront tout en oeuvre pour assurer que Justin Trudeau et son bureau soient tenus responsables », a-t-il ajouté.

Citant des sources anonymes, le quotidien The Globe and Mail a rapporté hier que des membres du bureau du premier ministre auraient tenté de convaincre Mme Wilson-Raybould d'intervenir à la suite du refus du procureur du Service des poursuites pénales du Canada de négocier une entente hors cour avec la firme d'ingénierie de Montréal, l'automne dernier.

Des accusations de fraude et de corruption pèsent contre la firme SNC-Lavalin, qui aurait versé des millions de dollars en pot-de-vin entre 2001 et 2011 pour s'assurer d'obtenir des contrats avec le gouvernement de la Libye.

Le premier ministre Justin Trudeau a démenti en bloc ces allégations hier alors qu'il était de passage dans la région de Toronto.

« Les allégations du Globe and Mail sont fausses », a martelé en matinée Justin Trudeau lors d'un point de presse tenue en marge d'une annonce.

« Ni moi ni mon bureau n'avons demandé quoi que ce soit au procureur général actuel ou précédent », a-t-il ajouté, réaffirmant que le Canada respectait « la primauté du droit ».

Mme Wilson-Raybould, qui a été mutée au ministère des Anciens combattants à la mi-janvier à la suite d'un remaniement ministériel, a refusé de commenter ces allégations, observant le plus grand mutisme aux Communes hier même après avoir été interpellée par l'opposition.

Or, Mme Wilson-Raybould avait émis une longue déclaration de près de 2000 mots après le remaniement, défendant son bilan et plaidant avec vigueur en faveur de l'indépendance judiciaire. Selon le Parti conservateur, cette déclaration jette un éclairage troublant sur les informations rapportées hier.

« Le rôle du procureur général du Canada comporte des responsabilités uniques en matière de respect de la primauté du droit et de l'administration de la justice. Il exige par conséquent une certaine indépendance fondée sur des principes. C'est un pilier de notre démocratie que notre système de justice soit exempt de toute ingérence politique et qu'il conserve la plus grande confiance du public. [...] J'ai toujours pensé que le procureur général du Canada devait être non partisan, plus transparent dans les principes sur lesquels s'appuient les décisions et, à cet égard, toujours être prêt à dire la vérité au pouvoir. C'est ainsi que j'ai servi tout au long de mon mandat dans ce rôle », avait notamment écrit Mme Wilson-Raybould.

 Rappelons que des accusations de fraude et de corruption pèsent contre la firme SNC-Lavalin, qui aurait versé des millions de dollars en pot-de-vin entre 2001 et 2011 pour s'assurer d'obtenir des contrats avec le gouvernement de la Libye.  

Fortement ébranlée par ces accusations, la firme québécoise a par la suite fait du lobbying auprès d'Ottawa pour que le gouvernement canadien se dote d'un « régime d'accord de réparation » - un régime en vigueur dans des pays tels que les États-Unis et la Grande-Bretagne. SNC-Lavalin cherchait ainsi à éviter un procès coûteux qui risquait d'entacher la réputation de centaines d'employés, en plus de compromettre l'avenir de ses activités en la privant de nombreux contrats publics.

Selon le registre fédéral des lobbyistes, des représentants de SNC-Lavalin ont réussi à obtenir une cinquantaine de rencontres avec des responsables gouvernementaux et des députés depuis 2017 afin de discuter de dossiers liés à la « justice » et à « l'application de la loi ». Or, 14 de ces rencontres ont eu lieu avec des proches collaborateurs du premier ministre, dont Mathieu Bouchard, qui est le conseiller de M. Trudeau pour le Québec. Ces représentations avaient pour but d'obtenir la conclusion d'un accord de réparation ou d'un accord de poursuite suspendue.

Le gouvernement Trudeau a bel et bien amendé le Code criminel afin d'adopter un régime d'accord de réparation en mars 2018 - un geste qui avait été vu à l'époque comme une excellente nouvelle par les investisseurs de SNC-Lavalin.  

Mais le Service des poursuites pénales du Canada a décrété en octobre dernier que SNC ne remplissait pas les critères pour se prévaloir de ce régime, une annonce qui a été reçue comme une douche froide par les marchés financiers. Des sources anonymes citées par le Globe and Mail allèguent que la décision de Mme Raybould-Wilson aurait provoqué la colère au bureau du premier ministre.