Depuis deux ans, la députée conservatrice Lisa Raitt livre une bataille sur deux fronts. À la Chambre des communes, elle mène la charge contre les politiques économiques du gouvernement Trudeau tout en préparant soigneusement le terrain à la prochaine campagne électorale. De retour à la maison, dans sa circonscription de Milton, en Ontario, elle aide son mari Bruce Wood, qui est atteint de la maladie d'Alzheimer.

De son propre aveu, il s'agit d'un défi de taille. Combiner une carrière en politique fédérale exigeante tout en s'occupant de l'homme qu'elle a rencontré il y a une dizaine d'années n'est pas de tout repos. Ce défi l'amène d'ailleurs à mettre en pratique un vieux dicton : un jour à la fois.

« C'est vrai que ce n'est pas toujours facile. Nous y allons un jour à la fois, une semaine à la fois », affirme dans une entrevue à La Presse Lisa Raitt, dans son bureau de la colline parlementaire, alors que son conjoint l'écoute attentivement raconter leur nouvelle vie depuis que le verdict est tombé, quelques mois seulement après les élections fédérales d'octobre 2015.

Ce verdict a été très dur à accepter pour les deux, d'autant plus que Bruce Wood n'avait que 56 ans et qu'il était au sommet de sa carrière en tant que grand patron du Port d'Hamilton lorsqu'un deuxième médecin leur a confirmé le diagnostic obtenu d'une première consultation : il était atteint de la maladie d'Alzheimer.

Les premiers signes sont apparus durant la dernière campagne électorale. Alors que Lisa Raitt s'activait dans sa circonscription pour obtenir un autre mandat des électeurs, elle avait préparé de petites listes de choses à faire à la maison pour son conjoint. Mais chaque fois qu'elle rentrait à la maison, rien de ce qu'elle avait inscrit sur ces listes n'avait été fait. Cette situation a causé des tensions au sein du couple, même si ses explications lui paraissaient plausibles. Il avait simplement oublié. Son poste de PDG du Port d'Hamilton lui causait du stress, et la charge de travail était imposante. Un jour, il l'a appelée à Ottawa. « Il y a quelque chose qui ne va pas avec mon cerveau », a-t-il alors dit.

Quelques mois après la défaite électorale des conservateurs, en février 2016, le couple a décidé de partir en vacances en Israël. En arrivant à destination, Lisa Raitt a constaté que son mari était parti avec une valise presque vide. Il n'avait pas apporté de pantalons et de chemises nécessaires pour un tel voyage. Les questions se sont mises à se bousculer dans sa tête. Pour en avoir le coeur net, il a été décidé qu'il irait voir leur médecin de famille.

Comme une tonne de briques

La batterie de tests qu'il a subis en mars a démontré qu'il était atteint de la maladie d'Alzheimer au stade précoce. Incrédules, ils ont décidé de consulter un deuxième médecin, qui leur a livré le même constat en mai. Depuis lors, Bruce Wood a avalé de nombreux médicaments, tout aussi différents les uns que les autres et prescrits par les médecins, dans l'espoir de ralentir la progression de la maladie, voire de la guérir. En vain. 

« Les médicaments ne fonctionnent pas du tout. Nous voulons trouver un remède », dit Bruce Wood, natif de Montréal, et dont le père Dave Wood a été un entraîneur de football de marque pendant près de 40 ans au Lower Canada College de la métropole.

« Tout cela me frustre. Je n'arrive plus à faire ce que je faisais les yeux fermés il n'y a pas si longtemps. Des fois, j'ai de la difficulté à parler, à exprimer mes idées. » - Bruce Wood

M. Wood souligne à plusieurs reprises qu'il sait piloter des avions. « J'ai un gros livre d'instructions de pilotage à la maison. Je veux pouvoir piloter un avion à nouveau. C'est mon rêve le plus cher. Mais je ne crois pas que ce sera possible », lance-t-il, en montrant l'épaisseur du livre avec ses mains.

« Bruce était quelqu'un qui pouvait régler les moindres problèmes », ajoute Lisa Raitt, en soulignant que son conjoint l'a appelée récemment parce qu'il était incapable de relancer le thermostat de leur domicile à Milton, alors qu'elle se trouvait à Ottawa. Elle a dû appeler un voisin à la rescousse pour que le chauffage reprenne.

« Il était en parfaite santé avant que cela n'arrive. Il ne fumait pas, et ne buvait presque pas d'alcool. Il n'y avait pas d'antécédents dans sa famille. C'est arrivé de nulle part. Il peut encore conduire. Mais sa mémoire à court terme lui cause des problèmes. Cela lui prend plus de temps maintenant pour faire de petits projets. Il ne peut pas aller à l'aéroport et se diriger seul pour prendre un vol. Il ne peut pas non plus prendre possession d'une chambre d'hôtel tout seul. Il va me poser la même question plusieurs fois durant la journée. Il ne peut plus travailler », dit-elle.

Plaidoyer pour un meilleur financement

Mme Raitt, qui est mère de deux garçons d'un précédent mariage et qui a participé à la course à la direction du Parti conservateur en 2017, déplore le peu d'investissements dans la recherche pour trouver un remède, non seulement au pays, mais aussi à l'échelle internationale. Elle estime que les gouvernements devraient en faire une priorité en matière de recherche et déployer les mêmes efforts qui ont été faits pour trouver un médicament efficace contre le sida.

Nommée leader adjointe du Parti conservateur par le chef Andrew Scheer après sa victoire, Mme Raitt consacre en moyenne trois jours par semaine à ses fonctions de députée à Ottawa. Elle ne siège à aucun comité parlementaire et elle accepte peu d'invitations la fin de semaine afin de passer le plus clair de son temps avec Bruce dès qu'elle rentre à la maison.

« En un sens, Dieu merci que je siège dans l'opposition. Et Dieu merci que ce soit Andrew Scheer le chef du parti et non pas moi. » - Lisa Raitt

Toujours habile avec ses mains - « J'aime faire des travaux de menuisier » -, Bruce Wood compte passer une grande partie de son été à retaper un vieux chalet que le couple a acheté dans l'île du Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse, où est née Lisa Raitt. « C'est notre projet pour l'été », dit-elle, en rappelant que son conjoint adore être au bord de l'eau.

Pour sa part, Lisa Raitt entend briguer de nouveau les suffrages en octobre. Mais elle rappelle aussi que sa vie a changé depuis deux ans et qu'elle planifie... un jour à la fois. « J'adore ce que je fais, mais quand on doit vivre avec cette maladie, rien n'est jamais coulé dans le béton. »